Photo : S. Zoheir Par Noureddine Khelassi Les Personnels navigants commerciaux (PNC) et la direction d'Air-Algérie semblent ne pas être à bord du même avion de leur compagnie, tant leurs positions respectives paraissent, à ce jour, inconciliables. Elles sont très éloignées même si les deux parties ont fini par emprunter la voie de la sagesse, celle de la table des négociations, se fixant notamment la date butoir du 31 juillet prochain pour arriver à un quelconque compromis. Attitude bien louable de la part d'Algériens semblant avoir finalement compris l'intérêt de préférer le dialogue au rapport de force. A première vue, l'inventaire des positions des uns et des autres n'autorise pas beaucoup l'espoir de les voir aboutir, assez rapidement, à une solution honorable. Un accord qui satisferait les PNC sans porter préjudice, de manière irréparable, aux intérêts de la compagnie ou de compromettre même sa survie. Aux conditions préalables, sine qua non, des PNC, le nouveau PDG d'Air-Algérie, lui, oppose des lignes rouges à ne pas franchir dans les négociations, définies par l'état des finances de l'entreprise et par les nécessaires équilibres à sauvegarder entre les différentes catégories de personnel. Alors, malgré les dénégations de Yacine Hammamouche, le leader du syndicat des PNC, les hôtesses, stewards et chefs de cabine réclament d'abord une ahurissante augmentation de 106 % du salaire de base ! Ensuite, un statut de personnel navigant, au même titre que les pilotes et ingénieurs mécaniciens. Outre le régime de travail, les PNC exigent aussi d'être regroupés au sein d'une direction autonome pour ne plus être sous l'autorité de l'actuelle direction des opérations. En guise de «feuille de route» des négociations, les PNC ont proposé le Procès verbal de l'ultime réunion avec le prédécesseur de Mohamed Salah Boultif, Wahid Bouabdallah, limogé après une première grève d'un jour des même PNC auxquels il aurait fait des promesses inconsidérées. Face à ces demandes, mises en avant pour justifier la grève sans préavis de 4 jours, qui a provoqué un chaos indescriptible dans les aéroports algériens et français en pleine saison estivale, la direction générale s'oppose à la création d'une direction propre aux PNC. Elle propose également une augmentation de salaire de 20 % généralisée à l'ensemble des employés et qui serait bonifiée par la future augmentation du SNMG ; et, enfin, juge irrecevable la demande du collectif syndical des PNC d'être payé sur la base du référentiel salarial appliqué aux pilotes. Dans ses différentes déclarations de presse, Yacine Hammamouche affirme qu'il a plutôt demandé une «reclassification» salariale en lieu et place de l'augmentation de 106 %, ce qui aurait permis ce qu'il appelle, par euphémisme, une «mise à niveau» des revenus des PNC. Arguant de la pénibilité au travail et du risque physique lié à la navigation, il réclame l'alignement du référent salarial sur celui des pilotes. Il rappelle que les PNC ont été reclassés en 1999 personnels au sol alors qu'ils étaient considérés comme personnel navigant. Ce qu'il demande, c'est donc un juste retour des choses. Un PNC algérien n'est pas un PNC d'Emirates Airlines Avec le statut actuel de personnel navigant commercial mais considéré administrativement comme étant au sol, les PNC perçoivent, sans les indemnités, un salaire moyen compris entre 35 000 et 40 000 DA, alors que celui d'un chef de cabine est situé entre 50 000 et 60 000 DA. En comparaison, le référent du PN, c'est à dire le salaire de base du personnel navigant, était de 23 000 DA, avant de grimper en 2011 à 64 000 DA. Bien loin de celui du personnel au sol qui est aujourd'hui de 16 000 DA, contre 11 000 DA en 1999. Avec les différentes indemnités, et en fonction de l'ancienneté, le traitement peut doubler ou tripler avec, en prime, une allocation en devises de 200 euros par mois. Certes, un PNC algérien n'est pas payé comme celui d'Emirates Airlines, par exemple, mais il ne crève pas pour autant la dalle, comme l'a relevé un passager d'Air Algérie excédé lors de la dernière grève à l'aéroport parisien d'Orly. Mohamed Salah Boultif, pour sa part, met en avant le principe de réalité. Il avance des arguments de gestionnaire confronté aux difficultés