Ils étaient plus de six mille personnes à répondre lundi dernier à l'appel de la longue marche de la vérité sur les massacres commis par la France coloniale un certain 17 Octobre 1961, lorsque ces milliers d'Algériens vivant dans l'Hexagone avaient décidé de briser le mur de la peur et sortir réclamer haut et fort l'indépendance de l'Algérie. Des milliers d'Algériens, dont certains étaient venus à Paris rien que pour cette marche, des Français issus de nombreuses associations, partis politiques et syndicats, ont marché côte à côte pour dénoncer ce qu'ils qualifient de «crime d'Etat» que la France d'aujourd'hui doit reconnaître. La manifestation est partie du grand cinéma le Rex, situé au boulevard Bonne Nouvelle, dans le 2e Arrondissement et elle s'est terminée sur le Pont Saint-Michel où une plaque commémorative avait été installée il y a dix ans et devant laquelle un recueillement avait été organisé au début de l'après-midi, en présence du maire de Paris, le socialiste Bertrand Delanoë et de l'ambassadeur d'Algérie en France, Missoum Sbih. A 16h30, les manifestants étaient déjà devant le mythique Rex où «j'avais trouvé des dizaines de corps d'Algériens, ensanglantés, jetés par les policiers sur les trottoirs», le 17 octobre 1961, se rappelle Henry Boudoin, un des témoins de ces terribles évènements durant lesquels de nombreux manifestants algériens avaient été jetés dans la Seine et environ 13 000 autres avaient été arrêtés, torturés (dont certains à mort) ou expulsés vers l'Algérie. Une centaine d'associations avaient soigneusement préparé cette grandiose marche sur laquelle la presse française, quasi-acquise à la droite du président Nicolas Sarkozy, avait fait l'impasse. Mais le bouche à l'oreille avait réussi à mobiliser aussi bien les vieux que les nouvelles générations de jeunes militants, majoritairement issus des courants de la gauche et des mouvements associatifs qui luttent en France contre le racisme et la discrimination raciale et religieuse. Les manifestants ont défilé avec des banderoles et des planches en contre-plaqué, représentant les silhouettes de corps humains et portant les noms des manifestants algériens tués à l'époque par la police de l'ancien préfet Maurice Papon, «coutumier de la violence», selon l'historien français Gilles Manceron, un dispositif policier a été mis en place dès le début de l'après-midi pour encadrer les marcheurs jusqu'au Pont Saint-Michel. Une fois arrivés sur place, les organisateurs ont tenu un rassemblement qui a duré plus de deux heures. Plusieurs intervenants ont défilé sur la petite scène installée à l'occasion. Du haut de ses 94 ans qu'il fêtera ce 20 octobre, l'ancien diplomate français et militant politique de la démocratie, également auteur du livre «Indignez-vous», Stephen Frédéric Hessel a répondu à l'invitation de l'Association «Au nom de la mémoire» et du «Collectif du 17 Octobre 61», malgré le froid qu'il avait fait. «Il est essentiel que la vérité soit faite», a-t-il résumé son intervention avant de céder la parole à l'historien français Gilles Manceron qui a demandé d'établir la responsabilité politique de l'époque, que les archives concernant cet évènement soient accessibles aux chercheurs, et les commanditaires de cette sanglante répression soient jugés. Pour Gilles Manceron, il n'y a pas que Maurice Papon qui en est responsable. Selon lui, l'ordre a été donné à Papon d'user de la violence suite à une décision prise par le Conseil interministériel du gouvernement français de l'époque. «L'ouverture des archives est plus que jamais nécessaire pour rétablir la vérité et afin que chaque acteur soit jugé pour ce qu'il avait décidé ou fait», a insisté cet historien. L'ancien syndicaliste, Henri Boudoin, a tenu lui aussi à rendre un hommage particulier aux ouvriers du constructeur automobile Renault, chez lequel des milliers d'Algériens avaient travaillé pendant de longues décennies. Pour Jean-Luc Einaudi, un autre historien français et aussi militant anticolonialiste, avait pris la parole pour raconter une partie de ce qui s'était passé cette soirée-là du 17 Octobre 1961, évoquant ces Algériens qui avaient les pieds et les mains attachés par des cordes avant d'être froidement jetés dans la Seine par la police dirigée par Maurice Papon, par ailleurs connu pour avoir livré des centaines de juifs aux mains des Nazis durant la Seconde Guerre mondiale. D'autres intervenants, à l'exemple d'Edwy Plenel, fondateur du journal en ligne Mediapart, des témoins anonymes qui avaient assisté en direct mais impuissants au massacre de ces milliers d'Algériens, sortis dans la rue pour une marche pacifique, d'anciens membres de la Fédération de France du FLN et des syndicalistes français ont défilé sur la scène afin d'alimenter la mémoire encore fraîche de ces dizaines de jeunes Français et Algériens, et leur faire connaître la vérité que l'Etat français ne veut toujours pas assumer, un demi-siècle plus tard.