Photo : Riad Entretien réalisé par Amel Bouakba LA TRIBUNE : L'islam est une religion de tolérance, d'amour et de paix. Mais cette image a été ternie par certains individus qui portent atteinte au message qu'il véhicule. Qu'en pensez-vous ? Cheikh Abderrahmane Chibane : En effet, l'islam est une religion de paix, de tolérance et de fraternité universelle. Cette religion est venue éclairer l'esprit des gens, les guider vers la vérité divine. Le message du Prophète Mohammed (QSSSL) est universel, il s'adresse à l'ensemble de l'humanité et non uniquement à une tribu ou à une à nation. Le Prophète est aussi une bénédiction pour tous les êtres vivants y compris les animaux. Il est venu guider l'ensemble de l'humanité vers le chemin de la vérité. Dieu dit dans la sourate 21 - verset 107 : «Et Nous ne t'avons envoyé qu'en miséricorde pour l'univers.» En fait, les versets coraniques et les hadiths sont nombreux à montrer que notre religion prône la tolérance et la paix, non l'effusion de sang, ni les conflits avec les autres religions. C'est dire que ceux qui ternissent l'islam par leur comportement indigne n'ont rien à voir avec cette religion à laquelle ils prétendent appartenir. Celui qui peut parler de l'islam doit au préalable répondre à deux critères principaux : bien connaître et comprendre l'islam et bien transmettre son message. Or, de nos jours, beaucoup de gens parlent de l'islam sans le comprendre vraiment. C'est comme le médecin qui guérit et qui ne connaît rien à la médecine. Les versets coraniques sont clairs à ce sujet. Dans le verset 108, sourate «Youcef», il est écrit : «Dis : voici ma voie, j'appelle les gens [à la religion] de Dieu, moi et ceux qui me suivent.» Il est nécessaire donc que le Coran soit bien compris, pour qu'il soit bien interprété et bien transmis en privilégiant la voie de la sagesse et de la bonne exhortation. Si la prédication par la sagesse interpelle l'esprit afin de le convaincre, la prédication par la bonne exhortation interpelle le cœur afin de le sensibiliser. Le verset 125 sourate «les abeilles» a d'ailleurs bien défini la méthode du discours religieux : «Par la sagesse et la bonne exhortation, appelle les gens au sentier de ton Seigneur. Et discute avec eux de la meilleure façon. Car, c'est ton Seigneur qui connaît le mieux celui qui s'égare de Son sentier et c'est Lui qui connaît le mieux ceux qui sont bien guidés.» Aujourd'hui, tous les problèmes que connaît le monde musulman viennent du fait de l'incompréhension de l'islam. Nous voyons des gens qui n'ont que des notions superficielles mais en parlent, promulguent des fatwas à tort et à travers. Vu l'importance des deux versets coraniques cités précédemment, cheikh Ibn Badis (que Dieu ait son âme) les a rapportés en haut de la revue Chihab (éditée par les oulémas avant l'indépendance). C'est aussi une religion de tolérance envers les autres religions monothéistes ? Tout à fait. L'islam a toujours prôné la coexistence universelle avec tout le monde, de même que la fraternité dans sa dimension humaine, mettant l'accent sur les liens profonds d'égalité et de fraternité unissant tous les êtres humains. Le message de l'islam a une portée universelle et il n'y a de ce fait point de préférence entre les humains, si ce n'est par la piété, conformément au verbe coranique. «Ô hommes, Nous vous avons créés [des œuvres] d'un être mâle et d'un être femelle. Et Nous vous avons répartis en peuples et en tribus afin que vous vous connaissiez entre vous. Les plus méritants sont, d'entre vous, les plus pieux.» Dieu nous a créés pour nous connaître, nous entraider et nous aimer. Le prophète Mohammed (que la paix soit sur lui) a été le meilleur exemple durant toute sa vie. A la fois comme chef religieux et homme d'Etat, il a fait preuve d'une grande sensibilité et de respect dans ses relations avec «les peuples du Livre», les religions monothéistes. «Nulle contrainte en religion», est écrit dans le saint livre. Il interdisait de faire du mal aux non musulmans et demandait aux musulmans de bien les traiter. En fait, il y a deux fraternités en islam, une fraternité humaine générale et une fraternité particulière entre musulmans. Outre la fraternité avec les non musulmans que reconnaît l'islam, il y a la fraternité avec les musulmans. Ces derniers sont appelés à s'entraider, à s'unir et à être solidaires... Aujourd'hui, avons-nous suivi cette voie ? Les faits montrent malheureusement que nous nous sommes égarés des recommandations du Prophète ; l'exemple vivant, celui d'El Qods qui est entre les mains des Israéliens. Où sont donc passés plus de 1 milliard de musulmans ? Ils brillent par leur absence. S'ils avaient uni leurs forces, avaient consenti à donner un peu de leur argent à la cause palestinienne, on en serait certainement pas arrivés là aujourd'hui. Il est regrettable que les musulmans soient rongés par