Photo : Riad Maintenant, on passe la vitesse supérieure. Le grand bazar à ciel ouvert. Annaba n'est plus ce qu'elle était ; tout ou presque a été défiguré et confisqué par une armée de vendeurs aujourd'hui établis en plein centre-ville avec la bénédiction des autorités locales. En effet, rien qu'à voir l'étalage impressionnant de marchandises de toutes sortes exposées sur les trottoirs et les chaussées, on se croirait dans un grand souk où personne ne contrôle personne et où tout va selon les desiderata de ces squatteurs qui ont tout accaparé. La rue Ibn-Khaldoun (ex-Gambetta), située au cœur de la ville d'Annaba, et qui avait été «libérée» il y a quelque temps suite à une opération de «nettoyage», a été reprise par les «opérateurs» de l'informel, occupant ainsi tous les espaces. Sur les trottoirs, ce sont les premiers arrivés, ceux qui avaient tenté une incursion juste après les émeutes du mois de janvier, qui s'y sont installés au vu et au su de tous, les policiers en faction n'étant pas intervenus et avaient laissé faire. Il faut dire que vu la conjoncture avec les mouvements de protestation qui ont éclaté un peu partout, l'intervention des forces de l'ordre pour faire dégager les lieux aurait provoqué d'autres émeutes. Alors, on a laissé faire, préférant la paix sociale à l'application stricte de la loi. Du coup, ce sont des centaines de vendeurs qui étaient arrivés en masse et avaient envahi tous les espaces. Cartons, grandes bâches, armatures métalliques, cageots et autres moyens d'exposition avaient été installés. Les marchandises s'accumulaient et emplissaient ces étals de fortune : chaussures, vêtements, ustensiles de cuisine, articles scolaires, sous-vêtements, serviettes, parfums articles de beauté, conserves, confiseries, coupons, bref, tout ce qui était vendable était exposé sur les trottoirs. Les piétons, dont l'espace vital avait été confisqué, se faufilent entre les étals et malheur à celui qui, par mégarde, aurait marché sur un quelconque article, il est sûr d'essuyer un chapelet d'insultes qui fusent de toutes parts. Le pauvre passant descend alors sur la chaussée quitte à se faire écraser par un véhicule, et là aussi il subit le courroux des automobilistes dont la chaussée est la seule voie de passage. Chassé de toutes parts, le piéton en est arrivé à s'excuser pour passer son chemin. Ces espaces publics devenus des aires commerçantes, où les prix défient toute concurrence du fait de l'absence des charges, ont tué le commerce officiel qui a enregistré un manque à gagner pour les commerçants établis criant leur désespoir à qui veut bien les entendre. Ces derniers, qui se sont plaints à maintes reprises, avaient entamé des mouvements de grève pour protester contre cette invasion et l'accaparement de leur profession par des individus qui font de gros bénéfices sur leur dos. Mais cela n'avait en définitive abouti à rien, puisque les interventions, ponctuelles, des forces de l'ordre n'avaient rien réglé du fait que dès que le dispositif mis en place est quelque peu allégé, le retour en force des vendeurs de l'informel réduit tout à néant. Certains parmi les commerçants établis ont compris l'astuce, ils baissent rideau et se font rayer du registre du commerce pour ne plus payer d'impôts, renvoient leurs personnels et s'établissent à leur tour sur le trottoir mitoyen à leur commerce. La concurrence déloyale fait rage «Ce trottoir, je préfère l'occuper moi-même, nous dit un commerçant, il doit me profiter à moi, il est juste devant mon magasin. A l'intérieur, je ne vends plus rien puisque tout le monde achète sur le trottoir. Donc moi aussi je m'installe sur le trottoir.» Un autre commerçant, vendeur de chaussures de son état, nous a déclaré que depuis qu'un autre vendeur installé sur le trottoir juste à côté de son magasin s'est installé, il ne vend presque plus rien : «Il vend le même type de chaussures que moi, nous dit-il, et à des prix bien inférieurs à ceux que je propose et donc il m'a pris toute la clientèle. Quand je l'ai abordé pour lui dire qu'il doit partir ailleurs proposer sa marchandise, il m'a rétorqué que le trottoir est public et personne ne peut l'obliger à