L'abcès n'est toujours pas crevé. Vingt ans après, le soulèvement, ou la révolte, du 5 Octobre 1988 n'a toujours pas livré tous ses secrets. Vingt ans, c'est donc l'âge d'un événement qui -sans être considéré comme une révolution- a changé complètement l'image de l'Algérie. S'il a permis une ouverture politique et médiatique, il a aussi charrié plus d'une décennie de violences inégalées. Petit rappel historique. En cette fin des années 1980, l'Algérie vivait des mutations économiques profondes. La chute du prix du pétrole en 1986 a frappé le pays de plein fouet. La crise économique s'incruste et les produits alimentaires manquent terriblement. C'est la période des grandes pénuries. Un climat de tension se fait sentir partout dans le pays. Les premières émeutes éclatent. Des jeunes déchaînés s'en prennent à tout. Magasins, banques et administrations publiques sont saccagés. La colère gagne tout Alger en ce 5 octobre et se propage vite à travers le pays, obligeant l'armée à intervenir. L'état de siège est décrété et l'armée réprime. Des centaines, voire des milliers de jeunes ont été soit blessés, soit arrêtés. Quant au bilan des morts, les autorités parlent de 190 décès. D'autres sources, notamment des associations de défense des droits de l'Homme -un comité dénommé «comité contre la torture» est créé- avancent, elles, près de 400 morts. Tous, ou presque, des jeunes. C'est ce qui a inspiré cette célèbre phrase à un des dirigeants de l'époque : «chahut de gamins». Chahut de gamins ? Ce n'est pas vraiment exact. Puisque le 10 du mois d'octobre, le président de l'époque, Chadli Bendjedid, s'adresse à la nation pour appeler au calme, d'un côté, et annoncer des réformes politiques, de l'autre. Ces réformes ont conduit à l'adoption de la Constitution de 1989 qui met fin à l'Etat FLN et ouvre le champ politique et médiatique à la pluralité. La suite est connue. L'agrément des partis politiques, appelés alors associations à caractère politique, se fait à tour de bras au point que, en 1994, on en a dénombré plus de 60. Dans le lot, le Front islamique du salut (FIS), dissous en 1992, qui raflera la mise au moins par deux fois : les élections locales de février 1990 et les législatives -interrompues- de décembre 1991. Mais au-delà de l'ouverture politique et médiatique, beaucoup de zones d'ombre entourent l'un des événements les plus sanglants de l'Algérie indépendante. Les pénuries ont-elles été provoquées ? Les émeutes ont-elles été spontanées ? L'ouverture démocratique est-elle réelle ? Les émeutiers ont-ils des revendications politiques ? Ce sont autant de questions qui restent sans réponse jusqu'à aujourd'hui. Mais si ces questions ne trouvent pas de réponse, des constats se sont imposés. Il est établi que, quel que soit le fil conducteur de ces manifestations, le courant islamiste, confiné jusqu'à octobre dans les quartiers et les mosquées, est sorti au grand jour en réussissant à récupérer la révolte des jeunes, que ni les appareils de l'Etat ni les courants dits progressistes n'avaient réussi ni à rassurer ni à canaliser. Il faut dire qu'à l'époque la population de manière générale était prête à en découdre avec un pouvoir discrédité à jamais. Quitte à s'allier avec le diable. L'Algérie des années 1990 n'a pas été non plus meilleure que celle de cette fin des années 1980. Les clivages politiques et idéologiques se sont exprimés de la manière la plus violente, causant des dizaines de milliers de morts et des milliards de dollars de pertes économiques. Et les séquelles de ces années de braise sont encore vivaces. Certaines langues commencent à se délier. Des personnalités politiques clament que la révolte de 1988 est celle du pain et non celle de la démocratie. D'autres soutiennent le contraire et parlent du recul des acquis d'Octobre. Autant dire que le mystère reste entier. A. B.