La Tribune : Les coupures d'électricité font l'actualité aujourd'hui. Sonelgaz note qu'une somme de facteurs en est la cause. Pouvez-nous nous éclairer sur cette situation ? Mustapha Benkhemou : le ministère de l'Energie et des Mines estimait, il y a de cela presque une décennie, que les besoins en électricité de l'Algérie atteindraient 14 000 mégawatts en 2010. Les capacités actuelles ne sont que de 11 000 MW, et nous sommes bientôt en 2013. Plusieurs raisons sont à l'origine de cette distorsion entre les prévisions et la réalité du terrain. Le ministère en charge du secteur de l'énergie avait une vision réaliste du développement du pays, tandis que Sonelgaz gérait les difficultés au coup par coup. En effet, un calcul simple nous indique que la différence entre les deux valeurs correspond aux vingt pour cent de capacités de réserve universellement observés pour garantir la sureté d'un système électrique national. Par ailleurs, les choix technologiques de l'entreprise nationale lui interdisent d'atteindre le seuil de rentabilité à même de dégager les excédents financiers indispensables pour une politique d'investissement en cohérence avec l'évolution attendue de la demande. Sonelgaz, qui s'entête à investir dans des turbines à trente pour cent de rendement énergétique, devrait opter définitivement pour la technologie du cycle combiné. Le coût de l'investissement, à puissance installée égale, est quelque peu supérieur à celui d'une simple turbine à gaz, mais ce surcoût est largement amorti et des bénéfices sont dégagés après deux à trois années d'exploitation. L'effet rente fait des ravages partout dans notre pays et Sonelgaz en est la parfaite illustration. Un haut responsable du groupe que j'interpellais sur le sujet me fit cette réponse sidérante : «Tant que l'Etat nous cédera le gaz naturel à ce prix (dérisoire), pourquoi changer nos habitudes ?».
Des analystes estiment que la loi sur l'électricité et le transport de gaz par canalisation adoptée en 2002, n'a pas permis de relancer le secteur de l'électricité ( production, distribution, et transport). Qu'en pensez-vous ? Ces analystes font sans doute référence à la restructuration organique de Sonelgaz qui a dû se plier à la politique ultralibérale en vogue depuis la chute du mur de Berlin; pour les grandes entreprises publiques verticalement intégrées, il s'agissait d'opérer l'unbundling (ou dé-intégration verticale). Cette décomposition de l'entreprise fortement centralisée devait permettre l'arrivée de concurrents sur chaque segment de la chaîne, et entraîner à terme une meilleure qualité de service en faveur des clients ainsi qu'une baisse tendancielle des prix. L'opacité du monde des affaires et les barrières administratives, caractéristiques de notre pays, ne favorisent pas les investissements directs étrangers, les fameux IDE, notamment dans le secteur de l'électricité. C'est pourquoi les rares compagnies qui s'étaient intéressées à notre marché ont vite fait machine arrière, laissant Sonelgaz plus lourdement structurée faire face, seule, à une demande accélérée. Résultat : des prix bas fixés politiquement, des choix technologiques désastreux, des coûts de superstructure inutilement gonflés, empêchent l'opérateur public de faire face avec efficience aux besoins d'investissements du secteur.
La direction actuelle de Sonelgaz juge que la rationalisation de la consommation de l'électricité ne peut être possible que s'il y a augmentation des tarifs de l'électricité (cinquante pour cent de relèvement). Des économies d'énergies par les prix, est-ce possible, selon vous ? Il est clair que le citoyen algérien paie son électricité à un tarif très en-dessous du prix coûtant ; il bénéficie de prix administrés qui seraient deux à trois fois plus élevés sans l'intervention des pouvoirs publics. Mais ce n'est pas Sonelgaz qui subventionne, c'est l'Algérie, laquelle, via son opérateur gazier Sonatrach, cède le gaz naturel, à un prix avoisinant un dollar/MMBtu, à Sonelgaz, alors que les prix internationaux de cette ressource naturelle oscillent entre cinq dollars et dix dollars/MMBtu. Bien au contraire, les centrales à la technologie obsolète que s'entête à acheter l'opérateur public national obèrent le prix de revient du KWH produit. L'efficience est à rechercher en amont avant d'accabler l'utilisateur final ; les ajustements nécessaires seront alors plus facilement acceptés par le citoyen lambda.
Sonelgaz souligne également qu'une nouvelle Algérie est en train de se construire et que cette Algérie a besoin d'un nouveau plan d'électrification de 18 milliards d'euros. Estimez-vous que pareil programme est réalisable ? Les chiffres annoncés ont pour vocation de calmer la grogne. Le secteur électrique algérien doit cesser de fonctionner comme un panier sans fond. La question est de savoir quand les responsables de Sonelgaz accepteront de revoir leurs choix technologiques; quand cesseront-ils de mettre les Algériens et leurs gouvernants devant le fait accompli de l'urgence; quand mettront-ils fin au chantage du black-out ? De la même manière, quand les autorités politiques du pays prendront-elles à bras-le-corps une question trop négligée, car sous-estimée jusque là ? Un programme de restructuration du parc de centrales électriques est indispensable, avec la généralisation du cycle combiné et le maintien de turbines à gaz pour écrêter les pointes journalières de consommation. Sur le budget de l'Etat naturellement. Ce programme, demandé à Sonelgaz par le ministère de l'Energie et des Mines, il y a une décennie, a été enterré aussitôt élaboré. Les effets sont plus visibles d'année en année. Demain, il sera trop tard !...