René, mon ami : Quel Algérien ne garde-t-il pas les stigmates de cette longue et pénible période de colonisation ? Quel Algérien n'a-t-il pas été touché, de près ou de loin, personnellement, ou à cause d'un ou de plusieurs membres de sa famille, de ses proches, par les comportements abominables et monstrueux de l'armée et de l'administration coloniales qui multipliaient, contre notre peuple sans défense, leurs outrances et leurs injustices, voire leur bestialité, pendant toute la durée où ils régentaient notre pays ? Quel Algérien ne vit-il pas donc les onséquences néfastes et tragiques de cette hégémonie, jusqu'à l'heure actuelle, même s'il fait tout pour oublier et tourner définitivement la page pour s'acheminer vers un avenir prospère qui rapprocherait davantage les deux pays, les deux peuples ? Ainsi, et malgré cela, c'est-à-dire malgré ce difficile et lourd passé, à travers une histoire commune, faite de feu et de sang, notre volonté est toujours là, nous gratifiant de cette détermination qui nous mènera, sans aucun doute, vers des horizons plus clairs, car il existe en nous cette générosité, cette mansuétude et cette éducation qui nous exhortent à plus de compréhension et de contacts. René, mon ami, Je voudrais, à travers cette lettre, que dis-je, cette longue lettre, te montrer combien les tiens sont parfois malveillants et cruels à notre égard. Il suffit d'une circonstance difficile, comme celles que nous vivons de temps à autre, dans nos relations de tous les jours – une circonstance «aventureuse» sur le plan politique –, malheureusement, pour que des démons se réveillent et viennent titiller notre orgueil, tout en nous créant des mésententes et en ravivant des tensions que nous avons espéré ne jamais rencontrer. Les pages qui vont suivre ne véhiculent aucun sentiment de malveillance, aucune forme de ressentiment ou de haine à l'égard de ton pays, et encore moins contre ton peuple que je respecte et que j'admire pour ses réussites, voire sa grandeur […] Je te confirme, également, que ce n'est pas de la rancœur qui s'exhale de mes propos, ce n'est pas mon intention, mais c'est la vérité, toute la vérité sur une période obscure que nous avons endurée difficilement. Aurais-tu supporté si tu avais vécu ces moments difficiles du tristement célèbre général de Bourmont qui disait à ses soldats qui saccageaient et dévastaient le pays : «Vous avez renoué avec les croisés ?» Non ! Tu aurais crié, comme tous ceux qui possèdent un tant soit peu de respect pour la valeur humaine : triste constat venant de gens qui s'affublaient de ces grandes étiquettes de «civilisateurs» et, bien plus encore, de «pacificateurs» ! Aurais-tu supporté ce préfet de Constantine de l'époque, qui s'exprimait ainsi dans un discours qu'il avait prononcé au Khroub, en 1925 : «Sachez que tout le sang des musulmans n'équivaut même pas à une goutte de sang d'un Français» ? Non ! Tu n'aurais jamais supporté cela. Tu aurais, par contre, crié : «Quelle honte pour un responsable de cette trempe qui est là, chez eux, soi-disant pour les éduquer, les encadrer, les gérer en quelque sorte, et leur apporter ce que d'aucuns, avant les Français, ne leur avaient annoncé.» Et tu aurais entièrement raison, car en ce temps, presque un siècle de domination – pardon de pacification, selon leurs propres déclarations –, notre peuple était «comblé» d'asservissement et rassasié» de bestialité et de tortures. J'ai commencé cette dernière partie de ma lettre en mettant en exergue ces deux «convictions» bizarres de responsables, dont l'inspiration ne dépassait pas leur répugnante vision de colonisateurs qui, engagés dans le triste métier de bourreaux, «allaient acquérir un État qui offrait des ressources considérables… Peut-être n'y avait-il pas un endroit mieux choisi pour débarrasser la France de la partie mécontente de sa population ?» En réalité, le coup d'éventail, René, n'était qu'un prétexte pour nous coloniser. Et d'ailleurs, a-t-il vraiment existé cet incident ou était-il seulement une simple algarade entre les responsables, le dey et le consul ? L'histoire, la vôtre, en parle à profusion, pour légaliser l'alibi de l'expédition sur Alger. Mais voyons ensemble et de plus près ce qu'étaient les visées expansionnistes de ton pays. Elles s'inscrivaient dans le temps, depuis que Charles Quint et l'Espagne essuyèrent un désastre sur les plages de l'Agha, dans Alger même. Disons encore à nos jeunes que, bien avant ce funeste jour du 5 juillet 1830, et devant la force de notre peuple, sur terre et sur mer – nous avions une marine très puissante –, les coalitions chrétiennes avaient tenté de briser, combien de fois, le front islamique sans pour autant arriver à leurs fins. C'étaient les Croisades qui se perpétuaient, surtout que les victoires musulmanes avaient dressé le monde de la Croix contre le monde du Croissant, Particulièrement contre l'Algérie qui rendait coup sur coup. Les hostilités nous venaient de la maison d'Autriche qui avait sous sa coupe plusieurs États. Ce monde qui nous