Les politiques qui ont d'abord essayé d'éviter la faillite de la Grèce doivent se rendre à l'évidence : Athènes ne remboursera pas. Ils doivent maintenant organiser le défaut de paiement de la Grèce pour éviter la contagion au reste de la zone euro.La tourmente qui s'est emparée des marchés au cours des derniers jours et les quelques informations qui filtrent des milieux officiels avant les réunions des ministres européens des Finances vendredi et samedi prochains en Pologne le laissent présager : on est proche d'un accord durable sur la question grecque.Pourquoi alors les marchés boursiers ont-ils plongé aussi bas, en dépit de quelques tentatives de redressement ? Parce qu'on s'oriente enfin vers la solution qui s'imposait dès le départ : le défaut de paiement de la Grèce. C'est en tout cas cette hypothèse qui est envisagée aujourd'hui par les milieux financiers et c'est cela qui provoque la chute du cours des banques les plus engagées envers la Grèce, comme les grandes banques françaises.Est-ce vraiment une bonne solution et pourquoi l'adopterait donc aujourd'hui ? Non, assurément, ce n'est pas une bonne solution - les gouvernements ont d'ailleurs tout fait pour l'éviter, mais c'est la moins mauvaise et il n'y a plus vraiment le choix. Pourquoi il fallait refuser une «faillite» grecque Que la Grèce fasse défaut, c'est-à-dire que son gouvernement admette qu'il ne pourra pas rembourser ses créanciers, ou tout au moins qu'il ne pourra les rembourser qu'à hauteur d'un certain pourcentage des montants dus, ce serait assurément une triste nouvelle. Pour la Grèce, bien sûr, parce que sa réputation internationale serait durablement ternie, que les financiers mettraient des années avant de lui faire de nouveau confiance et que, pendant ce temps, ses habitants devraient accepter une mise sous tutelle budgétaire extrêmement rigoureuse.Mais pour l'Europe aussi, cette solution présente de nombreux inconvénients : accepter un défaut grec, ce serait reconnaître qu'un membre de la zone euro a pu laisser ses finances publiques aller à vau-l'eau sans que ses partenaires ne le voient et réagissent ; ce serait reconnaître aussi que l'union monétaire ne constitue pas pour ses membres une protection très efficace.Tout militait donc pour le refus d'un défaut de paiement de la Grèce. Les gouvernements se devaient de chercher des solutions alternatives. On peut estimer que leurs interventions ont été entachées de trop d'hésitations, de controverses, de pertes de temps, etc., mais, sur le fond, on ne peut leur reprocher d'avoir cherché à explorer d'autres voies. Malheureusement, ces tentatives étaient vouées à l'échec : depuis le début de la crise, c'est-à-dire depuis près de deux ans, les économistes ne cessent de répéter que la Grèce aura d'énormes difficultés à rembourser sa dette et les financiers en sont convaincus. Tous les efforts menés en Europe ont consisté jusqu'à présent à faire en sorte que la Grèce paie les taux d'intérêt les plus bas possible et que le remboursement soit étalé dans le temps. Pourquoi il faut l'accepter maintenant Mais cela ne peut suffire : non seulement la dette demeure, mais elle s'accroît car le gouvernement grec n'arrive pas à réduire le déficit public, pour de multiples raisons qui ne dépendent pas toutes de lui. Chaque plan de sauvetage permet de calmer temporairement les marchés, mais ne les rassure pas vraiment : on ne peut pas aller contre les évidences. Et l'évidence, c'est que le fardeau de la dette est aujourd'hui trop lourd pour la Grèce ; il ne peut plus être question de l'alléger à la marge, il faut tailler dans le vif, d'une façon ou d'une autre (la technique financière autorise les opérations les plus brutales exprimées dans un langage neutre et politiquement correct). Pour un défaut de paiement «contrôlé» Ce qui se joue maintenant, c'est cela : les investisseurs misent sur le fait que les politiques n'ont plus le choix et vont cesser de nier la réalité. Ce pari n'est pas stupide. On a entendu Angela Merkel affirmer le mardi 13 : «La priorité absolue est d'éviter un défaut de paiement incontrôlé.» Ce qui, a contrario, laisse penser qu'un défaut de paiement «contrôlé» pourrait être envisagé. Crever l'abcès est la seule façon de sortir d'une crise qui n'a que trop duré. En faisant du cas grec un cas à part, on pourrait ainsi mieux protéger les autres pays et éviter un effet domino. Les fortes pressions exercées par l'Europe sur l'Italie pour qu'elle adopte son troisième plan de rigueur en l'espace d'un an ne sont pas fortuites : il s'agit maintenant de montrer que, dans les autres pays, la situation est gérable et qu'il ne faut pas extrapoler le cas grec. Cette tentative peut réussir si les Européens tiennent leurs engagements, qu'il s'agisse du Fonds européen de stabilité financière ou de la mise au point de politiques économiques mieux coordonnées. Cela implique-t-il une sortie de la Grèce de la zone euro ? Non. D'abord, le cas n'a pas été prévu. La question se pose de savoir si une sortie de l'euro n'entraînerait pas une sortie de l'Union européenne, ce qui priverait la Grèce de la manne des fonds structurels européens. Par ailleurs, le changement de monnaie serait long et complexe, il appauvrirait les Grecs et il n'est pas sûr que leur industrie serait en mesure de profiter de l'avantage de compétitivité procuré par une monnaie dévaluée.Ce serait aussi un signal envoyé à tous ceux qui rêvent de détruire la zone euro, à l'intérieur de la zone comme à l'extérieur, plus par idéologie que par raisonnement économique. La théorie du complot est excessive : beaucoup d'investisseurs, y compris anglo-saxons, sont prêts à accepter une zone euro forte, s'ils ont la perspective d'y gagner de l'argent… En ce sens, la venue en Pologne du secrétaire américain au Trésor, Tim Geithner, pour la réunion du conseil Ecofin est une bonne nouvelle, de même que les contacts récents pris avec la Chine et les grands pays émergents : il semble bien que l'on s'oriente enfin vers une solution globale et durable.Si cette grille d'analyse est juste et si elle est confirmée par les événements, alors on peut espérer une relative stabilisation des marchés. «Relative», car d'autres interrogations demeureront, comme l'ampleur du ralentissement qui guette les grands pays industriels. Mais si, hélas, on s'en tient une nouvelle fois à des solutions provisoires, la réaction risque d'être violente. Les marchés sanctionnent toujours durement le déni de réalité. Et, sur ce point, on ne peut leur donner tort. G. H. *Journaliste, spécialistes des questions financières et patrimoniales. Auteur de la Bourse pour les nuls (First Editions). In slate.fr