de sa société, notamment aux problèmes liés à sa trésorerie et à la concurrence qui lui prend des parts de marché sur les vols internationaux à partir d'Algérie. Il s'appuie aussi sur les ratios internationaux pour discuter de la refonte des statuts personnels et de la hiérarchisation des salaires (grille). Il veut, à ce propos, comparer ce qui peut l'être, c'est-à-dire apprécier la situation d'Air-Algérie par rapport à des compagnies de même dimension et de même taille. Satisfaire donc la demande d'augmentation de 106 % tout en alignant l'indice salarial de base des PNC sur celui des PN, provoquerait un phénomène de surchauffe financière que favoriserait une éventuelle surenchère alimentée par les autres catégories de personnel. Ce qui, le cas échéant, ferait exploser en vol une compagnie qui navigue déjà en zone de turbulence.Alors même que le trafic aérien est en baisse, que les comptes d'Air-Algérie ne sont pas vraiment au vert et que les PNC sont en sureffectif (9400), distinguer une catégorie de personnel par rapport à d'autres, sur une base qui pourrait apparaitre comme discriminatoire, mettrait en danger une compagnie bien fragile. Et qui est déjà engagée dans une fort coûteuse opération de renouvellement de sa flotte, un processus de modernisation des procédures certifiées (normes de sécurité, entretien) et une entreprise de filialisation, alors qu'elle souffre aussi du sous-dimentionnement de son parc d'avions par rapport à la demande. Conscients ou pas de la réalité des comptes de leur compagnie et des défis propres à sa modernisation, les PNC, menés par un syndicaliste, réputé peu ouvert aux subtilités du compromis dynamique, risquent de paralyser de nouveau la compagnie par une nouvelle grève qui ferait turbuler de nouveau Air-Algérie. A en croire Yacine Hammamouche, ce serait le cas si Mohamed Salah Boultif ne consentirait finalement que l'augmentation de 20 % initialement proposée. «Avec une telle augmentation, le problème sera toujours posé puisque nous resterons (les PNC) dans la catégorie du personnel au sol», a déclaré le leader des PNC. Ce sera alors à la prochaine assemblée générale des PNC de décider des suites après le mois de ramadan. Deux hommes que tout différencie Les actuelles négociations engagées au rythme de trois rounds par semaine, qui pourraient reprendre au-delà même de la date limite du 31 juillet 2011, mettent en scènes deux hommes que tout différencie. Mohamed Salah Boultif est un manager à l'anglo-saxonne, un financier rigoureux, un connaisseur des réalités d'Air-Algérie et du transport aérien national. Et tel qu'il est connu, un homme d'écoute et de dialogue, calme et pondéré. Son interlocuteur, Yacine Hammamouche est présenté sous les traits d'un syndicaliste de tempérament, qui serait un grand affectif carburant à l'émotion et affectionnant le rapport de force, selon des navigants qui le connaissent bien. De là à dire qu'il s'agirait d'un syndicaliste sans concession, jusqu'auboutiste implacable, il y a un pas que ces portraitistes hésitent à franchir. Ancien de l'UGTA dont il a été expulsé, ce qui lui a valu, à tort ou à raison, un licenciement d'Air-Algérie, il avait rejoint Khalifa Airways avant de revenir à la compagnie mère après le crash en plein ciel de celle d'Abdelmoumène Khalifa, l'homme qui voulait déployer partout des ailes de condor aux plumes en diamant. En apparence, cette opposition de styles et de personnalités apparait comme celle qui existe entre l'eau et le feu. Mais fort heureusement, les deux hommes ont accepté de négocier, selon une feuille de route et un calendrier précis. Ce qui est de bon augure dans un pays plus habitué au fait accompli et au rapport de force. Quant à lui, le PDG s'est déclaré favorable à un compromis, fondé notamment sur la révision du statut des PNC au sujet duquel une commission, déjà à pied d'œuvre, a été installée par son prédécesseur Wahid Bouabdallah. Une révision statutaire qui ne ferait pas tout de même des PNC les égaux en droits et en devoirs des pilotes. Car, s'ils sont ensemble à bord des mêmes avions, ces deux catégories de serviteurs d'Air-Algérie ne sont pas du même bord. C'est évident. A chacun son métier et le gouvernail des avions d'Air-Algérie sera alors mieux tenu.