Dans l'imaginaire collectif l'Arctique est une grande étendue de glace, où baguenaudent uniquement les ours polaires, les rennes et quelques lichens, qui sont les seuls espèces vivantes pouvant supporter des températures au dessous de zéro. Cette image est, certes, réaliste pour une grande partie de ce vaste territoire. Mais, avec les bouleversements climatiques, des changements radicaux pourraient survenir. Certaines régions de l'Arctique ne répondent plus à cette description. Dès lors, une question s'impose : l'Arctique pourrait-il devenir une contrée verdoyante ? L'idée parait pour le moins déraisonnée et peu crédible. Pourtant, des régions situées au sud de l'Arctique, notamment au Canada, en Alaska ou en Russie, ont connues des températures plus clémentes au cours des dernières décennies. Résultat, de nouvelles espèces de plantes s'y sont développées, comme par exemple, certains arbustes. Les scientifiques estiment même que d'ici 2050, si les températures continuent à augmenter, un nouvel écosystème se formera en Arctique. Après les arbustes, viendront les arbres, paysage que la région ne connait pas. Cette hypothèse scientifique est développée et expliquée dans une étude publiée, mardi dernier, dans la revue Nature climate change, et cité par le site spécialisé maxisciences.com. Les scientifiques qui ont mené cette étude estiment que la population d'arbres pourrait grandir de plus de 50% en quelques décennies.
Un modèle de prévision du développement de la végétation Dirigée par Richard Pearson de l'American Museum of Natural History, l'équipe de chercheurs a fait ces estimations en se basant sur des projections de l'évolution du climat en Arctique d'ici 2050. Jusqu'à présent, les températures en Arctique ont augmenté deux fois plus rapidement que dans le reste du monde. Grâce à leur étude, les scientifiques ont mis au point un modèle permettant de prédire quelle variété de plantes (herbes, mousses, arbustes ou arbres) poussera en fonction de la température et de précipitations attendues. Pour chaque point de la carte, ils ont créé une projection pour 2050. Ce genre de modèle est assez simple à établir pour l'Arctique car il y a des limites précises pour les températures et les temps de croissance que peuvent supporter ces types de plantes. D'après les estimations des chercheurs, il y aura donc de plus en plus d'arbres, couvrant 52% plus de territoire qu'aujourd'hui et s'étendant bien plus au nord de la ligne arboricole de l'Alaska et du Canada. Au cours de ces 30 dernières années, la latitude de cette ligne d'arbres s'est déjà déplacée d'environ cinq degrés au nord. Concrètement, la végétation d'une zone ressemble à celle située cinq degrés plus au sud, il y a 30 ans. Mais d'ici 2050, la différence de latitude se creusera plus. La limite des arbres pourrait s'étendre jusqu'à 20 degrés de latitude plus au nord. Environ 48 à 69% de la végétation de l'Arctique évoluera vers une autre variété. Certaines plantes rares seront ainsi en danger d'extinction si elles ne sont pas capables de se déplacer aussi vite que les zones de végétation.
Un effet drastique sur la chaîne alimentaire Les plantes sont un chaînon incontournable dans n'importe quelle chaîne alimentaire. Par conséquent, ces changements auront forcément un impact important sur les espèces animales. «Ces impacts s'étendront bien au-delà de la région Arctique. Cela se ressentira sur l'ensemble de l'écosystème. Par exemple, certaines espèces d'oiseaux migrent des basses latitudes pour trouver certains habitats polaires propices à l'installation de leurs nids», explique Richard Pearson, dans un communiqué. Les habitudes de migrations seront ainsi influencées par l'accroissement des forêts, à l'endroit où régnait la toundra des années auparavant. Mais un autre problème inquiète encore plus les scientifiques. Lorsque les rayons du soleil touchent la glace, la plupart des radiations sont réfléchies dans l'espace. En revanche, lorsqu'ils atteignent une zone sombre, ou couverte d'arbres, les rayons sont absorbés et la température augmente. Conséquence : plus les arbres se développent, plus la température augmente. C'est ce que les chercheurs appellent l'effet albédo. «L'effet albédo montre que ces changements d'ordre végétal entraîneront un réchauffement climatique plus important que prévu», signale Scott Goetz du Woods Hole Research Center, et co-auteur de l'étude relayée par le Smithsonianmag. L'Arctique est la zone au monde qui rencontre le plus de changements climatiques (fonte des glaciers, exploitations pétrolières, croisement des espèces d'ours). Elle sera donc l'une des régions les plus fragiles au niveau environnemental au cours du siècle prochain. Et si on veut inverser la tendance, on doit s'y mettre tout de suite. R. C.