C'est comme si c'était sa «croix». La confrérie des Frères musulmans renouera, indéniablement, avec la clandestinité. Le verdict prononcé hier par un tribunal administratif du Caire pousse les Frères musulmans, un parti pourtant représentatif, à reprendre leurs activité clandestinement. En 85 ans d'existence, la confrérie été souvent contrainte d'activer loin des circuits légaux. Le tribunal égyptien qui a interdit, hier, les «activités» des Frères musulmans et ordonné la confiscation des biens de l'influente confrérie, dont est issu Mohamed Morsi, le Président islamiste destitué par l'armée le 3 juillet dernier, a signé le début de la 3e ère de clandestinité pour les Frères musulmans. Le jugement du tribunal, réuni d'urgence hier, s'applique à la confrérie -qui n'a aucune existence légale- ainsi qu'à l'Association des Frères musulmans, une ONG créée sous la présidence Morsi et accusée de servir de façade à la confrérie, mais aussi à «toute organisation qui en émane ou est financée par eux». Le Parti de la liberté et de la justice, bras politique des Frères musulmans, qui avait remporté confortablement les législatives fin 2011, pourrait tomber sous le coup de ce jugement, de même que l'Alliance contre le coup d'Etat, l'organisation pro-Morsi qui anime la contestation contre les nouvelles autorités. Même si le jugement rendu hier peut faire l'objet d'un appel, nul n'est dupe. C'est une décision de justice politique. Les Frères musulmans, dont l'ancrage social est incontestable en Egypte, disposeraient de cent mille soutiens payants et de millions de partisans. Ils tirent leur légitimité d'un réseau d'œuvres sociales très dense, qui vient pallier les carences de l'Etat égyptien auprès des plus pauvres. La confrérie est particulièrement active dans les mosquées, où elle mène des actions d'aide aux défavorisés, dans les universités et au sein des syndicats. La confrérie, rappelons-le, a été fondée en 1928 dans une Egypte sous mandat britannique. Déplorant l'influence de l'occupant sur la société égyptienne, son fondateur, Hassan el-Banna, souhaitait imposer les valeurs de l'islam en s'appuyant pour cela sur le pouvoir politique. Cette façon novatrice de lier fortement politique et religion était le début de l'islam politique de l'ère moderne. Ses membres passent à l'acte par l'assassinat du Premier ministre Mahmoud Fahmi el-Noqrachi en 1948. Hassan el-Banna est tué en représailles de cette liquidation physique, l'année suivante. Le président égyptien Jamal Abdel Nasser, conciliant au début de son pouvoir, leur porte par la suite des coups très durs entre 1954 et 1970. Pendant cette période, les Frères subissent une répression féroce. Ils sont arrêtés par dizaines de milliers. En 1970, le président Sadate, soucieux de se démarquer de l'idéologie nassérienne, prononce une amnistie générale et libère les cadres emprisonnés. Le revirement de Sadate et les accords de paix avec Israël, lui coûtera la vie en 1981. D'ex-membres de la confrérie passés à l'extrémisme, l'avaient assassiné lors d'un défilé militaire ouvrant la voie à la présidence de Moubarak. Pendant l'ère Moubarak, la confrérie présentait des candidats au Parlement sous l'étiquette d'indépendants. Après une percée aux législatives de 2005, qui les avait vus remporter près de 20% des sièges, le pouvoir avait fait en sorte que ce succès ne se renouvelle pas en novembre 2010, en arrêtant notamment des milliers de membres de la confrérie entre les deux scrutins. À l'issue du premier tour du scrutin, les Frères musulmans, dénonçant l'ampleur des fraudes, s'étaient retirés de la compétition. La révolte populaire contre le régime Moubarak, initiée par des mouvements de jeunes en janvier 2011, a pris la confrérie de court. Seuls les jeunes Frères musulmans y prennent part au début, avant que le mouvement islamiste ne s'y rallie progressivement. Tout au long de la transition politique, la confrérie donne le sentiment d'alterner entre confrontation et connivence avec le pouvoir militaire, ainsi qu'avec les partis et mouvements laïques, s'appuyant alternativement sur les uns ou les autres pour faire avancer ses intérêts. Jusqu'à leur accession au pouvoir en 2011, les Frères musulmans était la force d'opposition la plus structurée en Egypte. A travers leur bras politique, le Parti de la liberté et de la justice (PLJ), ils ont réussi à remporter la moitié des sièges aux élections législatives de 2011-2012. La dissolution mi-juin de l'Assemblée, pour irrégularité dans le scrutin, les prive désormais de leur bastion parlementaire. Les Frères musulmans, qui prônent un islamisme non violent, ne sont pas considérés comme une organisation terroriste par les Occidentaux. Ceux-ci, qui craignaient des conséquences fâcheuses de leur participation au pouvoir sur la stabilité géopolitique de la région, ont vite été rassurés. L'Egypte, l'un des deux seuls Etats musulmans à avoir conclu une «paix froide» avec Israël, n'avait pas changé de politique sous le règne des islamistes. Les Etats-Unis, comme de nombreux autres pays étrangers, ont établis ouvertement des contacts avec la confrérie. Sa décapitation début août dernier, n'a cependant suscité que la condamnation de l'Allemagne, qui a exigé un retour à la légalité des urnes. Depuis, plus de 2 000 membres des Frères musulmans ont été arrêtés. Leurs plus hauts dirigeants sont actuellement derrière les barreaux ou en fuite et leurs avoirs ont été gelés la semaine dernière. M. S.