Par tempérament, probablement par contrainte, le ministre algérien des Affaires étrangères n'évoque jamais les questions qui fâchent. Même en termes diplomatiques. Ce fut encore le cas cette semaine dans une interview à un journal en ligne où il n'eut aucun mot sur des sujets sensibles comme le Sahara occidental et la mémoire coloniale. Omissions volontaires sur des questions délicates qui concernent le Maroc et la France, deux pays «sensibles». Deux Etats avec lesquels l'Algérie entretient des relations rendues difficiles par le poids de la décolonisation et de la mémoire coloniale. Celui du règlement du conflit du Sahara occidental et, notamment, de la mémoire de la Guerre d'Algérie, marquée par le choc des mémoires. Dans les deux cas, il s'agit, et on le comprend bien, de faire en sorte à ce que ces deux questions n'impactent pas négativement les relations bilatérales. On se doit donc de ne pas rester prisonnier du principe de linkage, ce postulat d'association qui fait du conflit sahraoui et de la mémoire coloniale des préalables, c'est-à-dire des freins au développement des rapports bilatéraux. Mais tout de même. Homme sans aspérités, le ministre, qui est aujourd'hui à Paris, aurait été moins lisse s'il avait rappelé les positions de principe de la diplomatie algérienne. Des positions intangibles parce qu'elles sont justement de principe. Par exemple, dans le cas des liens avec le voisin marocain, dire qu'Alger et Rabat, qui ont été intelligents en 1989 lorsqu'ils ont dissocié les relations bilatérales et le dossier du Sahara occidental, peuvent l'être encore plus en 2011. Et, dans le cas de la France, évoquer, même avec des mots pudiques, cette manière qu'a la France sarkozyste d'honorer un héros militaire qui a fini dans le déshonneur de la torture pendant la Guerre d'Algérie. Il s'agit du transfert des cendres du général Marcel Bigeard, le militaire français le plus décoré de la Ve République. Sans entrer dans une nouvelle guerre des mémoires, dire d'abord que la France a parfaitement le droit de célébrer les grands mérites militaires d'un baroudeur d'exception. Mais qu'elle ne peut pas être à son aise lorsqu'elle offre l'onction d'un haut lieu de mémoire, comme l'Hôtel des Invalides parisien, à un général dont l'honneur de soldat s'est noyé un jour dans la Méditerranée. En même temps que les «Crevettes Bigeard», ces cadavres d'Algériens torturés, dont les corps lestés de béton, étaient jetés à la mer et finissaient, telles des crevettes, dans les ventres des poissons. Bien sûr, ce militaire hors normes, qui manifestait respect et admiration à l'endroit de ses ennemis, a toujours nié avoir lui-même torturé des militants du FLN. C'est tout juste s'il a reconnu, avec sa gouaille de parachutiste, l'usage de la gégène et du pentothal. Qu'il ait pu lui-même soumettre ses prisonniers à la Question, là n'est finalement pas le problème. La question, la vraie, qui est d'ordre moral, concerne sa responsabilité en sa qualité de chef militaire mandaté par les politiques pour rétablir, par tous les moyens, l'ordre à Alger. Bien plus tard, un autre général, qui avait lui aussi la conscience aussi lourde que le béton armé dont les parachutistes emprisonnaient les pieds des fedayin de la Casbah, l'avait quelque peu soulagée. Le général Jacques Massu, un autre militaire de choc de l'armée coloniale, avait fait son mea culpa : «Non, la torture n'est pas indispensable en temps de guerre (…). Quand je repense à la Guerre d'Algérie, cela me désole (…). On aurait pu faire les choses différemment.» Un autre parachutiste, moins glorieux mais sans états d'âme, le général Paul Aussaresses, avait reconnu, sans ambages, le recours systématique à la torture, comme technique de collecte de renseignements opérationnels. Il avait même admis que Larbi Ben M'hidi, âme pure de la résistance du peuple algérien, est mort finalement sous la torture des lâches. En tout cas, qu'il ne fut pas mort avec le courage propre aux lâches qui crèvent au bout d'une corde, comme le fit croire la propagande postcoloniale. Un autre général, lui aussi de choc et de légende mais d'honneur et de dignité, a, lui, dénoncé la torture. Avec éclat et constance. Le général Jacques Pâris de Bollardière a même payé de soixante jours d'arrêt de rigueur pour avoir fustigé sa pratique par des militaires fourvoyés dans des tâches de police. Quant à lui, le général Bigeard ne semble pas avoir eu de problèmes avec sa propre conscience, campant dans une position de déni et de mépris. Sans panache mais avec constance. Il a même souhaité que ses cendres soient éparpillées sur l'ancien champ de bataille de Diên Biên Phu. Ce que les autorités vietnamiennes, qui ont de la mémoire, ont refusé. Peut-être que Mourad Medelci, se rappellerait ce mercredi que les cendres de Bigeard aux Invalides, c'est comme une entrée au Panthéon : c'est le lieu même de l'absolution et de la sanctification d'un militaire qui a mal fini mais qui est fait héros éternel. Peut-être que notre ministre, voix d'une Algérie qui ne confond pas l'Histoire et la Justice, car la présomption d'innocence, ici, ne s'applique pas au général Bigeard, aura réussi alors à faire passer un message à la droite sarkozyste. Celui de lui dire qu'à force de vouloir prendre à Marine le Pen les totems et les noms, les légendes et les symboles, elle finit par enterrer une part de l'honneur de la France, dans une urne funéraire aux Invalides. Le dire ne serait pas une outrecuidance diplomatique. Des Français de dignité et d'honneur l'ont déjà dit. Avec la force du courage. N. K.