Vendredi saint, à l'ONU, Mahmoud le Palestinien était porté par le souffle de Mahmoud, l'autre Palestinien, l'éternel poète qui définissait son peuple comme un martyr de la cartographie. L'esprit tutélaire de Mahmoud Darwich était présent aux Nations unies au moment même où Mahmoud Abbas déposait sa demande de reconnaissance d'un Etat palestinien. Les mânes du poète planaient aussi sur la tribune onusienne lorsque Yasser Arafat prononçait son célèbre discours du fusil et du rameau d'olivier. C'était le 13 novembre 1974, quelques mois après la reconnaissance par l'Onu de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) comme représentant du peuple palestinien. Dans un cas comme dans l'autre, les mots passants de la Palestine comme métaphore avaient pour auteur le même poète. De lui et des siens, Mahmoud Abbas a dit cette fois-ci qu'ils sont «debout ici, assis ici, toujours ici, éternels ici» ; que ce peuple sans terre et sans Etat a «un seul but, un seul : Etre.» Avec d'autres mots de Mahmoud Darwich, Abou Ammar avait clamé l'autre fois qu'il était «venu porteur d'un rameau d'olivier et du fusil du combattant de la liberté.» C'était le temps où le leader de l'OLP exhortait la communauté des nations à ne pas laisser tomber de ses mains la brindille d'olivier. De Mahmoud Abbes, l'Abou Mazen des Accords d'Oslo, une droite israélienne extrême, pleine de morgue et bouffie d'arrogance, a dit il y a quelques mois qu'il était faible, usé comme un «poulet déplumé». L'homme était certes fatigué mais l'était surtout d'avoir été trompé et trahi par un Obama et une Union Européenne dont l'immobilisme diplomatique fabrique l'impuissance politique. L'avocat inlassable de la voie diplomatique, l'homme des premières négociations secrètes avec Israël, en 1985 à Paris, décide alors de faire bouger des lignes devenues immuables. Le président d'une latente Autorité palestinienne était arrivé au bout de son long cheminement vers la paix. Le statu quo était intenable. L'impéritie de Barack Obama l'avait ulcéré. Toutes les rencontres avec les Israéliens avaient abouti à l'impasse. A aucun moment, il n'a obtenu un arrêt complet ou partiel d'une colonisation qui a triplé depuis les Accords d'Oslo (1993). Alors, bien avant de se rendre à l'Onu et d'y braver les Etats Unis et Israël, le vieux routier de la diplomatie a sillonné le monde, recueillant de nouvelles reconnaissances de la Palestine, pays par pays, en prévision de l'ultime raid diplomatique de ce 23 septembre 2011. Il y a comme du Ghandi dans ce Mahmoud Abbas qu'on a longtemps cru voué à l'impotence, considérant son sens du compromis comme la marque de fabrique d'un émasculé diplomatique. Il n'en est rien de tout cela : l'homme a finalement la vue et le souffle longs. Il est déterminé, sinon à changer le cours d'une histoire écrite d'avance, au moins à prouver à son peuple qu'il aura tout fait de possible pour les mener à la paix, seul chemin vers un Etat palestinien. Un Etat indépendant sur un territoire viable, c'est-à-dire qui ne soit pas une peau de léopard parcellisée, sans continuité. Il était enfin temps, comme le disait Mahmoud Darwich de ne plus «rester immobiles dans le camp des presque, celui des qui ont presque une autorité, presque un ministère, presque une occupation et, en même temps, qui n'ont rien.» Il était donc temps pour Abou Mazen de mettre les Etats Unis, Israël, l'Europe et le reste du monde devant le mur de leur responsabilité historique. Alors, devant une ONU ressemblant à un mur des lamentations diplomatiques, le vieux briscard de la paix a déjà réussi à faire admettre l'entité palestinienne comme Etat. Il a fait passer des territoires occupés au stade d'Etat occupé. Là est sa grande victoire remportée dans le domaine symbolique. Là où, comme le soulignait Mahmoud Darwich, «Israël, au lieu d'un Etat qui opprime, devient une valeur éthique, au-delà de toute loi : un phénomène non plus historique mais divin.» De manière concrète, immédiate, Mahmoud Abbes a réussi à remettre la question palestinienne au cœur du débat international. En brandissant la demande écrite d'adhésion de 22% de la Palestine historique à l'ONU, comme Yasser Arafat a tendu en son temps le rameau d'olivier, Mahmoud Abbes a imposé le profond cri de légitimité palestinien face au sempiternel déni de reconnaissance d'un peuple. Les Palestiniens des territoires et de la diaspora, eux, ont gagné un nouveau leader. Peut-être, le père d'une future nation libre, indépendante, souveraine et certainement démocratique. Inchallah, avec comme capitale Al Qouds, à l'est de l'éternelle Jérusalem. N. K.