En Algérie, comme notre économie est duale, le marché de change est double. Il est donc formel et informel. Ses taux sont administrés ou réels. Sachant que le régime de change officiel est régi par des règles drastiques et limitatives «applicables aux transactions courantes avec l'étranger et aux comptes devises», le marché parallèle de la devise s'est transformé en bourse de référence. C'est donc lui qui fixe la valeur réelle des principales devises étrangères et du dinar. Toutes les grandes villes du pays ont désormais leurs «places boursières», recours réguliers de particuliers, commerçants et autres trabendistes, ou simples citoyens non éligibles à l'accès à la devise. Les cambistes illégaux sont de véritables market makers, des acheteurs et vendeurs de génie, affichant toujours deux prix en fourchette. Ça vous en bouche toujours un coin lorsque vous les verrez aller du prix bid (au plus faible) au prix ask (au plus élevé). Ces spécialistes qui s'ignorent de la cotation à deux décimales, montrent un ahurissant contrôle de la concurrence. A Alger, au square Port-Saïd comme au marché Clauzel, à l'image des autres grandes agglomérations du pays, d'un courtier à l'autre, une fourchette ne peut pas être trop large. Ce qui vous donne l'impression de l'existence d'une main invisible ou d'une autorité de régulation virtuelle ! Ces virtuoses des cours de change savent attendre dans un marché calme et anticipent judicieusement dans un marché agité. Comme, récemment, à la faveur de la tenue du dollar et de l'euro, en fonction des soubresauts de la crise financière mondiale. Avec une maîtrise instinctive des techniques de cambisme, ils dominent les enjeux et connaissent les tendances. Ils n'ignorent rien non plus des indicateurs. Ils pigent presque tout des fluctuations, artistes qu'ils sont des cours spot et des cours à terme. Dans cette affaire-là, l'Etat apparaît comme une victime consentante. Le grand dupe qui se fait gruger à «l'insu de son plein gré». Impuissant qu'il est à connaître les acteurs sur ce marché noir qui fonctionne comme une zone grise de non-droit. Vu qu'il n'y maîtrise guère les types de transactions, l'absence de contrôle du marché parallèle de la devise rend la mesure de l'activité économique du pays partielle et aléatoire. La législation, notamment le règlement numéro 07-01 du 03 février 2007 encadre pourtant les intermédiaires, les «moyens de paiement étrangers», les comptes devises, les opérations de commerce extérieur sur biens et services, les autres opérations courantes et, enfin, les cas spécifiques soumis à des mesures conditionnelles. Les conditions, draconiennes et forcément contre-productives, sont un excellent allié du marché noir. Fait ahurissant, à l'exclusion des opérations autorisées et justifiées, la Banque d'Algérie, exceptionnellement, «examine et autorise toute demande de devises de bonne foi au-delà des seuils fixés aux droits et allocations» (sic et ouf !). De ce fait, en dehors de la possession de comptes devises, les particuliers ne sont pas autorisés à transférer de l'argent d'Algérie à l'étranger, malgré la présence d'expéditeurs de fonds, tels Western Union, DHL, UPS et Fedex ! Finalement, l'Etat restreint l'accès et le transfert des devises tout en tolérant un marché informel des changes. Surtout qu'il le laisse prospérer, quitte à en faire la bourse référentielle. Pourtant, l'Etat gagnerait beaucoup à agréer réellement des intermédiaires et à autoriser l'existence de bureaux de change comme c'est le cas au Maroc et en Tunisie. Laisser le marché noir siphonner une partie des flux en devises, c'est céder un peu de ses droits régaliens, un peu de sa souveraineté économique. En attendant, «BourSaïd», référence algéroise suprême du change parallèle, a encore de beaux jours devant elle. N. K.