Apparu au milieu des années 1970 à la faveur des pénuries générées par les monopoles d'Etat, le marché parallèle de la devise semble définitivement ancré dans la société algérienne comme réponse aux dysfonctionnements du système financier algérien. Dans notre pays, il n'y a toujours pas de marché des changes. Les seules transactions autorisées sont celles qui s'opèrent dans le cadre de la convertibilité commerciale à laquelle n'ont droit que les importateurs disposant de liquidités requises. Les voyageurs ont, quant à eux, droit à une maigre allocation touristique représentant à peine l'équivalent de 15 000 DA en devises, dont la parité est fixée par un marché interbancaire totalement inféodé à la Banque d'Algérie. Les besoins en devises des Algériens sont énormes et le système officiel d'allocation n'est pas suffisamment alimenté, encore moins organisé pour y faire face. Tous les exclus et les insatisfaits du système seront donc contraints de s'adresser à des opérateurs de change activant en marge de la réglementation officielle pour satisfaire leurs besoins en devises. C'est ainsi qu'est né et s'est développé le marché informel du change qui brasserait, selon les estimations, entre 8 et 10 milliards de dinars par an. Les postulants au change parallèle sont le plus souvent des voyageurs pour qui l'allocation devises ne suffit pas, des importateurs qui ne réunissent pas les conditions requises par la réglementation relative à la convertibilité commerciale du dinar et, depuis une dizaine d'années, certaines catégories d'Algériens qui quittent leur pays pour s'installer ou monter une affaire à l'étranger. Ce sont des sommes colossales en dinars convertis (en euros notamment) qui quittent chaque jour l'Algérie pour d'autres pays et plus fréquemment la France. C'est une situation qui du reste choque beaucoup les étrangers qui souhaitent investir en Algérie, mais qui sont troublés de voir les capitaux algériens prendre le chemin inverse. « Le fait de voir autant de capitaux quitter l'Algérie pour être investis en France me fait penser que quelque chose ne tourne pas rond dans le climat des affaires qui prévaut dans le pays. L'Algérie est officiellement en quête d'investissement direct étranger (IDE), mais à observer le nombre d'Algériens qui montent des affaires en France, on est forcés de croire que c'est plutôt l'Algérie qui alimente la France en investissements directs », nous explique un homme d'affaires d'origine algérienne rencontré il y a quelque temps en France. Notre interlocuteur a effectivement raison de s'interroger sur l'origine des circuits qui alimentent en devises toutes ces affaires sachant que la convertibilité du dinar est soumise à un certain nombre de restrictions qui en limite l'usage. Restrictions En effet, mis à part les importateurs pour qui d'importantes quantités de devises sont allouées pour honorer leurs commandes, il n'y a pas d'autres sources en provenance de canaux officiels qui puissent alimenter en devises un aussi gigantesque marché informel. Les surfacturations d'importation, dont les différentiels sont récupérés à l'étranger, peuvent effectivement être à l'origine de la constitution d'importantes fortunes en devises qui alimentent le change parallèle lorsqu'elles ne sont pas directement investies dans des affaires à l'étranger. La pratique de la valeur administrée à laquelle la Douane algérienne a longtemps astreint les importateurs algériens a beaucoup contribué à la constitution de ces fortunes. A titre d'exemple, un importateur de bananes auquel la Douane fait obligation de déclarer une valeur de 1 euro le kilo, alors qu'il avait conclu avec son fournisseur un prix de seulement 60 centimes d'euro, n'a d'autre choix que de demander à son fournisseur d'établir la facture selon la volonté de la Douane algérienne et de lui verser le différentiel sur un compte en France ou dans un autre pays étranger. Les valeurs administrées ont ainsi été à l'origine de la constitution de nombreuses fortunes à l'étranger. Les capitaux dus aux dysfonctionnements du commerce extérieur algérien mis à part, la source originelle, mais toujours abondante, reste l'émigration algérienne qui tiendrait à la disposition du marché informel environ 500 millions d'euros. Forte de près d'un million d'émigrés algériens, notre communauté transfère à peine 4 millions d'euros vers l'Algérie par les circuits officiels. Même si nos émigrés dépensent beaucoup plus du fait qu'ils résident à l'étranger en famille, leur épargne reste importante et ne trouve aucune structure suffisamment incitative pour la capter. C'est dans le marché parallèle qu'elle trouvera preneur à des conditions autrement plus avantageuses que celles offertes par les banques. Ce marché brassera des capitaux colossaux auxquels les Algériens ont pris l'habitude de faire usage, tantôt pour voyager, tantôt pour se soigner dans un pays étranger ou effectuer des transactions commerciales. La nature ayant horreur du vide, le marché informel de la devise ne fait en réalité que combler les défaillances du système financier algérien incapable de se structurer pour offrir la contrepartie devises à tous les Algériens qui en ont besoin pour peu qu'ils disposent de la contrepartie en dinars. Depuis que la réforme économique a démarré il y a plus de quinze ans, l'Algérie n'est toujours pas parvenue à créer un authentique marché du change animé par des cambistes professionnels. La législation existe pourtant depuis plusieurs années. Les barons du change parallèle sont-ils si puissants pour bloquer l'émergence d'un marché du change à une période aussi avantageuse pour son lancement (réserves de change importantes) ? Au vu de l'expansion débordante que le marché parallèle tend à prendre en dépit de son interdiction, la question mérite d'être posée.