De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi
La France n'aura son dernier mot sur la prise de Constantine qu'à l'issue d'une deuxième expédition menée par le comte de Damrémont en 1837 et ce, après que les troupes françaises eurent tenté en vain une percée sous les commandes du maréchal Clauzel le 21 novembre 1836. «L'armée française entreprit deux assauts par le pont, mais ils se brisèrent devant la porte d'El Kantara», lit-on dans l'histoire de la ville. «Les soldats français abandonnèrent sur le terrain armes, bagages et blessés.» Ce repli catastrophique eut lieu le 23 novembre. C'est pour dire que Constantine n'a pas ouvert facilement ses sept portes aux «envahisseurs» qui, pourtant, étaient renforcés lors de la seconde expédition de plus de 20 000 hommes. «Ils ont eu froid ! C'est probablement le premier déclic du piétinement dans les archives du palais du bey. Les Français brûlaient des documents pour se réchauffer», suggère un historien. Par ailleurs, selon l'ex-responsable des archives de la wilaya de Constantine, M. Mimouni, les Turcs n'ont pas eu le temps de songer à préserver tous leurs documents du fait qu'ils ont été vaincus. Toutefois, notre interlocuteur n'écarte pas l'éventualité d'un transfert d'une grande partie des dossiers privés des Ottomans vers l'Italie, lesquels dossiers englobent des correspondances et autres titres de propriété. Et lorsque les historiens évoquent la langue italienne parlée par le bey, cette éventualité de transfert ne serait pas à écarter. En outre, notre interlocuteur souligne que des manuscrits ont été volés par les Français. Des butins de guerre sont ainsi déposés à Vincennes avant de rejoindre le centre des archives à Aix-en-Provence, où 80% des archives algériennes se trouvent, notamment les manuscrits de «la gestion de souveraineté». En quelque sorte, la France dissimule ses pertes en les enfouissant loin des regards, mais elle cache aussi une grande partie de son histoire impérialiste qui pourrait à tout moment être exhumée pour corriger des mémoires amnésiques… notamment celles qui tentent de fournir un éclaircissement sur les événements de Mai 1945. Guelma, Sétif et Kherrata s'en souviendront… Il va sans dire que l'important dossier touche à la révolution de Novembre. Dans ce contexte, le régime colonial usait de tous les subterfuges pour expédier sans retour les archives de Novembre. Tout avait débuté deux ans après le déclenchement de la guerre de libération nationale. En 1956, selon des témoignages, la France commençait à transférer les manuscrits «lourds» sous prétexte de les «microfilmer». Du moins, c'était la motion portée sur le bordereau de versement de quelques archives. C'était un alibi pour spolier les biens «archivistiques» de l'Algérie. Sinon comment expliquer le non-retour des documents ? s'interroge un archiviste local qui ajoute : «Il reste beaucoup de choses à récupérer bien que l'INA français ait restitué à l'Etat algérien une partie audiovisuelle. Le colonisateur a pris ce qu'il a jugé intéressant à ses yeux : documents économiques et politiques. Des tonnes d'archives ont ainsi quitté le territoire national. Il faut impérativement continuer les négociations afin de les récupérer.» Au service des archives de la wilaya, on effectue un traitement scientifique des documents. Quelques fonds d'archives sont en cours d'inventaire avant d'être répertoriés. Et comme on se trouve à quelques jours de la commémoration du déclenchement de Novembre 1954, le même organisme s'attelle à préparer des activités culturelles et historiques retraçant l'itinéraire des héros de Novembre. L'occasion est saisie d'exposer quelques archives de guerre. C'est dire que le passage de la France à Constantine continue d'exhumer ses racines. En définitive, le coup d'éventail ne dissimulera pas le lourd contentieux historique entre l'Algérie indépendante et la France coloniale…