était hostile représentait, d'après eux, «une chrétienté militante et active qui voulait extirper le péril mahométan, en déchaînant les passions et en multipliant les heurts». En somme, un duel de trois siècles où se sont mêlés l'Église, les monarques et les ordres religieux. Tous se sont ligués contre notre pays, poussés par cette fièvre anti-musulmane. Les ordres comme ceux de Saint Jean de Jérusalem, lequel avait succédé aux Templiers, des Chevaliers de Malte qui furent écrasés à Alger, lors de leur expédition de 1515 où ils laissèrent de nombreuses victimes et une importante flotte de guerre, et enfin l'ordre des chevaliers de Saint Étienne, organisés et commandés par Cosme de Médicis. Ensuite, il y eut la France, l'Angleterre et la Russie. Celles-ci s'attaquèrent à notre pays. La France, plus particulièrement, mena une guerre continue contre les Algériens, bien qu'en 1534 il y ait eu ce moment de répit quand François 1er, affaibli par ses affrontements avec les Espagnols, fit appel aux Algériens pour sauver sa couronne. Il y eut cette «Alliance du Lys et du Croissant» dont l'histoire de France ne parle même pas. Au XVIIe siècle, les rapports s'envenimèrent entre les deux pays, car le «renouveau religieux en France prêchait ouvertement la croisade au Maghreb et les prêtres, devenus consuls, propageaient l'emploi de la force pour résoudre les problèmes avec Alger». La situation allait connaître une recrudescence de conflits. Elle s'aggrava et, sous le Consulat et ensuite sous Napoléon, en 1808, la France voulut atteindre notre pays, coûte que coûte, au moyen d'actions belliqueuses. Napoléon, selon Loverdo, envisageait l'occupation, non seulement de l'Algérie, mais aussi des deux autres régences, celles de Tunis et de Tripoli afin d'établir, dans ces pays, trois colonies militaires françaises. Il était confirmé, écrivait Moulay Belhamissi, que «Bonaparte voulait, par ce biais, résoudre certains problèmes intérieurs : occuper l'armée, se débarrasser de généraux rivaux, de chefs turbulents, entraîner l'obéissance immédiate d'un territoire égal au quart de l'Europe pour distribuer autour d'Alger des concessions afin d'indemniser les victimes de la Révolution». La tension entre les deux pays demeurera entière jusqu'au blocus et à l'expédition de 1830. C'est pourquoi, et nous le savons tous, la «France, par son agression, ne visait pas à liquider la querelle née de la mauvaise foi de ses gouvernants dans l'affaire des créances algériennes et de la provocation par laquelle son consul général avait piégé un dey trop spontané et coléreux», écrivait Mohamed-Chérif Sahli. La France, comme expliqué auparavant, se préparait bel et bien, et depuis longtemps, à investir notre pays. Elle avait de sérieuses visées expansionnistes. Gracet de Saint Sauveur écrivait dans son Dictionnaire des Voyages, en s'impatientant de voir l'hégémonie de son pays s'étendre à d'autres contrées de la Méditerranée : «Quand donc, elles, nations jalouses de la liberté des mers se réuniront-elles pour une croisade politique, dirigée contre ce ramassis d'Africains que notre patience seule enhardit au brigandage ? » J'ai ici deux déclarations – comprends par-là, des prises de position franches et claires – de deux grands noms de la poésie française que nous avons toujours adulés. La première, celle de Lamartine qui mettait en garde ses concitoyens contre l'abandon d'Alger : «Ce serait trahir la province qui nous a fait ses instruments dans la conquête la plus juste, peut-être, qu'une nation ait jamais accomplie ; ce serait mépriser le sang de ces braves que nous avons sacrifiés dans un assaut donné à la barbarie…» La seconde, hélas, celle de Victor Hugo, qui déclarait la guerre aux conventions usées, mais lançait avec cynisme, à l'occasion d'un banquet pour la commémoration de l'esclavage : «Versez votre trop-plein dans cette Afrique et, du même coup, résolvez vos questions sociales, changez vos prolétaires en propriétaires.» En d'autres termes, spoliez, prenez de force, usurpez, extorquez, et enfin réduisez à l'esclavage ces peuples que nous sommes en train de coloniser. Quelle éloquente contradiction dans le discours d'un illustre personnage ! En effet, et j'ajouterai, quelle inspiration, surtout quand cela nous vient de l'auteur des Misérables, celui qui défendait Jean Valjean et s'apitoyait sur le sort de Cosette ! Là, franchement, ce n'est pas l'histoire écoutée aux portes de la légende…, c'est une position raciste, expansionniste qui lève le voile sur un personnage pourtant glorifié et respecté par ceux qui aiment la littérature. Enfin, combien sont-ils nombreux ceux que la duplicité a détournés de leurs véritables principes ? De toute façon, comme expliqué dans cette lettre, il n'était pas le seul. C'était le complexe du temps. Aujourd'hui, les termes changent et ce même complexe est traduit par «l'air du temps». Voyons maintenant ce que nous préparaient de grandes personnalités avant le déparquement de Sidi Fredj. Le 9 février 1830, au matin, Toulon, Brest, Rochefort, Cherbourg, Bayonne