leur «individualisme». L'union constitue la force et la force est source de dignité. L'islam est contre la violence et l'effusion de sang. Toutefois, il recommande aux musulmans de n'utiliser la force que pour se faire respecter. Aujourd'hui, Sharon, aux yeux de Bush défend son bien légitime et les Palestiniens agressés sont perçus comme des terroristes, ce qui est illogique. Il faut se battre pour se défendre et ne jamais être celui qui porte le premier coup. Ce que rapporte le saint Coran : «Combattez dans le chemin de Dieu ceux qui vous combattent, mais n'agressez point. Dieu n'aime pas les agresseurs.» Donc Dieu appelle la force non pour l'effusion de sang mais pour dissuader l'agresseur. «Repousser la méchanceté par le bien ; alors il adviendra entre lui et vous, qui vous vous haïssez, d'être amis et unis. Et nul ne parviendra à cette perfection si ce n'est celui qui s'y exercera avec patience et modestie, nul n'y arrivera si ce n'est l'heureux», est un autre verset qui prouve que les musulmans n'utilisent la violence qu'en dernier recours. En fait, la coexistence pacifique évoquée par les communistes, Dieu en a parlé 14 siècles auparavant. On assiste ces derniers jours pendant le Ramadhan à une prolifération de fatwas, qui rivalisent en absurdité, (diabolisation de Mikey Mouse, zlabia illicite, autorisation du mariage de fillettes de 9 ans), des fatwas qui ne rendent pas service à l'islam. Ne pensez-vous pas que le mufti doit être soumis à des conditions rigoureuses ? J'ai, en effet, entendu parler de ces fatwas, ce sont vraiment des futilités. J'avais précédemment dit que seuls les oulémas qui comprennent l'islam peuvent en parler, or ceux qui émettent ces fatwas semblent totalement l'ignorer. Ce sont des aberrations qui dépassent tout entendement. Comment peut-on décider de rendre illicite la zlabia, parler de mariage pour une fillette de 9 ans ? Une fille de cet âge-là ne peut certainement pas supporter la charge du mariage. C'est absurde. Bon nombre de prédicateurs contemporains font l'amalgame entre vérités et mystifications. D'un niveau intellectuel limité, ils s'inspirent de sources non authentifiées, leurs fatwas et leurs discours sont truffés d'erreurs et tombent dans l'excès que même un profane peut relever à cause de l'insuffisance de leur niveau. El ijtihad en islam doit être précédé de savoir et de connaissances. Il y a un hadith qui dit que sur trois juges [cadi ou mufti], «deux sont en enfer et un au paradis». Ce qui montre que le juge doit faire preuve de connaissance et de conscience. Comment se fait-il que, dans certains domaines, par exemple en économie, seuls les spécialistes se permettent d'en parler mais en islam tout le monde le fait. J'ai, d'ailleurs, abordé cette question cela fait une année sur la revue interne El Bassair intitulé «les muftis sans savoir» (muftoune bidoune ilm). J'estime qu'un mufti doit répondre à certains critères et s'armer de culture, de savoir et faire preuve de mansuétude, d'intégrité et de scrupules, craignant Dieu, voulant le bien de la nation, ne cherchant pas le gain d'argent. La plus grande agression contre l'islam, c'est de promulguer une fatwa sans connaissance de la charia. Un médecin doit avoir fait des études, sanctionnées par un diplôme pour exercer, c'est le cas du mufti ; il doit être spécialisé dans le domaine. Ne pensez-vous pas que ceux qui promulguent ces fatwas devraient plutôt le faire dans le bon sens : appeler les musulmans à plus de fraternité, à combattre la haine, les raisons du terrorisme… Qui est habilité à produire des fatwas, ne devrait-il pas y avoir un contrôle ? Absolument. Un contrôle des fatwas s'impose évidemment. Il faut organiser et mettre un terme à l'anarchie qui règne. Il est, en effet, proclamé dans un hadith du Prophète : «Votre mission consiste non pas à compliquer la vie mais à la faciliter.» Ces imams et ces prédicateurs s'occupent de futilités et s'attardent sur des questions d'intérêt minime au lieu de guider la nation musulmane vers le développement et le progrès. Le Prophète disait dans un hadith : «Facilitez-leur la tâche et ne leur créez pas de difficultés, promettez aux gens [la bonne récompense] et ne les dégoûtez pas de la religion.» Le dernier rapport du département d'Etat américain sur les libertés de culte a critiqué l'Algérie pour le non-respect des libertés individuelles en matière de religion… Qu'en pensez-vous ? J'ai justement écris un article sur ce sujet dans notre revue interne El Bassair, dans lequel j'ai dit que ceux qui nous accusent de non-respect de la liberté de culte n'ont tout simplement pas honte. C'est quand même aberrant. Qui est donc en train d'agresser les autres religions, qui est en train de coloniser des pays, d'imposer un mode social et une religion. Ce n'est certainement pas l'Algérie. Le département d'Etat américain, qui critique l'Algérie, devrait