C'est un pari gagné pour la couturière Mme Kefil d'Ath Leksar. A l'occasion de la Journée nationale de l'artisanat, organisée dans cette commune, située à 25 km à l'est de Bouira, cette femme, qui s'est lancée depuis plusieurs années dans la confection traditionnelle, a présenté la typique et traditionnelle robe de Ath Leksar, qui lui a permis de remporter, l'année dernière, le premier prix de la robe kabyle. En effet, la robe kabyle d'Ath Leksar est considérée comme un habillement traditionnel très prisé dans la wilaya, au même titre que la robe constantinoise ou sétifienne dans l'Est algérien. Elle constitue une fierté pour de nombreuses femmes des localités d'Ath Leksar et Ouled Rached, car elle témoigne, par son aspect et ses couleurs, d'un passé riche en traditions ancestrales, marqué par une légende, ancrée dans la mémoire collective. Cette couturière nous raconte que cette histoire et les raisons de l'utilisation du noir et du rouge dans la confection de cette robe, trouvent leur origine dans un passé lointain, approximativement au Moyen Âge. A cette époque, il est dit qu'une princesse, lala Mlaoua, dont le nom a été donné à deux collines, les «deux pics de lala Mlaoua», s'est suicidée à la suite du refus de son père de la marier au prince Mastenbal, afin d'exprimer à ce dernier son amour et sa passion. La légende dit que, pour désapprouver le refus de son père, cette princesse a fugué vers la montagne en compagnie de l'homme qu'elle aimait, où elle s'est mariée et a vécu quelques jours, avant d'être rattrapée par son père, fermement opposé à cette union. Ce dernier voulait ramener sa fille à la maison afin de laver l'affront engendré par cette fugue. Se rendant compte d'avoir commis l'infâme, mais ne voulant pas quitter son prince, celle-ci mettra fin à ses jours. Cet acte irréparable a aussitôt suscité compassion et chagrin auprès des habitants de la région. La légende dit que la princesse Lala Mlaoua était modeste, compatissante et très proche de ses sujets, ce qui fait que sa disparition s'est transformée en deuil pour l'ensemble des habitants. Depuis, et pour manifester leur tristesse, les habitants se sont vêtus de noir ; les femmes de la région ont porté cette couleur même à l'occasion des fêtes, en guise d'hommage à la reine. La couturière ajoute qu'à cette époque, la couleur des habits était le caractère qui symbolisait certains événements sociaux, tels que la couleur blanche en temps de paix et le rouge en temps de guerre et de crise. Avec le temps, la couleur rouge a été utilisée par la femme de la région pour exprimer son chagrin et ses peines dans son milieu social ; des symboles particuliers furent également introduits dans la confection de cet habit traditionnel. Ces symboles se dessinaient sur un morceau de tissu, «el haïk», que les femmes portaient sur leur dos. D'autre part, Mme Kefil indique que la confection de la robe d'Ath Leksar nécessite sept mètres de tissu alors que le «haïk» en laine est teint en noir et porte des rubans de couleurs rouge et jaune. La robe se porte, selon notre interlocutrice, avec une parure en argent ornée de différents motifs et symboles. De ce fait, à travers cet habit, les femmes de la région continuent de perpétuer la tradition, mariant harmonieusement toutes les couleurs du printemps dans la région avec le noir, qui symbolise un deuil ancestral.