et Lorient reçurent l'ordre d'armer immédiatement les bâtiments de guerre dont, entre autres, 11 vaisseaux, 24 frégates, 7 corvettes, 27 bricks, 7 corvettes de charge, 9 gabares, 8 bombardes, 7 bateaux à vapeur, 2 goélettes, 1 transport, 1 balancelle, en tout 104 bâtiments. En même temps, des officiers de la marine militaire commissionnés à cet effet, affrétaient à Marseille, en Catalogne, en Italie, des navires de commerce destinés à transporter l'immense matériel du corps expéditionnaire français. Cette escadre belliqueuse, commandée par de Bourmont, devait jeter 40 000 hommes sur la côte d'Alger. En somme, 16 régiments d'infanterie de ligne et deux régiments d'infanterie légère devaient composer la force principale de l'armée expéditionnaire. De bourmont fut dépêché à la place du maréchal, le duc de Raguse qui, avide de célébrité, avait vivement désiré accomplir ce que Charles Quint et Louis XIV avaient tenté sans succès. Plusieurs personnages de distinction, écrivait un historien, tout content de rapporter ces «précieuses informations» aux générations futures, obtinrent la faveur de prendre part à cette campagne. Comme s'ils partaient pour un safari, quelque part dans la brousse ! Parmi ces personnalités, l'historien cite le prince de Schwartzenberg, fils aîné du feld-maréchal qui commandait, en 1815, les armées de la coalition, le prince de Carignan, le prince Poniatowski, le fils d'un magnat de Hongrie, le baron Leclerc de Berlin, le colonel Filosof, aide de camp du grand-duc Michel de Russie, et sir W. Mansell, capitaine de vaisseau de la marine anglaise qui avait fait partie de l'expédition de Lord Exmouth en 1816. Ainsi, les uns poussés par l'exaltation religieuse et la haine pour les musulmans, les autres par des visées expansionnistes, pensaient qu'un établissement français sur le littoral algérien leur offrirait de précieux avantages. En outre, la perte de l'Égypte et celle des concessions africaines avaient causé de graves perturbations dans les fortunes. Le moment de les réparer leur paraissait venu. Juillet 1830. Alger est prise par les Français au moment où l'autorité des Turcs se désagrège. Des voix s'élèvent dans l'Hexagone pour dénoncer cette expédition. Le député Alexandre de Laborde s'exprimait en ces termes : «Mais enfin, cette guerre est-elle juste ? Non, vraiment, je ne crains point de le dire, non. Un jury politique, un congrès européen, comme le rêvait Henri IV, ne l'aurait point pensé. Il aurait résumé cette affaire : le dey réclame, on le vole, il se plaint, on l'insulte, il se fâche, on le tue.» Les archives sont là pour dire que ce fut une «sale guerre», dirigée par une horde de mercenaires, au profit d'un pays qui se targuait – et se targue toujours – d'être l'initiateur de la fameuse «Déclaration des droits de l'homme et du citoyen» du 26 août 1789 et qui reconnaissait, entre autres, les idéaux fondamentaux, dont «la liberté…, la propriété…, la sûreté et la résistance à…». Et ces événements qui ont rapetissé la France et son corps expéditionnaire, dans sa politique de la terre brûlée que ses généraux ont érigée en doctrine, ont-ils pris en considération cette déclaration, son contenu, ses idéaux fondamentaux ? Ne peuvent-ils pas témoigner que rien n'a été suivi dans celle-ci, puisque la lutte qui fut imposée à notre peuple n'allait se terminer qu'avec plusieurs millions de morts. Oui, une sale guerre qui faisait dire à un historien socialiste français : «Les généraux ne brûlèrent pas le pays en cachette et ne massacrèrent pas les ennemis en faisant des tirades humanitaires. Ils en firent gloire, tous… !» Ou cet autre poète, moins connu que l'auteur des Misérables, qui lançait courageusement de sa prison ces mots amers, c'est-à-dire sa réprobation contre l'oubli savamment tissé autour de pénibles événements : «Nous nageons dans la honte jusqu'au poitrail. Nous sommes devenus des porteurs de fumier !» La réponse du peuple algérien fut magistrale. Il a répondu comme il le fallait. Son nationalisme et son attachement aux principes et aux constantes du pays, stimulés par cette présence effective des lieux du culte, aux côtés du mouvement national qui venait de prendre racine, jouèrent un rôle déterminant dans le processus de décolonisation. Les archives abondent de preuves sur la démarche entreprise par le colonialisme pour apprivoiser un peuple profondément ancré dans son patrimoine civilisationnel. Le colonel Robin écrivait, en 1901, dans son livre l'insurrection de la Grande Kabylie en 1871 : «Toutes ces tentatives de prosélytisme religieux n'avaient pas grande portée, mais elles inquiétaient ces Kabyles qui connaissaient d'autre part l'œuvre entreprise par l'archevêque d'Alger : et comme ils sont très ombrageux sur les questions de religion, ces gens malintentionnés n'avaient pas manqué de leur faire entrevoir qu'ils ne jouiraient pas toujours de la liberté absolue qui leur avait été laissée en matière de culte…, ce motif n'était pas le seul sans doute qui les poussait à