Le réalisateur du documentaire La Chineest encore loin (2008), qui vient de remporter le Projecteur de Cristal au 11e Festival méditerranéen du film de Bosnie Herzégovine, revient avec La guerre secrète du FLN en France (qui sera diffusé le 23 septembre sur France 2 à 21h50, heure d'Alger). Une plongée dans l'histoire non-dite de la lutte FLN/MNA et des agents secrets qui ont porté la guerre de Libération en pleine «métropole». -La guerre de Libération portée sur le sol français n'est pas connue du grand public algérien, et ses acteurs sont presque considérés ici comme de vagues supplétifs, de seconds couteaux ou de planqués. Pourquoi ? C'est une rhétorique universelle. Il y a certainement confiscation par «l'histoire officielle», par les institutions, aussi bien du côté algérien que français. Mais mon rôle de cinéaste et documentariste est de continuer d'enregistrer ce qui pourrait être vu et regardé des deux côtés de la Méditerranée, sans tabou. Il est vrai que c'est une histoire qui a été peu auscultée par les films sur la guerre d'Algérie. Le 1er Novembre 1954, date officielle du déclenchement de la guerre de Libération, n'est pas synonyme d'affirmation d'une direction unique derrière le FLN, bien au contraire. La Fédération du FLN peut être considérée aujourd'hui comme véritablement le second souffle de la lutte de Libération et sa force de frappe à l'intérieur du territoire français a fait basculer l'opinion. La fédération a dû assumer la responsabilité de propager l'idéologie du FLN et la faire connaître auprès des milieux d'Algériens émigrés, entièrement dévoués aux messalistes, ce qui rendait d'autant plus difficile sa mission laquelle consistait à convaincre cette frange d'émigrés de la nécessité de contribuer à la réussite de la guerre de Libération. C'était une véritable organisation. -Dans quelle mesure les actions du FLN en France ont fait basculer la guerre d'indépendance ? Je pense que les actions du FLN en France ont joué un rôle essentiel pour faire basculer l'opinion française. Toute l'immigration (et pas uniquement en France, mais aussi en Allemagne, en Italie, en Belgique…) y a participé, ouvriers, commandos, cadres du FLN, étudiants, avocats. J'ai souhaité, au-delà des simples faits, explorer la stratégie du FLN sur le sol français jusqu'à l'indépendance : des attentats jusqu'à la bataille des idées pour rallier l'opinion publique française en passant par la vitrine juridique. Oui, pas uniquement les actions militaires, mais aussi le rôle crucial de la contre-propagande mené par le FLN en France, la mise en place des réseaux de soutien, comment le FLN a pu sensibiliser les intellectuels français et étrangers, approcher les éditeurs… Ca a été un travail de fourmi. J'ai appris énormément sur ma propre histoire. -La structuration du FLN en France a-t-elle été plus facile ou plus difficile que sa structuration sur le territoire algérien ? La structuration du FLN en France va s'étaler sur deux années, entre 1954 et 1956. Deux ans pour recruter, sélectionner des cadres, entraîner la population, établir des filières et réinventer la guérilla aussi bien en Algérie qu'en France, mais les «réseaux» aussi à l'étranger. Dans cette perspective, le FLN en France se constitue dès 1955. Disons que l'organisation du FLN va avoir à régler d'abord un vrai problème de leadership. Au bout de deux ans, le FLN sera perçu comme l'interlocuteur principal des Français au regard de l'intégration en son sein de tous les autres courants, à l'exception des partisans du leader nationaliste Messali Hadj. Les immigrés, enracinés dans les usines françaises, sont très politisés et en relation avec les différents syndicats. Ils sont aguerris à l'action politique et de plus ils sont très attachés à Messali Hadj. Je rappelle que certains responsables du FLN étaient avant tout des militants du MTLD puis du MNA. La bataille fratricide pour le contrôle de la Révolution algérienne et de l'immigration a été féroce, 4000 morts en France et 10 000 entre la France et l'Algérie. Cela fait partie de «notre» histoire tragique. En fait, le FLN s'est structuré d'abord pour arracher le leadership de la révolution puis pour mener une guerre urbaine en France, appelé le second front. Ils ont ainsi divisé le territoire français, en wilayas, comme la France a structuré l'Algérie en départements, c'était, comme le dit un témoin, «un Etat dans l'Etat». L'organisation était extraordinairement fine et efficace. -Vous parlez de révélations dans ce film, quelles sont-elles ? Nous apprenons beaucoup des hommes et des femmes qui ont été sur le terrain, en France, en Allemagne, en Belgique. Nous comprenons mieux le rôle de de Gaulle et de son Premier ministre Debré, les responsabilités... Le mot «révéler» prend une signification plus historique. Comme pour mes précédents films, le sujet peut «révéler» certains pans de l'histoire franco-algérienne, non connus. Le rôle de ce documentaire est de raconter les faits, en douceur, malgré la violence des témoignages. J'ai souhaité que le récit soit raconté, «révélé» de l'intérieur. Pour cela, j'ai opté pour un dispositif formel épuré. J'attendais