Le lavabo de Juana Alonso est flambant neuf mais pas un filet d'eau ne sort du robinet. Il n'y a pas non plus d'ampoules au plafond: personne n'était censé aménager dans cette maison qui n'est pas encore terminée. Mais Juana ne pouvait pas attendre. Elle n'est pas la seule: faute de pouvoir payer un loyer, environ 70 familles, dont certaines risquaient l'expulsion, ont décidé il y a trois semaines d'occuper un pimpant lotissement de pavillons mitoyens au style andalou qui se dresse à la périphérie de Bollullos Par del Condado, petite ville d'Andalousie, dans le sud de l'Espagne. Particulièrement frappées par le chômage qui atteint 37% dans cette région agricole, la plus peuplée du pays avec huit millions d'habitants, soit encore au-delà du record national historique de 27,1%, de nombreuses personnes se retrouvent à la rue, incapables d'honorer leurs traites. «Je ne pouvais plus payer le loyer, c'était impossible», témoigne Juana, une aide-soignante au chômage de 53 ans. «Ces maisons étaient ouvertes, alors nous sommes entrés», ajoute-t-elle simplement, depuis le pas de sa porte. C'est à la bordure d'un pré où des chevaux paissent tranquillement, que Juana et ses voisins ont trouvé ces pavillons aux façades fraîchement peintes en blanc et jaune. Restés vides, sans eau ni électricité mais terminés, ces quatre pièces - cuisine avaient en partie été pillés. «J'espère qu'ils vont se bouger un peu et qu'ils nous mettront l'eau, l'électricité et nous accorderons un loyer modéré», explique Juana en parlant des autorités locales, dont elle affirme attendre une réponse. «C'est tout ce que nous demandons. Nous sommes des êtres humains, pas des chiens.» Comme de nombreuses autres constructions paralysées par l'éclatement de la bulle immobilière en 2008 et devenues des «villes fantômes», ce lotissement a été abandonné du jour au lendemain par ses promoteurs rattrapés par la crise. Mais ici, les maisons ont retrouvé la vie avec l'arrivée de familles asphyxiées par la crise. «Nous sommes venus ici parce que nous n'avions pas d'autre choix», lance Toni Garcia, assise sur une chaise devant sa nouvelle maison, occupée à donner le biberon à son bébé vêtu d'une simple couche dans la chaleur étouffante. «Je m'en fiche de dormir sur un banc mais je ne veux pas que mes enfants vivent dans la rue», explique cette femme de 23 ans qui travaillait comme saisonnière dans les grandes plantations d'oliviers de la région mais ne trouvait plus depuis des mois à s'employer. «On payait 225 euros par mois de loyer, c'est le moins cher qu'on puisse trouver mais je ne gagne rien et mon compagnon non plus... On allait nous expulser», poursuit-elle. Pour éviter ces situations, le gouvernement régional andalou, de gauche, a adopté en avril, contre l'avis du gouvernement conservateur espagnol, deux mesures inédites: bloquer les expulsions de familles précaires qui ne peuvent plus payer leur loyer ou rembourser leur prêt lorsque leur logement appartient à une banque. D'autre part, les banques et promoteurs immobiliers qui possèdent des logements habitables mais préfèrent les laisser vides plutôt que de les mettre sur un marché bloqué risquent désormais une amende d'entre 1 000 et 9 000 euros. Selon le gouvernement régional, 700 000 logements sont vides en Andalousie. Des mesures arrivées trop tard pour Juana, Toni et leurs nouveaux voisins qui, en attendant mieux, ont installé un grand bidon en commun pour s'approvisionner en eau. Des organisations caritatives leur distribuent la nourriture. «Nous sommes entrés ici sans faire de dégâts, bien au contraire», affirme José Manuel Rodriguez, 34 ans, dans le couloir vide de la maison qu'il occupe avec sa compagne et sa fille de 11 ans. Ancien saisonnier qui travaillait sur la cueillette des fraises autour de Huelva, en Andalousie, il affirme ne plus trouver non plus d'emploi. «Tout ce que nous voulons c'est pouvoir négocier une solution digne et trouver un logement», lance-t-il. R. L.P.