s'affilier à l'ordre de Rahmania, mais il y contribua dans une certaine mesure.» Le retour à l'authenticité par le ressourcement dans la foi et la culture ancestrale, dans les véritables valeurs de l'islam, fut d'un apport considérable pour les populations au moment où le colonialisme tentait de leur extirper les idées d'une religion qu'il considérait obsolète, pour mieux les déraciner ou tout simplement les anéantir comme l'avaient si bien fait en Amérique leurs ancêtres, les Européens, à partir du Xe siècle. Cela constitue un autre fait important dans l'histoire qu'il faudra dénoncer avec indignation. Où sont-ils les véritables habitants d'Amérique ? Il faudrait le demander aux Vikings qui, sous la houlette d'Erik Thorvaldsson (Erik le Rouge), avaient été les premiers à poser pied sur ce continent, ensuite aux Espagnols, aux Français, aux Anglais et aux Norvégiens. Il serait peut-être opportun de poser la même question aux Britanniques, aux Néerlandais, aux Allemands et aux Scandinaves qui, pendant la période coloniale, avaient formé le peuple américain en recourant à la colonisation de peuplement, l'immigration. René, mon ami, A partir de là, nous allons voir, en citant des témoignages, ce que fut cette prétendue pacification de la France humanitaire. Et c'est à partir de là que tu comprendras pourquoi nous nous sommes élevés, ces derniers temps, contre cette inconvenante «reconnaissance» de l'action coloniale dans notre pays, en somme, contre cette provocation qui nous renvoie à cette dangereuse atteinte à l'histoire de l'humanité, qui s'est «distinguée» par de pires atrocités dans le cadre de la colonisation de peuplement dont notre peuple a été la victime. Nos jeunes sauront, bien sûr, après que des plumes honnêtes et courageuses raconteront dans les détails cette occupation d'un pays qui n'espérait que vivre dans la quiétude et l'unité, que ce ne fut pas une guerre comme toutes les guerres classiques, mais une «croisade pour des traitants», à l'image de ces conquêtes impérialistes. Ils sauront après cela, et toi, René, avec eux, qu'il fallait un prétexte plausible au jeune impérialisme avide de conquérir des sources de matières premières et de nouveaux marchés… Enfin, ils sauront que «si les Français, au lieu d'étendre un voile suspect sur cette trahison, voulaient bien ouvrir leurs archives, on apprendrait des choses surprenantes» comme écrivait M-C. Sahli, dans son magnifique ouvrage sur l'Émir Abdelkader… Il faut qu'ils sachent, et toi aussi, que notre liberté a été acquise au prix de souffrances, de misères, de dénuements, de privations, de frustrations, mais aussi et surtout de luttes opiniâtres, de sacrifices et de dévouements. N'est-ce pas hideux lorsqu'on évoque cette opération du 6 octobre 1832 et ses 12 000 morts où le général Rovigo décrivait lui-même des monstruosités en se targuant d'être revenu «victorieux» d'une opération avec des trophées de guerre ? Ne décrivait-il pas, avec une parfaite précision, que des têtes coupées et accrochées sur des lances, que des membres arrachés de corps mutilés ainsi que des bijoux de femmes qui ornaient encore des mains et des oreilles coupées, furent exposés à la rue Bab Azzoun ? Cette sauvagerie dont était fier le général fut confirmée par un rapport de la commission française d'enquête qui notait : «Nous avons dépassé en barbarie ceux-là mêmes que nous sommes venus civiliser.» Quel aveu et quelle «belle preuve» si ceux qui nous provoquent aujourd'hui, ont un tant soit peu de courage pour exhumer ces archives et les consulter pour découvrir ce que leur conscience ne pourrait certainement pas supporter ! Ce même général, de son vrai nom Savary, ancien préfet de police de Napoléon Ier, ordonnait à ses soldats, dans un style lapidaire : «Des têtes !» Un autre bourreau, pardon un autre adepte du génocide, le colonel de Montagnac, écrivait avec beaucoup de mépris et de cynisme : «Selon moi, toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées. Tout doit être pris, saccagé sans distinction d'âge ni de sexe. L'herbe ne doit plus pousser où l'armée française a mis les pieds.» Attila, ne sera pas seul à avoir la «palme» de l'extermination et de la souillure ! Quant au maréchal Saint-Arnaud, un sanguinaire qui n'avait rien à envier à Tamerlan, le sinistre barbare, il écrivait en ces termes à son frère : «Les beaux orangers que mon vandalisme va abattre ! Que ne puis-je t'envoyer cette jolie forêt-là à Noisy ! Ta femme serait bien heureuse. Je brûle aujourd'hui les propriétés et les villages de Bensalem et de Belkacem Oukaci… Tu peux dire à Rousset que j'ai beaucoup détruit et brûlé. Il a raison de me traiter de Goth et de Vandale…» De cela, l'histoire de France ne dit mot, mais notre peuple se souvient. Il se souvient et se souviendra toujours car ces «brillantes performances» se transmettent de génération en génération. Il se rappellera également la lutte menée dans toutes les régions où il y a eu de grandes incursions de l'armée coloniale. Il saura que du temps de l'Émir Abdelkader