dégager des lieux. Ce qui est incroyable, c'est que pendant le mois de Ramadhan, j'ouvre un peu en retard après le f'tour et donc la rue reste un peu sombre, ce personnage a eu l'audace de venir me demander d'ouvrir un peu plus tôt pour profiter de l'éclairage du magasin et ainsi permettre aux clients de mieux examiner sa marchandise. Incroyable, non ? Eh bien, c'est la pure vérité. Si cela continue, je vais changer d'activité.»Dans ce désordre général, la situation continue encore de se dégrader, les espaces occupés ne suffisant plus, maintenant on s'attaque à la chaussée et à d'autres quartiers de la ville qui, jusque-là, étaient encore épargnés par ce type d'activités. Ainsi certaines rues, dont les chaussées se réduisent de jour en jour comme une peau de chagrin, se sont transformées en voie piétonnière où les véhicules sont désormais interdits de circulation. Un étalage de marchandises de toutes sortes à l'origine douteuse, surtout celles destinées à la consommation et sur lesquelles les dates de péremption ne figurent pas ou elles ont été sciemment enlevées pour tromper la clientèle. Un problème de santé publique qui pourrait avoir de graves conséquences sur les populations de la région. Dernièrement, nous avons assisté à une scène qui a choqué plus d'un. Un automobiliste a été contraint de faire marche arrière sur plus de 50 mètres pour permettre le passage d'une charrette à bras chargée de fruits, les deux vendeurs ne comptaient pas rebrousser chemin ou s'écarter un peu, alors que, normalement, la chaussée est réservée aux voitures. Tout le monde avait observé la scène sans broncher. Arrivés au bout de la rue, les deux compères installèrent leur étal sur le trottoir juste derrière le théâtre pour vendre à la criée, causant bien des désagréments aux riverains. Le prolongement de la rue Ibn-Khaldoun donne sur le marché El Hattab, et là, c'est le tiers-monde dans toute son expression : un désordre indescriptible, un véritable capharnaüm qui déborde sur les rues et s'étend jusqu'au grand rond-point menant à Sidi Brahim. On y trouve de tout, étalés pèle-mêle à même le trottoir, biscuits, boîtes de conserve, rasoirs jetables, sandales, pyjamas, vestes, services de table, porcelaine, effets vestimentaires ; des dizaines de vendeurs «établis» aux territoires délimités et respectés par les uns et les autres et que rien ni personne ne pourra plus désormais déloger. L'Etat est complètement absent, il laisse faire et les responsables de peur d'avoir à gérer encore des émeutes aux terribles conséquences ferment les yeux et mettent en veilleuse le code du commerce avec tous ses articles. Des articles qui n'ont plus cours dans ces zones de non-droit que des individus ont accaparées et qui, se prétendant chômeurs, ne ratent aucune occasion pour se glisser parmi de paisibles manifestants et mettre à sac des institutions et des biens privés dans un Etat dit de droit. Qui dit mieux ? M. R. Réhabilitation des cimetières de la ville L'état déplorable des cimetières de la ville de Annaba tant décrié par les uns et les autres au vu de la dégradation générale de ces sites censés être respectés et sacralisés a fait récemment l'objet d'une décision de l'APC de Annaba. Une décision avec à la clé une première enveloppe de 11,4 millions de dinars pour la réhabilitation complète du cimetière de Bouhdid. Ce cimetière, laissé à l'abandon, n'a pratiquement pas été entretenu depuis plusieurs années si bien que les mauvaises herbes ont tout envahi. Les quelques passages laissés entre les tombes ont disparu et la clôture d'enceinte est dégradée. Des brèches sont ouvertes un peu partout, chiens et chats y pénètrent pour se disputer les restes abandonnés par des individus qui y viennent pour organiser des beuveries. Des ovins et bovins y paissent le plus normalement du monde sans que personne intervienne et des tombes sont foulées chaque jour par ces bêtes. Le cimetière de Sidi Harb est lui aussi concerné par l'opération de réhabilitation puisque 13 millions de dinars lui ont été consacrés. Ce montant sera investi pour le parachèvement de la clôture dont les travaux avaient été abandonnés par le passé faute de financement.