Henri Alleg ne mettra plus les pieds à Alger la blanche, cette ville qui lui collait à la peau, où il a vécu très longtemps, où il a lutté, où il a trop souffert de la barbarie des tortionnaires du colonialisme français, mais où il a triomphé un 5 juillet 1962 avec la victoire de sa cause : l'indépendance de l'Algérie. Henri s'est éteint mercredi dernier à Paris. Sa famille, ses amis, ses camarades lui rendront un hommage le lundi 29 juillet à 10 h 30 au crématorium du cimetière parisien du Père Lachaise. Le même jour, à 16 h, aura lieu une cérémonie d'inhumation au cimetière de Palaiseau (région parisienne). De son vrai nom Harry Salem, Henri Alleg, devenu Français-Algérien jusqu'à son dernier souffle, est entré dans l'histoire avec La Question, livre publié en1958, qui reste un texte universel majeur sur la torture. Arrêté au domicile de son ami Maurice Audin, capturé la veille par des parachutistes qui mettront fin à sa vie, il a témoigné sur les atrocités qu'il avait subies en 1957 de la part de ces mêmes parachutistes. Ce moudjahid, dont le visage n'exprime que bonté et douceur, a été d'un courage extraordinaire. «Vous pouvez revenir avec votre magnéto, je vous attends, je n'ai pas peur de vous», disait-il à ses tortionnaires qui l'avaient déjà massacré avec la gégène à répétition, des étouffements par l'eau et des brûlures. Avec La Question, Henri Alleg à brisé le mur du silence sur les pratiques de la torture à grande échelle durant la Guerre d'Algérie. Sorti en bouts de papiers de la prison, le texte a été édité à Paris. 65 000 exemplaires sont vendus avant son interdiction. Réédité en Suisse, 165 000 exemplaires entrent clandestinement en France où la pratique de la torture en Algérie éclabousse la République. Dans la préface au livre le philosophe Jean-Paul Sartre écrivait : «Henri Alleg a payé le prix le plus élevé pour avoir le droit de rester un homme.» C'est cet homme qui nous a quittés mercredi. Un homme, né à Londres le 20 juillet 1921, de parents juifs d'origine polonaise devenus français, qui débarqua en1939 à Alger «qui devait devenir (ma) ville», a-t-il écrit dans Mémoire algérienne. Dès lors son histoire personnelle va se confondre avec l'Algérie et son peuple. Son monde sera celui des «indigènes». Il prend connaissance avec l'Algérie coloniale où «des groupes d'hommes décharnés, en haillons qui, fantômes blafards, avançaient dans la nuit vers les cités justement, dans l'espoir d'une improbable embauche (…) A chaque hiver de famine, lorsque je voyageais à travers l'Algérie, je retrouvais ces spectacles épouvantables» (Mémoire Algérienne). Le jeune Henri Alleg s'engage dans le combat politique. Au début des années 40, Il adhère au Parti communiste algérien (PCA). Il devient journaliste à Jeune Algérie avant d'aller travailler au syndicat des dockers. En 1950 il entre au journal Alger républicain dont il devient, une année plus tard, le directeur jusqu'à son interdiction par le colonialisme en 1955. Recherché, il plonge dans la clandestinité d'où il envoie des articles à l'Humanité jusqu'à son arrestation en juin 1957, où il retrouvera Maurice Audin marqué par les tortures qui lui dira : «C'est dur Henri.» Après avoir subi «La Question» Alleg est interné en France. Il s'évade en1961 et retrouve Alger en juin 1962. Il relance Alger Républicain qui sera interdit en1965. Depuis, jusqu'à sa mort, Henri Alleg s'est rendu souvent en Algérie, a été de tous les combats contre le colonialisme, soutenant la cause du peuple palestinien et les luttes pour la démocratie. Il a continué à écrire. Outre Mémoire algérienne, il nous laisse un travail historique d'une grande valeur sur l'Algérie : La Guerre d'Algérie en 4 tomes volumineux (Editions temps Actuels). M. M.