«Guerre d'Algérie : la déchirure», le documentaire diffusé hier sur la chaîne française France 2 se voulait «inédit». Il en était loin. Si des images d'archives inédites ont été certes diffusées, il n'en demeure pas moins que le discours français reste le même : la déchirure entre l'Algérie et la France n'est que la résultante d'une violence, égale en atrocité, survenue d'un côté comme de l'autre. Autrement dit, les fellagas algériens avec leurs couffins ont fait autant de dégâts que les tirs de napalm des bombardiers français. Le débat qui a suivi le documentaire présenté par France 2 sur la Guerre d'Algérie n'a pour but que de relater l'histoire d'un point de vue français. Et c'est de bonne guerre, les médias français sont les relais de leur Etat et défendent son image. C'est le fait que les autorités algériennes ne réagissent pas, cédant du terrain aux plateaux français pour souiller et travestir notre mémoire auprès d'une jeunesse «branchée» outre-mer qui pousse à se poser des questions. Pour revenir à l'émission de France 2, le documentaire a voulu célébrer le cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie car «le temps semble venu de raconter la Guerre d'Algérie en regardant l'Histoire en face, sans tabous ni silences». Alors sans tabous, le plateau a invité Mme Danielle Michel-Chich, journaliste-écrivain qui a écrit «Lettre à Zohra D.». Zohra. D. n'est autre que Mme Zohra Drif, une des grandes figures de la Guerre d'indépendance, militante du FLN qui a déposé la bombe au Milk Bar, le 30 septembre 1956. Toujours sans tabous, une question ahurissante a été adressée à la moudjahida : «Est-ce qu'une cause juste peut justifier le recours à tous les moyens ? A tuer des innocents ?». Pour répondre à cette question, posons une autre question : «Est-ce que la pacification et le maintien d'ordre justifient le bombardement au napalm de dizaines, voire de centaines de villages algériens ? Est-ce qu'une cause, fut-elle juste, justifie le massacre de 45 000 innocents le 8 mai 1945 ?». Pas besoin de dire aussi qu'une guerre propre n'existe pas. Il apparaît clairement que la table ronde organisée à la fin du documentaire, voulait influencer les opinions. Sinon pourquoi cet arrêt sur image sur l'embuscade menée par le FLN contre un contingent français sur la route de Palestro, où 19 appelés français ont trouvé la mort. «Des innocents qui n'avaient foulé le sol algérien que depuis 14 jours», veut-on nous faire comprendre. Mais pourquoi ces Français se trouvaient-ils sur le sol algérien ? Ah oui, pour une opération de «pacification» à la française. Continuant à vouloir justifier les crimes contre l'humanité commis par la France durant la guerre d'indépendance par «le terrorisme utilisé par le Front de libération nationale», le documentaire explique la répression française, où plus de 1 200 Algériens ont été massacrés, par les attaques atroces et abjectes du FLN (20 août 1955) qui a tué 122 civils français. C'est cette recrudescence de violence enregistrée chez le FLN qui aurait décidé le gouverneur Jacques Soustelle à abandonner sa stratégie d'intégration et de répondre à la violence par la violence. Soustelle, qui avait créé les sections administratives spécialisées, voulait apprendre aux Algériens «à lire, à écrire et…… à chanter la Marseillaise». Mais les Algériens ont toujours refusé de chanter la Marseillaise et c'est ce que la France d'hier et d'aujourd'hui refuse de comprendre. Invité au débat qui s'est tenu après la projection du documentaire, Ali Haroun, l'ex-responsable à la Fédération de France et membre du Cnra, a essayé d'expliquer que le recours à la violence durant la guerre d'indépendance était un mal obligé après une très longue lutte pacifique. Il a même paraphrasé le grand martyr Larbi Ben M'hidi en disant : «Donnez-nous vos avions et vos bombardiers, nous vous donnerons nos couffins.» Il n'empêche que l'homme ne sera pas pertinent lors de son intervention. Sur la question des harkis, abandonnés par la France et «laissés à la merci des moudjahidine qui les ont massacrés sur ordre du FLN», selon un historien invité au débat, Ali Haroun a répété à plusieurs reprises que le FLN n'a jamais donné un ordre pareil. Il a indiqué, par ailleurs, que le 6 juin 1962, le FLN historique s'était disséqué et que des dépassements ont été commis entre mars et juillet de l'année de l'Indépendance. Questionné sur ce qui doit être fait par les deux Etats afin que les blessures causées par la Guerre d'Algérie soit pansées, Ali Haroun dira : «Il faut parler avec son cœur. On ne peut pas bâtir l'avenir sur des non-dits», et d'ajouter que le jeune Algérien, qui représente 85% de la population, «est loin de la Guerre d'Algérie. Il a d'autres problèmes à affronter.» Quels que soient les problèmes du jeune Algérien, ce dernier reste attaché à son Histoire, à sa mémoire et à sa terre, imbibée du sang de plus d'un million de martyrs. Tout comme son président, Nicolas Sarkozy, qui a affirmé, il y a quelques jours dans un entretien à Nice Matin, que la France ne pouvait pas se repentir d'avoir conduit la Guerre d'Algérie, même si les abus et atrocités commis de part et d'autre durant ce conflit devaient être condamnés, le présentateur de France 2 a bien fini son émission en glissant ces phrases : «L'on ne doit pas répondre à la violence par la violence […]. Il ne s'agit pas là de demander pardon.» La France refuse de demander pardon à l'Algérie. Car elle a peur d'être reconnue responsable des crimes contre l'humanité qu'elle a commis dans ce pays. Un demi-siècle après, il est vrai que «le temps semble venu de raconter la Guerre d'Algérie en regardant l'Histoire en face, sans tabous ni silences». Il faudra donc raconter les carnages, les exactions, les viols, la torture… Il faudra les raconter ici en Algérie, à nos enfants et nos petits-enfants, encore et encore pour que jamais nous n'oublierons, ni ne pardonnerons. H. Y.