les batailles faisaient rage contre les troupes du maréchal Valée et du général Bugeaud, dans la plaine du Ghris, à Larbaa Nath Irathen, dans la Mitidja, dans la région de Mostaganem et dans le reste de l'Oranie. Notre peuple apprendra que Constantine résista longtemps et qu'Ahmed Bey donna l'exemple par son courage et sa détermination en se détachant de l'administration turque qui semblait nonconcernée par l'invasion française. «Sachez que la mort sous les remparts de Constantine vaut mieux que la vie sous l'autorité française», répondaient de jeunes et braves combattants au commandement des forces coloniales qui leur demandait la reddition. Ces jeunes soldats étaient sous les ordres d'Ahmed Bey. Blida et Médéa se souviendront, elles aussi, de Clauzel qui, seul, avait rempli des pages d'horreur dans les chroniques de l'occupation française. Boumezrag et son fils, de valeureux chefs, ont eu à subir ses exactions. Icherridène, dans les montagnes de Kabylie, se rappellera le maréchal Randon et les jeunes apprendront l'épopée glorieuse de cette héroïne, Fatma N'Soumur, qui, par sa bravoure et sa dignité, mit en déroute cette grande armée d'envahisseurs aux méthodes répressives. Oui, le peuple se souviendra de l'année 1860 quand 200 000 colons dépossédèrent ses frères algériens des meilleures terres et s'installèrent de force à leur place. Il se souviendra de ces 100 000 hommes que la France avait opposés, en 1864, au soulèvement des Ouled Sidi Cheikh, dans le Sud oranais. Là aussi, elle s'était distinguée dans la destruction et la barbarie. Pour ne pas avoir l'impression d'être cet inquisiteur, ou celui qui est en train de déblatérer, je veux tout simplement te livrer ce témoignage du capitaine Vayssière qui, en tournée chez les Nemamcha, tribu de l'Est algérien, évaluait les conséquences du sénatus-consulte. Il nous rapporte les faits suivants : «Les cheikhs et les kebars sont tous venus me trouver, commentant et déplorant la nouvelle. La consternation peinte sur leur visage, plusieurs versaient des larmes. Ils m'ont dit : ‘'Les Français nous ont battus, ils ont tué nos jeunes hommes et nous ont imposé des contributions de guerre. Tout cela n'était rien, on guérit de ses blessures. Mais la constitution de la propriété individuelle et l'autorisation donnée à chacun de vendre ses terres qui lui seraient échues en partage, c'est l'arrêt de mort de la tribu''.» Et il conclut ainsi : «Le sénatus-consulte de 1863 est, en effet, la machine de guerre la plus efficace qu'on ait pu imaginer contre l'état social indigène et l'instrument le plus puissant et le plus fécond qui ait pu être mis aux mains de nos colons. Grâce à lui, nos idées et nos mœurs s'infiltreront peu à peu dans les mœurs indigènes, réfractaires à notre civilisation, et l'immense domaine algérien, à peu près fermé jusqu'ici, en dépit des saisies domaniales, s'ouvrira devant nos pionniers.» Quelle étrange stratégie, René…, vois-tu ? Je te donne encore de la matière, car l'Histoire regorge d'exemples douloureux qui accablent cette «France coloniale» qui, par le biais de nostalgiques, voudrait aujourd'hui se refaire une autre virginité. Ainsi, à partir du sénatus-consulte de 1863, un ensemble de lois fut en effet mis en place en Algérie pour favoriser la propriété individuelle, principalement, au profit des colons et des grandes sociétés capitalistes. Jean-Claude Vatin, dans l'Algérie politique, histoire et société (page 125) remarque, en reprenant le bilan dressé par Charles-Robert Ageron qu'«entre 1871 et 1919 près d'un million d'hectares (897 000) ont été livrés aux colons. […] Les musulmans avaient perdu, en 1919, 7 millions et demi d'hectares, que l'État et les particuliers, les grandes sociétés capitalistes, s'étaient partagés.» René, mon ami, Vois-tu, je suis désolé, mais maintenant, ce n'est plus une étrange stratégie, mais une macabre simulation de la pacification menée par tes ancêtres, en notre pays. Je vais poursuivre, prends patience. Notre peuple se souviendra de 1871, après que tant de généraux, experts en brutalité et en cruauté, ont montré ce dont ils étaient capables. Il se souviendra de cette date puisque ses aînés s'étaient organisés, d'est en ouest et du nord au sud, pour généraliser le combat et faire subir de grandes pertes au colonisateur. Il se souviendra de tout cela, bien sûr, et ne pourra jamais oublier ses bourreaux dont l'évocation des noms, seulement, le fait tressaillir. Ces noms représentent pour nous, Algériens, ces coupeurs de têtes, ces spécialistes des enfumages, ces destructeurs de mosquées, ces brûleurs de récoltes, ces dévastateurs de jardins et d'arbres fruitiers, ces saccageurs de cimetières…, bref, ces sinistres tueurs qui avaient fait de la violence et de la sauvagerie leur credo, ce qui faisait dire à un député d'alors qui parlait de la bestialité qu'il constatait dans la ville d'Oran : «Nous avons plus ruiné et plus dévasté que le tremblement de terre de 1789.» Franchement, René, ce Français qui a de profondes racines dans la Gaule, pas