De notre correspondant à Paris Merzak Meneceur La date du 22 décembre 2012 entre dans l'histoire comme une date noire dans les relations franco-turques aux conséquences qui se sont fait sentir immédiatement. Comme prévu, malgré les avertissements d'Ankara, qui a dépêché à Paris deux délégations pour éviter le pire, malgré les appels à la raison du président de la République et du Premier ministre turcs, malgré un millier de manifestants devant l'hémicycle, les députés français ont adopté la proposition de loi sur la négation des génocides, mais qui visait clairement le génocide arménien, celui des juifs durant la Seconde Guerre mondiale étant déjà pénalisé. Si le texte avalisé par la cinquantaine de députés présents à la séance est cautionné par le Sénat, pas avant quelques mois, toute personne, en France, qui nierait le génocide de 1915-1917, que la Turquie rejette en tant que tel, sera passible d'une peine allant jusqu'à un an de prison et 45 000 euros d'amende. La crise franco-turque vient de franchir un nouveau palier dans l'escalade. Première réaction immédiate d'Ankara : le rappel de son ambassadeur en France, qui a rejoint son pays dès hier matin. Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre turc, n'a point temporisé pour déclarer, dès jeudi après-midi, depuis Ankara, que «cela va ouvrir des plaies irréparables et très graves dans les relations bilatérales» à cause d'«une politique fondée sur le racisme, la discrimination et la xénophobie». Et annoncer que : «Nous révisons nos relations avec la France.» Outre le rappel de son ambassadeur, celui de France est actuellement en vacances dans son pays, la Turquie a décidé de geler toutes ses relations politiques avec le gouvernement de Paris et ses consultations sur des dossiers sensibles, en premier lieu celui de la Syrie où elle joue un rôle central et stratégique. Sur le plan militaire, Erdogan a annoncé que «les exercices militaires conjoints avec la France et toutes les activités militaires avec ce pays ont été annulés». Il a précisé que toute demande militaire française d'utiliser l'espace aérien turc sera désormais étudiée au cas par cas, comme elle «rejette dorénavant toute demande française pour ses bâtiments de guerre de visiter les ports» de son pays.Sur le plan économique, Erdogan a annoncé que la Turquie ne sera pas au rendez-vous au Comité économique mixte France-Turquie, prévu en janvier à Paris. Les échanges commerciaux entre les deux pays, 12 milliards d'euros en 2010, vont en pâtir et le millier d'entreprises françaises installées en Turquie affichent déjà des craintes pour leurs activités, à l'image des grandes surfaces du commerce de détail bien implantées à travers le pays.Après l'annonce de cette première batterie de mesures, hier matin, le ton entre Paris et Ankara est monté d'un cran sur le plan politique. Paris apprend que, depuis Ankara, Erdogan l'accuse de «génocide» en Algérie. «On estime que 15% de la population algérienne a été massacrée par les Français à partir de 1945. Il s'agit d'un génocide», a affirmé le Premier ministre turc, qui interpelle le président Sarkozy en ces termes : «Si le président français, M. Sarkozy, ne sait pas qu'il y a eu un génocide, il peut demander à son père Pal Sarkozy (…) qui a été légionnaire en Algérie dans les années 1940. Je suis sûr qu'il a beaucoup de choses à dire à son fils sur les massacres commis par les Français en Algérie.»Dans ces attaques directes, frontales, contre le chef de l'Etat français, Erdogan l'accuse de chercher «des voix en attisant l'islamophobie et la turcophobie» et de jouer sur «la haine du musulman et du Turc». Des mots qui sont arrivés jusqu'à Prague, où Sarkozy, qui assistait aux obsèques de Vaclav Havel, ancien président tchèque, a demandé à la Turquie le respect des «convictions» des uns et des autres. «Je respecte les convictions de nos amis turcs, c'est un grand pays, une grande civilisation, ils doivent respecter les nôtres.» Il est certain que cette déclaration n'a fait ni chaud ni froid aux dirigeants turcs qui reprochent, déjà, à Sarkozy son opposition à l'entrée de la Turquie à l'Union européenne. Ils portent tous leurs espoirs sur une non-réélection de Sarkozy à la tête de l'Etat français le 6 mai 2012, pour entrevoir un hypothétique retour à la normale des relations franco-turques.En France, l'adoption de la proposition de loi à l'origine de la crise franco-turque fait tout de même débat, car il n'y a pas que des partisans à la volonté exprimée par les députés. Une des voix les plus autorisées en matière de droit, Robert Badinter, remet en cause la constitutionnalité de la loi. «Il s'agit d'un texte qui véritablement à mon sens est anticonstitutionnel», a-t-il déclaré, avant de préciser : «Ce n'est pas aux parlementaires de dire l'histoire. Moins encore aux parlementaires français quand il s'agit de faits qui ont été commis en Asie mineure (…) il y a un siècle, où il n'y a eu ni victime ni complicité française. Ca ne concerne en rien la France». L'ancien ministre de la Justice, qui a fait voter la loi contre la peine de mort, est convaincu que le vote des députés était guidé par des raisons électorales, à quelques mois des présidentielles, car la communauté arménienne en France «représente des centaines de milliers de voix». Pour le candidat socialiste à l'élection présidentielle, c'est une «opération électoraliste» d'autant que «le gouvernement a déjà dit qu'il ne transmettra pas la loi au sénat.» A droite aussi il y a des oppositions qui se sont exprimées, comme celle du président de l'Assemblée nationale, M. Accoyer, opposé aux lois mémorielles. Des lois où les législateurs se prennent pour des historiens.