Le salut de l'écologie pourrait bien se trouver dans l'économie. Pas en donnant un prix au vivant, mais en évaluant les services qu'il nous rend.La mangrove antillaise des forêts domaniales de métropole, ou encore le grand hamster d'Alsace, n'ont pas qu'une fonction sentimentale ou écologique. Les économistes ont calculé que la biodiversité rend des services si précieux à l'humanité, que toute la richesse produite en une année dans le monde ne pourrait pas permettre de les remplacer. Et si l'écologie trouvait son salut dans l'économie? La proposition semble absurde, tant croissance et préservation de l'environnement se retrouvent régulièrement opposées dans le débat public. Et pourtant: certains économistes ne ménagent pas leur peine pour que le patrimoine naturel soit véritablement intégré dans le processus décisionnel des entreprises et de l'Etat. Et influe donc directement sur les calculs de rentabilité. Avec la création d'une nouvelle notion, un peu absconde: la valorisation des services écosystémiques. Il s'agit, ni plus ni moins, de donner un prix à la biodiversité des territoires. Les amoureux de la nature auraient tort de s'en offusquer. Car si écouter le chant d'un oiseau ou se promener sur un rivage sauvage n'a pas de prix, la prudence impose, pourtant, de lui en adjuger un.«Certes, on peut s'offusquer que l'Homme s'arroge le droit de valoriser d'autres espèces; ou qu'en donnant un prix, on accepte par là-même de réaliser des transactions sur des espèces vivantes. Mais ce n'est pas le fait de donner une valeur à quelque chose qui permet l'échange, mais souvent l'inverse: actuellement, on artificialise 70 000 hectares par an, en construisant des autoroutes, des logements, etc. Cela signifie bien que l'on substitue quelque chose à la biodiversité, mais l'échange est fait à coût nul», expliquait Bernard Chevassus-au-Louis, inspecteur général de l'agriculture et ancien directeur de l'Inra, lors d'une conférence donnée au Museum d'histoire naturelle, en préparation de Rio+20, la Conférence des Nations unies sur l'environnement ,qui marque les vingt ans de la déclaration de Rio. La nature ne fait pas que nous nourrir Et d'ailleurs, pourquoi faudrait-il refuser de déterminer le prix de la biodiversité, quand on intègre déjà -même partiellement- le coût de la vie humaine, de la pollution, ou encore des nuisances sonores, dans les décisions d'investissement? Reste à savoir comment déterminer le prix d'une prairie qui disparaît, ou d'un coléoptère protégé qui s'éteint…Une première approche consisterait à recenser tous les ingrédients de la biodiversité, et à leur donner une valeur. La tâche est ingrate, mais surtout pas forcément très appropriée: «La biodiversité n'est pas la somme d'ingrédients indépendants, mais leur arrangement. Tout comme la musique n'est pas l'accumulation d'instruments», explique Bernard Chevassus-au-Louis, qui a présidé le groupe de travail du conseil d'analyse stratégique consacré à la question.Pour contourner le problème, les économistes ont donc créé une nouvelle notion: celle de services écosystémiques. Il s'agit, tout d'abord, de définir les principaux types d'écosystèmes qui caractérisent un pays (ainsi, en France, une recherche exploratoire a défini 6 principaux types d'écosystèmes terrestre -littoral, urbain, montagneux, etc.- et 8 écosystèmes aquatiques -d'eau douce, marin...)Une fois ce travail réalisé il faut, ensuite, recenser quels services ces écosystèmes nous rendent. In fine, trois grands types de services ont été retenus: l'approvisionnement, les services de régulation et les services à caractère social.Autrement dit, la biodiversité nous approvisionne en cultures (alimentaires, énergétiques, piscicoles), en bois, en eau, en transport fluvial, etc. C'est sa fonction la plus connue et la plus facile à estimer. Mais elle permet aussi de réguler le climat, la qualité de l'air, la pollinisation, l'équilibre des espèces, de purifier l'eau, de prévenir les crues, et de maintenir la qualité des sols, etc. Enfin, elle rend des services sociaux: la qualité du paysage et la tranquillité. constituent autant d'occasions de loisirs (pêche, chasse, randonnée) que de sources d'inspiration artistique, entre autres. En tout, les chercheurs ont recensé 43 services principaux, rendus par les écosystèmes français.
Une dimension utile pour la réforme de la PAC? Cette approche n'est, certes, pas totalement satisfaisante, puisqu'elle est fondée sur une approche purement utilitariste de la biodiversité, mais elle comporte l'immense mérite de décrire -noir sur blanc -et d'ouvrir, ainsi, au débat- l'apport de l'environnement au bon fonctionnement de notre société. Reste à valoriser ces services. La tâche peut sembler insurmontable mais, après tout, elle n'est guère plus compliquée que celle consistant à valoriser le coût du bruit autour d'un aéroport ,ou celui d'un accident de la route, deux notions auxquelles les économistes sont confrontés depuis des décennies. Pour évaluer la valeur récréative des forêts domaniales, par exemple, l'on se contentera de constater combien les Français acceptent, d'ores et déjà, de dépenser pour les fréquenter, notamment en carburant, pour les simples visiteurs, ou en dépenses d'équipement, pour les chasseurs. Finalement, on se rend souvent compte que la valeur des services rendus par un écosystème est bien supérieure aux seuls services d'approvisionnement auxquels on pense en général. Ainsi, le conseil d'analyse stratégique a évalué, en moyenne, à 85-90 euros par hectare le montant des services d'approvisionnement rendus par la forêt en France (livraison de bois essentiellement). Mais, au total, il a estimé à 970 euros par hectare l'ensemble des services rendus par la forêt: 85-90 euros pour l'approvisionnement, mais aussi 530 euros par hectare pour la fixation et le stockage du carbone, 90 euros par hectare pour sa contribution à la qualité de l'eau, et 260 euros pour sa fonction culturelle (promenades, chasse). Or, la forêt française couvre environ 15 millions d'hectares, soit une production annuelle de services de l'ordre de 14,5 milliards d'euros...Dès 1997, des chercheurs évaluaient à deux fois le PNB mondial la valeur des écoservices: les études plus précises qui, désormais, se multiplient, montrent qu'effectivement, la biodiversité contribue directement à éviter des dépenses et à rendre gratuitement des services. Cette approche pourrait se révéler particulièrement utile, lors des discussions sur la réforme de la politique agricole commune: ainsi, si une prairie rapporte -financièrement- moins à l'agriculteur qu'une grande culture céréalière, cet écart de rentabilité peut être compensé en rémunérant les services écosystèmiques que rend une prairie et que ne rend plus un champ de céréales. Agriculteurs, à vos calculettes! C. B. In Slate.fr