le légionnaire naturalisé –comme ce fut le cas de certains de nos inféodés– peut-il être fier de sa «pacification» de l'Algérie lorsqu'il revisite les «exploits guerriers» de ses armées ? Et celles-ci –les armées– n'ont-elles pas fait la même chose que les pionniers américains quand ils voulaient exterminer les Indiens ? Le Français colonisateur, hélas, celui de 1830, portait ces velléités annexionnistes, éloquemment exprimées et confirmées dans la pratique, comme une résurgence de cette doctrine des «fameuses croisades». N'est-ce pas l'avis de l'archevêque de Paris, après la prise d'Alger : «C'est la Croix victorieuse du Croissant, l'humanité triomphant de la barbarie» ? Ou celui du général de Bourmont qui affirmait : «Vous venez de rouvrir la porte du christianisme en Afrique» ? Mais ces hommes avaient oublié qu'ils n'étaient pas plus nobles et plus humains que ces Algériens qui avaient, de tout temps, démontré ce que voulaient dire la majesté et la énérosité, des qualités ancestrales, prônées par l'Islam dont le Coran est source de foi. En effet, quand l'Émir Abdelkader, le victorieux combattant de l'époque, écrivait à la reine Amélie, épouse de Louis-Philippe : «Au lieu de m'envoyer tes glorieux fils pour me combattre, ils ne viendront que pour m'aider à jeter dans mon pays les fondements d'une civilisation à laquelle tu auras aussi coopéré…», ses ennemis, Saint-Arnaud, Pélissier et autres Bugeaud et Trézel, lançaient à leurs troupes : «On ravage, on brûle, on pille, on détruit les maisons et les arbres…», ou encore : «Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux sheba. Fumez-les à outrance comme des renards.» Deux conceptions hélas différentes et des moyens fortement inégaux ! La pondération face à la bestialité…, à la barbarie de ceux qui ne peuvent s'enorgueillir que de trophées lugubres et de conditions macabres. «Fumez-les à outrance !», cela nous rappelle ces «commandements» d'empereurs romains qui ordonnaient, par un simple mouvement du «pouce», le massacre des gladiateurs dans l'arène, devant les hourras de centaines de spectateurs qui jouissaient de la vue du sang. Il y avait aussi un autre noble, Hamdan Khodja, qui a montré aux Français toutes ses capacités pour les raisonner… mais en vain ! Oui, toutes ses capacités parce qu'il était conseiller du dey Hussein en même temps qu'il enseignait la jurisprudence islamique. Après l'occupation, il servit d'intermédiaire entre les généraux français, les tenants du régime turc, les responsables de tribus et de grandes confréries. C'est ainsi qu'il devait entreprendre des contacts avec le bey de Constantine, Ahmed Bey et le bey du Titteri, Boumezrag. Il y eut des correspondances avec l'Émir Abdelkader jusqu'en 1840. Cependant, peu après sa condamnation par les autorités françaises et toutes les persécutions dont il avait fait l'objet de la part de Clauzel, pour avoir défendu âprement son peuple, il se réfugia en France même, chez ceux qui l'ont humilié, et trouva refuge chez les progressistes et les libéraux, parmi lesquels beaucoup de parlementaires et de responsables d'organisations politiques. Il mena un combat à la hauteur de ses grandes capacités, un combat sans relâche, direct, courageux, démontrant à tous que les colonialistes utilisaient, en Algérie, la politique de tergiversation, de tromperie et de falsification. Parmi ses ouvrages, nous retenons celui qu'il écrivit en France, le Miroir, et qui fut considéré par les autorités françaises comme une singulière provocation. Ne disaient-elles pas de l'ouvrage qu'«il est venu pour compromettre la présence française en Algérie» ? Voici quelques extraits de son introduction : «Les informations concernant les affres que subissent les enfants de mon pays me troublent de plus en plus et me commandent d'impulser les plus malheureux d'entre eux à se sacrifier davantage et à avoir plus de courage. Quant à moi, j'entreprends tout ce qui est en mon possible pour les soutenir et leur donner plus d'assurance… En effet, il m'est aujourd'hui difficile de trouver dans mon pays une région où les citoyens vivent dans le calme, la confiance et la sérénité. J'ai cherché… quelque chose qui puisse consoler le peuple après qu'on lui a ravi ses droits et le soulager de sa frustration, mais en vain. J'ai remarqué qu'il n'a été entouré d'aucune compassion et n'a bénéficié d'aucune justice… Enfin, je me pose la question : Pourquoi mon pays a-t-il été ébranlé dans toutes ses structures et bafoué dans ses principes ? Pourquoi a-t-il été touché, au plus profond de lui-même… dans ses forces vives !... Quand je jette un regard sur mon pays, l'Algérie, je m'aperçois que mon peuple est toujours malheureux, gémit sous le joug de l'oppression et subit l'injustice et toutes les atrocités de la guerre... Toutes ces pratiques abominables sont commises au nom de la France qui clame la liberté des peuples et qui se vante d'appliquer les droits de l'homme !! » Ces colonisateurs ne doivent-ils pas éprouver des remords quand des jeunes d'El Eulma et