de la succession et de la confrontation de ces témoignages, avant tout, une mise en forme plus nette des enjeux de ce documentaire c'est-à-dire la reconstitution d'un passé enfoui, la reconstruction d'une mémoire indispensable, prise entre la précarité des traces et le rituel de ce qui fait retour. Dans un documentaire, on parle souvent de sujet, mais sans dimension humaine et sans écriture cinématographique, ce qui nous ramène au sujet dans son dispositif théorique et non à la vie des personnages et cela ne fait pas un film mais un dossier, une thèse. J'ai tenté de «révéler» une histoire méconnue avec les récits des protagonistes qui ont une légitimité à témoigner, à raconter leur histoire. C'est cette chronologie des faits qui donne, me semble-t-il dans le film, une parole équilibrée, contradictoire. -Qu'en est-il des archives françaises de la guerre d'Algérie (textes, audio, vidéo) ? En tant que documentariste, y avez-vous accès et quelles sont les limites de votre travail ? Je suis toujours aidé par une documentaliste spécialisée, qui va à la recherche de toutes les sources possibles, françaises, algériennes et étrangères. La préfecture de police à Paris a bien voulu pour la première fois nous ouvrir une toute petite partie de ses archives. Nous y avons trouvé des photos de la police sur les attentats MNA/FLN et des manifestations d'octobre 1961. Les images d'archives les plus intéressantes sur la guerre proviennent surtout de sources étrangères, je pense aux Anglais, aux Belges et aux Suisses. Je tente d'obtenir le maximum d'images, photographiques, sonores et animées, pour pouvoir tricoter un récit, mais aussi confronter les sources et les recherches d'historiens sur une période donnée. -La structure actuelle du régime algérien est articulée autour d'anciens du MALG, de l'armée française et de l'armée des frontières. Les anciens de l'ALN et de la fédération de France sont mal représentés. Pourquoi à votre avis ? Je pense qu'il faut poser la question aux protagonistes. Il y a une réelle amertume. Ils ont probablement des réponses mais ils restent dignes et fiers. Je n'ai pas de réponses toutes faites à cette question. Etaient-ils trop politisés ? Plus lucides et structurés ? Avaient-ils une vision différente pour un bon départ de l'Algérie indépendante ? Y avait-il une discorde ? Sûrement, puisque aucun n'a eu, semble-t-il, des responsabilités politiques importantes par la suite. -Le combat du FLN sur le sol français a été l'occasion d'enregistrer les premiers morts par dommages collatéraux, des civils innocents sacrifiés sur l'autel de la libération par des bombes dans des endroits publics, ce que les Français ont immédiatement qualifié de terrorisme pur et dur. Avec le recul, pensez-vous qu'il était possible d'épargner les civils ? C'est difficile d'éviter les dommages collatéraux lors d'une guerre même urbaine… C'était plutôt une question de stratégie. Mohamed Harbi, qui était l'un des responsables de la Fédération de France entre 1956 et 1958, souhaitait que le FLN se comporte en France en organisation politique avec une adhésion volontaire. Il dit que la direction était plutôt favorable à «la contrainte». Il a démissionné de la fédération en 1958 pour ses raisons. Il pense que le FLN aurait pu avoir plus d'alliés... -Les conflits entre le MNA et le FLN étaient-ils à ce point importants qu'aujourd'hui, l'histoire officielle tente de les cacher ? Le film n'est pas uniquement sur cette tragédie, mais il est important aujourd'hui, me semble-t-il, de passer à une phase de démystification de notre guerre, sereinement. Cette guerre fratricide nous «révèle» et nous explique surtout comment le FLN s'est implanté en France. Je souhaitais rendre compte de cette histoire méconnue en racontant d'abord les faits. Il me semblait important de saisir les enjeux de cette période, comment le FLN s'est imposé comme leadership de la guerre ? Comment le FLN a-t-il mené sa bataille en France ? Avec une véritable mise en perspective historique. Vous savez, je suis un enfant de l'Algérie indépendante et j'avais vraiment envie de comprendre, comment les acteurs de cette histoire se sont engagés ? A partir de quelle émotion, de quel sentiment nationaliste, de quelles tendances politiques, de quelles influences, de quelles autres rencontres, réseaux…? A travers cette histoire, j'ai voulu aborder des questions essentielles sur la colonisation, sur la guerre d'Algérie, sur l'immigration et la main-d'œuvre algérienne en France et sur la montée du nationalisme algérien. Il y a aussi la question essentielle, universelle, celle de la liberté et de l'indépendance d'une nation. Il est important d'affronter les problématiques historiques, sociales, culturelles, sinon pourquoi faire du cinéma et plus particulièrement du documentaire ? Ne serait-il pas intéressant de créer une commission mixte d'historiens algériens et français indépendants qui pourrait écrire une histoire commune sur cette guerre, et même proposer des manuels scolaires communs aussi bien pour les élèves algériens que français. Je pense à l'exemple franco-allemand. Ça se fera peut-être un jour, non ?