Photo : M. Hacène Entretien réalisé par Ziad Abdelhadi
La Tribune : Depuis 2006, année d'entrée en scène de la Satim, le nombre de détenteurs de cartes à puce de paiement ne dépasse pas le million. En comparaison avec nos voisins tunisiens et marocains, nous sommes très en retard, comment expliquez-vous cet état des lieux ? NAWEL BENKRITLY : De prime abord, il me semble utile de rappeler que la Satim a été créée en 1995 à l'initiative de la communauté bancaire, et, de ce fait, c'est une filiale de huit banques algériennes à savoir, la Badr, la BDL, la BEA, la BNA, le CPA, la Cnep, la Cnma et Al-Baraka. Elle a pour mission d'introduire et de développer la monétique en Algérie. En clair, la Satim est l'outil qui personnalise les cartes de paiement que les banques lui ont livrées. Mais, je tiens à préciser que les banques achètent le support vierge. Par ailleurs, il faut savoir que notre installation a duré deux années, et ce n'est qu'à partir de 1997 que nous avons pu finaliser notre mode opératoire de déploiement. Deux ans ont été, en effet, nécessaires pour y arriver, car la création de tout système interbancaire de paiement électronique est un projet complexe qui comporte schématiquement deux volets : un volet technologique et un volet marketing (sur la base d'une étude de marché). Le volet qui nous incombe, à savoir la partie technologique, implique des investissements importants en réseaux IT/Télécom, la mise en place de plates-formes et protocoles permettant de traiter et de sécuriser les opérations ainsi que des équipements tels que les serveurs, les distributeurs automatiques de billets (DAB) et les terminaux de paiement électronique (TPE). Chose que nous avons mise en exécution, mais vite nous nous sommes heurtés à des contraintes qui ont freiné notre démarche. Ce qui nous a le plus pénalisés, c'est l'absence d'infrastructure téléphonique, ce qui n'est pas du ressort de la Satim, dans la mesure où de 1997 à 2006, le réseau Télécom était insuffisant pour ne pas dire inexistant. Voilà donc la raison majeure de la lenteur de notre déploiement. Depuis 2006, les choses vont beaucoup mieux grâce à la mise en service de l'IP et l'installation de réseaux spécialisés entre les banques. Ces liens ont permis à la Satim d'être connectée à 18 banques membres de réseau. Du coup, aujourd'hui, toute transaction de paiement se fait en temps réel dès lors que la banque contrôle, elle aussi, le solde de son client en temps réel. C'est pour dire enfin que la Satim est arrivée à maîtriser le volet technologique du système interbancaire de paiement électronique. Quant à la faible mise exploitation du réseau par les banques et le nombre réduit de détenteur de cartes à puce de paiement, cela relève plus des banques.
Peut-on connaître le nombre exact de DAB sous votre gestion actuellement et celui des cartes CIB que vous avez distribuées à ce jour ? Grâce à l'activation du réseau monétique que nous gérons, cela a permis aux banques de s'équiper en DAB. On en compte actuellement 850, à fin 2011, répartis essentiellement dans les grandes villes du pays. Pour ce qui concerne le nombre de cartes interbancaires ou CIB délivrées, il ne dépasse pas le million, ce qui reste tout de même faible.
A votre avis quelles sont les causes de ce faible engouement des clients pour les CIB, et ne considérez-vous pas qu'à ce jour l'action des banques de réseau pour encourager l'usage des cartes de paiement est plutôt timide ? Pour augmenter le nombre de détenteur de CIB, il faut avant tout que le système d'information des banques soit capable d'assimiler la somme des informations qu'il reçoit et la gérer en temps réel, ce qui n'est souvent pas le cas. Il faut savoir également que l'application de la monétique de façon efficace et durable a besoin d'un réseau bancaire et d'une plate-forme monétique pour les seuls échanges d'informations interbancaires, sans quoi on ne peut rien faire. En l'absence de ces facteurs indispensables, il serait prétentieux de croire à un éveil d'intérêt pour cet outil moderne de paiement chez les citoyens.
Quant bien même ces conditions seraient réunies, on constate ici et là qu'un nombre important de DAB sont à l'arrêt… A ma connaissance, les raisons divergent. Mais ce que je peux dire et comme j'ai pu le constater, il y a des agences qui portent beaucoup d'attention à leur DAB pour qu'ils restent tout le temps opérationnels, tandis que d'autres affichent un désintéressement complet. J'ajouterai, qu'en principe, les DAB doivent être alimentés toutes les vingt-quatre heures mais très souvent, ce n'est pas le cas. C'est pour dire, sans trop me tromper, que la gestion des DAB peut changer d'une agence à un autre. Une différence de traitement qui a fini par convaincre les clients de délaisser leur carte, car n'y trouvant aucune utilité sinon que des désagréments à chaque fois qu'ils tentent d'utiliser cet outil électronique de paiement ou de retrait. Cependant, je tiens à souligner que chaque fois que des DAB ne fonctionnent pas ou sont insuffisamment approvisionnés en liquidités, le rôle de la Satim est d'alerter les banques concernées, car elle n'est qu'une agence de surveillance.
Jusqu'à une période pas très lointaine, la raison majeure du faible engouement de la population bancarisée d'user d'une CIB et le désintéressement affiché des commerçants de se doter de TPE se justifiaient, d'un côté, par le manque de sécurité sur le réseau et, d'un autre, par le manque de confiance dans les TPE. Maintenant que les CIB et les TPE sont entièrement sécurisés selon le ministère des Finances, que reste-t-il à faire pour drainer plus de gens vers ce mode de paiement moderne ? Le paiement électronique nécessite beaucoup de temps pour être généralisé, car il s'agit de convaincre et le citoyen et le commerçant, chose qui n'est pas facile. Cette action devra être menée sur deux fronts : celui des usagers et celui des commerçants. L'esprit de cette action est simple, il repose sur comment rendre l'usage des cartes de paiement plus attrayant que l'usage des espèces pour les transactions courantes. Je citerai en exemple les opérations ordinaires qui pourraient être réalisées à distance grâce au TIC. En effet, tout Algérien muni d'un téléphone portable et d'une carte bancaire devrait en 2012 ou au plus tard à l'horizon 2013 être en mesure de payer ses factures courantes (eau, électricité, etc.) 24h/24, à distance et sans l'intervention d'un opérateur.Pour les commerçants, il s'agit autant d'encourager l'installation des TPE dans les points de vente que de dissuader, par divers frais, commissions ou pénalités, les dépôts d'espèces importants. Cette action doit également permettre aux commerçants qui acceptent les CIB de rester compétitifs par rapport aux commerçants qui n'acceptent que les espèces, sans facturer de TVA. Les mesures incitatives à explorer sont la réduction des commissions interbancaires, l'installation gratuite des TPE, la gratuité des abonnements pendant 1 à 2 ans. Une des mesures décidée dans ce sens par la Satim est la réduction des frais, commissions et tarifs bancaires sur toutes les opérations, à savoir la consultation de soldes et le retrait d'espèces dans tous les DAB.
Que fait la Satim pour faire avancer les choses ? A notre niveau, tout est mis en œuvre pour faciliter le paiement électronique, et nous allons continuer de travailler dans ce sens afin de vulgariser ce mode de paiement et de retrait moderne. Mais pour y arriver dans un avenir proche, il faudra que les parties concernées se dévouent pour cet objectif, car c'est là un moyen efficace pour une meilleure traçabilité des transactions et aussi pour la bonne santé économique du pays.