d'ailleurs ne peuvent leur pardonner d'avoir baptisé leurs villes du nom de ce criminel Saint-Arnaud ou de cet autre, le colonel de Montagnac, qui avouait lui-même : «Pour chasser les idées noires qui m'assiègent quelquefois, je fais couper des têtes. Non pas des têtes d'artichauts mais des têtes d'hommes» ? Même les lieux du culte et les sanctuaires du savoir n'ont pas été épargnés. Il y a eu la profanation des mosquées, la destruction des valeurs culturelles de notre peuple et l'importation d'une autre «culture» aux dimensions sociales et politiques dangereuses. Dans Alger seulement, il y avait, avant la colonisation, pas moins de 159 mosquées et lieux de culte et 17 zaouïas. C'est dire la floraison d'établissements cultuels avant l'arrivée des colons. Mais l'arrêté du 7 décembre 1830, qui était venu froisser les sentiments religieux des musulmans, avait transformé en églises, en casernes et en administrations abritant ses services militaires, des mosquées et des zaouïas vieilles de deux ou trois siècles. La mosquée Ketchaoua fut baptisée cathédrale et occupée de force par le duc de Rovigo, commandant de la place militaire, le 17 décembre 1831. «La croix et l'étendard de France seront fixés au minaret et salués par des batteries de terre et de mer», répondait-il à l'imam de la mosquée qui protestait énergiquement. Mais ce jour-là, il y eut de la casse ! On cassa de l'Arabe, c'est-à-dire de l'Algérien. Nous n'avons pour preuve que ce témoignage d'un Français, présent ce jour-là à cet épisode honteux et indigne de la France des lumières : «Quatre mille musulmans environ étaient enfermés dans la mosquée et en avaient barricadé les portes. On fit les sommations d'usage, puis une escouade de sapeurs du génie s'apprêta à faire sauter les gonds. Aux premiers coups de hache, les rebelles se décidèrent à ouvrir et une immense rumeur sortit de la mosquée… Quelques coups éclatèrent immédiatement, les membres de la commission et des uléms furent entraînés dans une formidable bousculade. La troupe croisa la baïonnette et repoussa les musulmans dans la mosquée. Pris de panique, ces derniers s'échappèrent par une sortie latérale. On trouva dans la mosquée plusieurs hommes étouffés et quelques autres blessés dans la tentative de sortie. La prise de position était faite. Le duc de Rovigo fit camper une compagnie d'infanterie dans la mosquée.» Dénonçons encore les atrocités de la colonisation et n'oublions pas le génocide de 1945, tout juste après la Seconde Guerre mondiale. Les Algériens pensaient qu'après avoir contribué largement, et de leur plein gré, aux côtés de la France, à la victoire des Alliés sur les forces du nazisme et du fascisme, les Français leur seraient reconnaissants en accédant à leur demande : rediscuter les problèmes de souveraineté ou, tout au moins, leur donner plus de liberté et de droits. La réponse à cette demande, considérée comme une sérieuse provocation, leur fut donnée le 8 mai de la même année, le jour où le monde entier fêtait la victoire contre les forces du mal. A Sétif, en ce triste jour, Soual Bouzid, un jeune scout et porte-drapeau, s'écroulait sous les balles des policiers commandés par le commissaire Olivier. Son crime : il chantait l'hymne Min Djibalina que reprenait en chœur la foule de jeunes qui participaient au défilé de joie. C'était le prélude à la mort de milliers d'Algériens (45 000) qui allaient tomber sous les balles assassines et dans de terribles massacres, dont, celui de Kef El-Bomba, à Héliopolis, tout près de Guelma ou ceux des gorges de Kherrata. Ainsi, «le monde basculait en même temps pour des centaines de milliers de jeunes Algériens. Dans l'horreur des massacres perpétrés sous leurs yeux, ils pressentaient déjà confusément qu'un jour, pour conquérir la liberté de leur peuple, il leur faudrait à leur tour entrer dans la fournaise», disait un analyste de la guerre d'Algérie. En effet, de jeunes Algériens, conscients de la gravité de la situation, devaient prendre les armes et, à minuit, en ce 1er novembre de l'année 1954, firent entendre aux colonisateurs ce dont ils étaient capables. Ces jeunes travaillèrent dur. Ils imposèrent la lutte armée. Et, pour créer l'unanimité du peuple autour de cette action concrète de recouvrement de la souveraineté nationale et éveiller de grandes sympathies à travers le monde, il fallait aller plus en avant par la prise de possession politique du pays. Le congrès de la Soummam vint à temps faire le bilan de cette période et prendre de grandes décisions pour revigorer les institutions déjà en place, clarifier le combat politique et tracer un programme d'action avec des structures redéfinies pour soutenir et accroître la lutte jusqu'à la victoire finale. C'était noble de la part des Algériens qui, après avoir épuisé toutes les voies pacifiques devant un colonialisme qui refusait d'entendre raison, eurent recours à la lutte armée pour arracher leur indépendance nationale. Ils avaient compris qu'il fallait combattre un «indu occupant» qui s'était spécialisé dans la