Après une victoire historique en Egypte et dans le monde arabe, Mohamed Morsi entame un mandat aux pouvoirs limités face aux larges prérogatives de l'armée, avec pour première tâche la formation d'un «gouvernement de coalition». Morsi a officiellement prêté serment. Il devrait se voir remettre le pouvoir exécutif par le Conseil suprême des forces armées (Csfa), qui a sacrifié Hosni Moubarak sous les coups de boutoir des contestataires pour sauver l'ordre en place. En attendant de former un gouvernement, le nouveau raïs a dirigé une réunion du cabinet sortant du Premier ministre Kamal al-Ganzouri, nommé l'an dernier par les militaires, et chargé pour le moment d'expédier les affaires courantes. Est-ce «le début d'une nouvelle époque» pour l'Egypte, comme a titré le quotidien cairote al-Akhbar, s'étalant, comme de nombreux journaux, sur le fait que Morsi était le premier civil à devenir Président dans un pays où cette fonction a toujours été assurée par des militaires depuis la chute de la monarchie en 1952. «Le plus grand défi du nouveau président sera de passer d'une culture d'opposition à celle d'un homme d'Etat», soulignera l'éditorialiste d'al-Masry al-Youm. Les questions sur cette présidence inédite sont sur toutes les lèvres. Pour l'heure le conseil militaire, véritable maître du jeu politique en Egypte, a promis de se «tenir aux côtés du Président». Cependant, la réalité est tout autre. Morsi reste sous l'étroit contrôle d'une armée conservant un droit de veto sur toute loi, mesure budgétaire ou article de la future Constitution. Après la dissolution, mi-juin, de l'Assemblée, à majorité islamiste, le Csfa s'est systématiquement octroyé le pouvoir législatif. Il ne reste pour le nouveau Président, élu pour quatre ans, que de s'appuyer sur la légitimité populaire que lui donne son élection avec 51,7% des voix. Devant des dizaines de milliers de personnes sur la place Tahrir, Morsi a d'ailleurs prévenu l'armée que le peuple était «la seule source de légitimité». Face à l'omnipotence des militaires dans tous les aspects de la vie égyptienne, la tâche la plus urgente du nouveau président sera, en plus de former un gouvernement d'ouverture, d'élargir ses soutiens pour créer un contrepoids. Les défis du président Morsi L'entourage de Morsi a, dès la semaine dernière, laissé entendre qu'il souhaitait former un «gouvernement de coalition» dirigé par une «personnalité indépendante». Des noms ont fusés, dont celui de l'ancien chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique, Mohamed El Baradei, ou celui de l'ancien ministre des Finances, Hazem El-Beblawi. Le nouveau gouvernement devrait représenter plusieurs sensibilités, d'abord au sein des Frères musulmans, le mouvement politique le plus organisé d'Egypte. Morsi devrait nommer des personnalités plus consensuelles, notamment dans les milieux laïques qui constituent les premiers révolutionnaires de la Place Tahrir. La volonté d'ouverture affichée par Mohammed Morsi lui permettra-t-elle de trouver un semblant d'équilibre dans le bras de fer qui s'annonce avec l'institution militaire ? Quelles seront les lignes rouges imposées implicitement à ce nouveau président civil sachant que le Conseil suprême des forces armées a décidé de pratiquement vider de ses compétences les fonctions du chef d'Etat. Le Parlement, dissous par le Conseil supérieur des forces armées, doit être constitué, de nouveau, pour remettre le pays dans la légalité institutionnelle. De nouvelles élections législatives devraient avoir lieu. Il s'agit pour la nouvelle Egypte de sortir de l'imbroglio juridique actuel. Les yeux sont braqués vers le président Morsi. Les rapports présidence-Csfa seront particulièrement décisifs. La cohabitation s'annonce délicate après le coup de force du Conseil militaire, qui a récupéré le pouvoir législatif après la mise hors-jeu de l'Assemblée, dominée justement par les islamistes après un vote populaire. Les généraux gardent ainsi un droit de veto sur toute nouvelle législation ou mesure budgétaire qui n'aurait pas leur agrément. Mieux, les militaires se réservent un droit de regard sur la rédaction de la future Constitution, pierre angulaire du partage des pouvoirs dans la future Egypte. M. B.