voir du côté de George Bush qui a envahi l'Irak, l'Afghanistan et qui accorde un soutien aveugle à Israël. N'est-ce pas là des agressions visibles au vu et au su du monde entier. Et lorsque des peuples, comme celui de la Palestine, persécutés et agressés par l'Etat hébreu se défendent et font de la résistance on les traite de terroristes. Voilà qui est absurde. L'Algérie n'a jamais interdit la liberté de culte, ce qui est, en revanche, inadmissible, c'est de faire dévier des Algériens de leur religion en usant de moyens clandestins, en pratiquant des cultes qui n'ont pas été autorisés dans des garages... Nous n'avons jamais demandé à un Suisse ou à un Français de se convertir à l'islam ; or, ce qui n'est pas tolérable, c'est d'essayer d'agresser les lois de la République algérienne et de mener des campagnes d'évangélisation auprès des Algériens. C'est donc l'islam qui est agressé et non l'inverse. En ce sens, les lois promulguées par le gouvernement algérien ne viennent pas interdire aux gens de pratiquer librement leurs confessions mais de faire en sorte qu'il n'y ait pas d'agression conte l'islam. La décision du gouvernement algérien est donc, à ce titre, juste, sage et parfaitement démocratique. Elle garantit le droit à chacun d'exercer sa religion sans empiéter sur les libertés des autres. Qu'en est-il du mufti de la République ? Honnêtement, je ne sais pas si c'est pour bientôt. Vous savez, je ne suis pas proche des cercles décisionnels (rires). J'ai entendu, tout comme vous, parler de ce projet. C'est une bonne chose. Il faut dire que le «mufti el djoumhourya» est une ancienne tradition qui existait dans les civilisations islamiques. Il y a bien des bureaux de consultation en matière d'économie notamment, c'est quasiment pareil. Pratiquement, c'est bien qu'il y ait, d'un côté, un conseil islamique pour étudier et examiner les grandes préoccupations et, d'un autre côté, un mufti qui puisse répondre aux affaires quotidiennes afin que les Algériens ne s'égarent pas en recherchant des réponses en dehors de la religion. Le mufti de la République doit être armé de savoir et avoir des principes. Il doit être digne de confiance. J'estime qu'il faut mettre la personne qu'il faut à la place qu'il faut si l'on veut faire avancer le pays et la nation. On assiste ces derniers jours au phénomène des «fatwas par satellite» ; or, l'une des conditions d'un mufti, c'est d'être en parfaite connaissance de données sociales et culturelles… Les chaînes satellitaires comptent d'illustres oulémas qui ont un grand savoir en islam. Mais, en revanche, il y a ceux qui ne connaissent rien et qui prétendent tout savoir. Nous ne pouvons pas empêcher les gens de véhiculer des mensonges comme on ne peut pas mettre fin aux vols ni aux agressions. Dieu dit dans le verset 36 sourate «El israa» : «Interrogez là-dessus les gens de l'écriture, si vous l'ignorez !» J'estime par ailleurs que c'est le vide qui pousse les Algériens à aller vers ces émissions satellitaires. Ne dit-on pas que la nature a horreur du vide ? La responsabilité est, selon moi, partagée. Vous savez, par le passé, beaucoup d'Algériens se rendaient à l'étranger pour des soins médicaux car nous ne disposions pas des compétences humaines et matérielles. Aujourd'hui, si l'Algérie avait formé des oulémas, créé des instituts de formation en charia, on n'en serait certainement pas arrivé là. C'est la pauvreté en savoir qui fait que des Algériens s'orientent vers les oulémas via le satellite, car ils n'ont pas ce qu'il faut ici. L'Algérie doit former et encourager ceux qui se spécialisent dans la charia. Le savoir est la base de la réussite. Et le vide ouvre la voie aux charlatans qui abondent leurs aberrations et qui trouvent un écho. J'avais d'ailleurs écris un article en 1948 intitulé «Islam ijtihad et djihad», insistant sur l'importance du savoir pour aller de l'avant. Prenez l'exemple de l'imam Ibn Badis, un éminent savant et théologien avant l'indépendance.Malheureusement, son mouvement a été brisé après l'indépendance. Au lieu d'encourager son successeur cheikh Bachir Ibrahimi, l'un plus grands savants dans le monde arabe à son époque, à poursuivre son chemin, on l'a marginalisé. Que pensez-vous de l'émission «Forsane El Kora'an» C'est l'une des meilleures émissions produites jusqu'à maintenant. Une merveilleuse et heureuse initiative. Cette émission a parfaitement réussi à réunir la beauté de l'islam et sa majesté en ce mois béni qui a vu la révélation du Coran. Le premier verset révélé dans le Saint Coran appelle à la lecture et insiste pour la quête du savoir. «Lis au nom de ton Seigneur qui a créé ! Qui a créé l'homme d'une adhérence. Lis ! Car ton Seigneur est le très généreux, Qui a enseigné par le calame, Qui a enseigné à l'homme ce qu'il ignorait.» N'est-ce pas la meilleure preuve que notre religion fait du savoir la quête suprême.