brutalité et la férocité et, dans ce cas, comme l'affirmait Bouteflika, jeune ministre de la Jeunesse et des Sports de l'époque, tout juste après l'indépendance, «la violence devient alors un acte de culture !» René, mon ami, Vois-tu, c'est pour toutes ces outrances, c'est pour toutes ces injustices que j'ai décidé de t'adresser cette correspondance. Je suis, par ailleurs, très content de te savoir opposé à ces adeptes du colonialisme qui, depuis «l'aube des damnés», nous poursuivent pour nous montrer leur haine et leur malveillance, en même temps qu'ils nous disent qu'ils ne sont pas près de tourner la page pour faire de nos deux pays un exemple d'entente, de fraternité et de relations concrètes pour des intérêts communs[…] Je t'ai raconté mes tourments –sans passion, je t'assure– pour te convaincre de la rudesse de la vie que nous avons menée sous le joug de tes parents et de tes grands-parents. Je suis pertinemment sûr que, si tu savais tout ce que j'avais enduré depuis mon enfance, toi qui vivais un autre régime, autrement plus aisé et plus adapté à tes besoins, tu aurais fait plus pour soutenir notre combat comme l'ont fait ceux qui ont toujours porté l'idéal de la liberté et de la justice au summum de leurs préoccupations. Je ne t'en veux pas, sincèrement, parce que tu vivais dans l'ignorance… J'espère de tout mon cœur que tu sauras te rattraper, chaque fois, à l'heure de la vérité, en jetant courageusement à la face des adeptes de «l'Algérie française» l'expression de toute ta répugnance, de ta colère et de ta déception pour avoir été, avec les tiens, injustement subornés. Oui, vous avez été subornés par des discours perfides et hypocrites, pendant toute votre existence en Algérie, quand vous couliez des jours heureux au moment où les miens vivaient l'humiliation et la détresse. C'est pour cela, René, que tu respirais une ambiance qui ne te permettait pas de discerner plus loin qu'autour de toi, connaître plus qu'il n'en fallait sur nous, sur notre vie, sur nos habitudes et surtout percevoir nos aspirations et nos souffrances de tous les jours. C'est pour cela que je souhaite, René, mon ami, qu'après avoir lu attentivement cette lettre tu comprennes aisément le sujet de mon ressentiment à l'égard du colonialisme, cette forme de domination honteuse, «bordée» d'avilissement et de destins illusoires pour les colonisés que nous étions. Je reste, cependant, très à l'aise pour te convaincre, encore une fois, qu'il ne s'agit pas d'un pamphlet dirigé contre ton pays ni même contre ton peuple que j'admire pour les progrès et les réussites qu'il ne cesse de réaliser, mais plutôt d'une explication claire, franche, honnête, après les soubresauts de gens mal intentionnés qui, à chaque occasion, veulent détruire les ponts que nous voulons construire pour mieux avancer vers des relations durables. Ce n'est pas un pamphlet, franchement ! Crois-tu, René, que ce soit un plaisir de ressasser ce passé douloureux, que nous avons subi durement, cruellement, et que nous souhaitons vivement oublier en tournant définitivement la page pour nous acheminer vers le progrès et l'entente mutuelle ? Non ! Mais te le rappeler, de cette manière, c'est poursuivre «l'œuvre de vérité sur certains épisodes de la colonisation». Enfin, René, j'attends le jour où, toi et moi, parlerons le même langage, celui de la clarté et de la sincérité…, un langage qui nous sera utile pour écrire l'histoire –notre histoire–, dans toute sa vérité et, par là même, renforcer nos relations mutuelles. J'attends ce jour avec impatience, car nous, qui avons été à la même école, communale, bien entendu, saurons dépasser nos pénibles émotions pour nous placer devant la réalité, celle qui nous interpelle pour envisager un aveni commun à l'ombre des défis que nous impose ce nouveau millénaire. Je souhaite également te rappeler, mon cher René, ce défi face à l'histoire coloniale, que nous ont léguée mes frères, tes frères Iveton, Timsit, Maurice Audin, Henri Alleg, et combien 'autres, leurs frères, mes frères Mohamed Bouras, Belouizdad, Larbi Ben M'hidi, Didouche Mourad, Zabana, Abane Ramdane, Mostefa Ben Boulaïd, Amirouche, Lotfi, El Haoues, Badji Mokhtar, leurs sœurs, mes sœurs, Hassiba Ben Bouali, Malika Gaïd, Ourida Medad, Zouleikha Oudaï, Fatma Hamoun, dont le message qui reste toujours à écrire est celui de l'amitié, de la solidarité, de la justice et du progrès pour nos deux peuples. Ce sera un véritable traité d'amitié qui tournera la page des souffrances sans avoir à la déchirer, un traité qui tracera des perspectives d'avenir pour nos enfants qui sauront, mieux que nous, ouvrir le chemin du progrès et des sourires retrouvés… Je te remercie de m'avoir prêté toute ton attention et j'espère te rencontrer, bientôt, dans des jours meilleurs, pour nous remémorer notre enfance et essayer, ensemble, de contribuer à la construction de ce vaste et grand édifice que nos responsables ne cessent de nous encourager afin d'activer sa réalisation, pour le bien de nos deux communautés. Bien à toi.