Photo : N. Hannachi De notre correspondant à Constantine Nasser Hannachi
Originaires d'Irak, elles vivent à Stockholm (Suède). Pourtant, elles n'ont ni oublié ni dénaturé leur patrimoine, bien qu'elles soient loin de son fief. La chorale féminine Toyour Dejla formée de 22 vocalistes a simplement enchanté les mélomanes avec un bouquet de chants extrait de l'ancienne musique de Baghdad et des opus des années 1940 et 1950, notamment ceux signés Nadhem al Ghazali et feue Afif Skander (décédée lundi dernier à Baghdad). Ainsi, le maqam irakien était à l'honneur en cette troisième soirée de la 6e édition du Festival international du malouf de Constantine,. Au total 22 femmes de différents âges, mais chantant à l'unisson de belles mélodies superbement appuyées par l'orchestre, sous la direction de Âla Madjid.C'est «un spectacle léger et plein d'émotion», commente une partie du public accosté. Tantôt en solo tantôt en groupe, le chant a trouvé une bonne réceptivité dans la salle, qui a vu une forte présence du public par rapport à la seconde soirée. Sur les rives de Dejla, Ahibek wa ourid ansak, Wach ahdi lihabibi hadiya, Jouze Menhoum, sont quelques-unes des chansons interprétées par les deux solistes Leïla et Wafa. Vêtues de belles robes noires brodées, œuvres de Mme Benwattaf, qui est native de Constantine et fait partie de la chorale (ce qui lui a valu un fort applaudissement), les chanteuses ont cartonné bien qu'elles n'aient pas une grande expérience musicale. Toyour Dejla a ainsi confirmé sa volonté de préserver le répertoire musical et le patrimoine d'une culture séculaire. «Elles n'ont pas suivi un cursus musical de haut niveau. Leur penchant pour ce répertoire et maqam irakien leur a permis de progresser. Cependant, par la suite je leur ai prodigué une formation académique et scientifique. Le maqam requiert une sensation et une émotion pour pouvoir être interprété. C'est cette spécificité qu'elles ont dans le sang qui les a aidées à progresser sur les scènes sur lesquelles elles se sont produites jusque ici», nous dira le chef d'orchestre Âla Madjid. Et la scène constantinoise a apprécié les exécutions de la formation qu'elle a savourées religieusement. Âla Madjid félicitera d'ailleurs le public : «Je vous remercie de votre écoute…je l'ai perçue.» Adepte du patrimoine irakien et puriste, le maestro s'indigne quand il entend le mot «révolutionner» le maqam. «Un patrimoine porte bien son nom. Il n'a pas besoin d'être réaménagé. Sauf si l'on veut améliorer son exécution. Chassons l'idée d'évolution pour garder au patrimoine son sens», soutient-il. Questionné sur le lien direct entre le malouf et le chant traditionnel irakien, l'artiste soutiendra : «C'est un prolongement d'El Inchad qui a été transporté par Ziryab au Maghreb et en Andalousie.»Toyour Dejla a été créée en 2008 par une irakienne, Souad Aidane, qui voulait initialement s'exprimer à travers la musique contre «la marginalisation de la gent féminine». Au départ, la chorale comptait sept éléments. Mais ses multiples prestations allaient connaître un franc succès, notamment auprès de la communauté irakienne en Suède. De sept choristes, la troupe s'élargira à 37. Porteuse d'un message d'amour et de paix aux peuples du monde avec «le refus de la violence que subit la femme irakienne», Toyour Dejla entend porter la culture de la Mésopotamie à travers le monde. La chorale qui s'est produite dans plusieurs pays arabes et européens a gagné le respect des connaisseurs qui saluent son combat pour la préservation du patrimoine culturel irakien.