Près de vingt ans après les événements d'octobre, le pays offre l'image d'une Algérie encore plus malade. Les médications qu'on a soi-disant tenté de prodiguer à la situation explosive des Algériens au lendemain d'un certain 5 octobre 1988 n'ont pas apporté les remèdes escomptés. C'est le désenchantement général. Le pays est, en effet, aujourd'hui encore, sous l'emprise des problèmes objectifs et subjectifs qui le tiennent en tenailles depuis des décennies. Le pari démocratique s'est transformé dramatiquement en une grande supercherie où il n'y a de place qu'à la figuration, à la forfanterie politique, à la gabegie et à la prédation économique. En politique comme en économie ou le social, l'Algérie découvre à ses dépens qu'elle s'est fourvoyée dans des élans liberticides dans sa quête d'ouverture. Un véritable capharnaüm a supplanté le dirigisme et le rigorisme du parti unique : constellation d'associations politiques sans ancrage populaire et satellitaires, apparition soudaine de nouveaux riches, paupérisation de la société, déception de rêves inaccomplis, tout cela sur fond de terrorisme et d'incertitudes multiples. Les événements sanglants d'octobre ont-ils servi à ce que l'Algérie justifie son passage à un autre mode de gestion d'un pays qui s'est trouvé au bord du gouffre en raison de l'effondrement des cours de pétrole ? Auquel cas, il faudrait alors conclure à la « révolution du palais ». Ou Octobre n'est-il pas plutôt le cri de révolte d'une jeunesse en mal de vivre qui compte bien prendre son destin en main ? Les manifestations de 1988 qui ont été réprimées, on le sait, dans le sang n'ont en tout cas pas charrié, vingt ans après, les avancées démocratiques souhaitées, et le rêve d'un plus de liberté devient de plus en plus contrarié presque au quotidien. Entre-temps, la société observe, impuissante, des compromissions avec les plans du pouvoir qui n'a d'yeux que pour la chose économique, l'économisme étant, pour lui, la solution idoine aux problèmes de l'heure. Le rêve d'octobre, pour autant qu'il soit interprété comme une quête de liberté, d'un idéal démocratique, ou comme un vœu de rupture avec l'imposture institutionnelle dans toute sa manifestation démocratique, ce rêve, si l'on en juge par le présent, a encore besoin d'un long sommeil pour qu'il soit accompli. Pendant ce temps, les jeunes ont bien choisi l'exil au péril de leur vie.