Par Ali EL HADJ TAHAR Retournement de l�histoire : l�association des Fr�res musulmans fond�e en 1928 par Hassan El-Banna et Sayyid Qotb en Egypte acc�de au pouvoir en 2012. Rebelle contre tous les types de r�gimes, cette formation a combattu tous les pouvoirs qui se sont succ�d� depuis sa cr�ation, la monarchie �gyptienne autant que la d�mocratie nass�rienne progressiste ou le centralisme de Sadate et de Moubarak. Elle a fait assassiner le Premier ministre �gyptien du roi en d�cembre 1948, complot� contre Djamel Abdel Nasser, car le socialisme, le communisme et les r�gimes la�ques, baathistes et modernistes sont ses principaux ennemis. En 1954, le ra�s �gyptien a dissous la formation avant d��tre amen� � emprisonner pr�s de 20 000 de ses militants, dont le leader actuel d�Al-Qa�da, Ayman al-Zawahiri. Dans les ann�es 1960, les Fr�res musulmans trouveront en Arabie saoudite un tremplin pour leur discours : les fr�res Mohamed Qotb et Sayyid Qotb ainsi qu�Abdullah Azzam, le chef des Afghans-arabes et ma�tre � penser de Ben Laden, enseigneront au sein de l�Universit� islamique de M�dine ou � l�Universit� du roi Abdallah � Djeddah, qui deviendront des vecteurs de propagation de la doctrine �ikhwaniste� et wahhabite, ces deux faces d�une m�me m�daille. L�aide saoudienne leur permet de s��tendre dans d�autres pays et de donner du fil � retordre aux Etats-Nations et d�mocraties naissants, puis de tuer Sadate en 1981 alors qu�il avait fait des concessions et les avait utilis�s contre les communistes. Beaucoup oublient que la trahison est leur marque de fabrique� A un court moment de leur histoire, en 1936, ils ont particip� � la r�sistance en Palestine et combattu le mouvement sioniste mais ils ne tarderont pas � devenir les alli�s objectifs des USA et de la CIA qui ont commenc� � les instrumentaliser d�s 1953, date de la rencontre de Talcott Seelye, diplomate am�ricain en poste en Jordanie, avec Sa�d Ramadane, num�ro deux de la confr�rie. Le r�gime la�que d�Hosni Moubarak les a accul�s dans l�ill�galit�, alors ils retrouvent dans la clandestinit� leur meilleur terreau : ils investissent des syndicats et les associations caritatives et �ducatives pour camoufler leur pros�lytisme. Dans les ann�es 1990, ils acceptent la main tendue de Moubarak et se disent publiquement respectueux de �l�indispensable d�mocratie � dans trois manifestes o� ils reconnaissent les droits des minorit�s, notamment ceux de leurs �fr�res et compatriotes coptes� ainsi que �le statut de la femme�. Mais nul ne peut jurer de la sinc�rit� de ce reniement doctrinal d�un islamisme qui se met au costume-cravate sans jurer de renoncer � l�application �int�grale� de la Charia, le fonds de commerce qui justifie leur existence. Comme ils ne renient pas le slogan d�islamisme qu�ils disent soluble dans la d�mocratie. En 1996, les Fr�res musulmans �gyptiens cr�ent un nouveau parti politique, Al Wasat, qui ne sera agr�� que le 19 f�vrier 2011 et qui se dit respectueux des principes de la d�mocratie lib�rale. Quant au Parti de la libert� et de la justice (PLJ) du pr�sident Mohamed Morsi, il est agr�� le 30 avril 2011 et dit se conformer au respect la Constitution du pays et des r�gles d�mocratiques de l�alternance. Les Fr�res musulmans sont comme une cellule : elle se divise et se subdivise pour terrasser un corps sain. Aux �lections l�gislatives de 2011-2012, le parti PLJ a remport� 49 % des suffrages. En f�vrier 2011, il annonce qu'il ne pr�sentera pas de candidat � l'�lection pr�sidentielle. En v�rit�, il avait promis � Al-Barada�, un islamiste non d�clar�, de le soutenir en tant que candidat � la pr�sidentielle, puis il le laisse tomber au profit du g�n�ral Sami Anan, qu�il laissera �galement tomber� Le PLJ change d�avis et d�cide de pr�senter un premier puis un deuxi�me candidat qui deviendra pr�sident de la R�publique, avec 51,7 % des voix, face � Ahmed Chafiq, un ancien du r�gime Moubarak auquel les modernistes et des lib�raux ont pr�f�r� un islamiste ! Une fois �lu, Morsi promet que son gouvernement sera ouvert aux diverses composantes politiques �gyptiennes. Or, selon l�ancien th�oricien des Fr�res musulmans, Tharout Al-Kharbaoui, tous les ministres plac�s par Morsi seraient de pr�s ou de loin des islamistes. Le pr�sident n�aurait int�gr� dans son gouvernement que des proches de la sensibilit� �fr�riste�, contrairement � ce qu�a fait Ennahda en Tunisie. Quant au richissime Kha�rat Chater, le num�ro deux des ikhwane, il serait � l�origine de nombre de d�cisions d�un pr�sident issu d�un parti dont les militants sont habitu�s � l�ob�issance plus qu�� l�imagination. On ne sait donc ce qui trotte dans sa t�te ni � la t�te d�une confr�rie dont les membres et les militants se r�v�lent si impr�visibles et versatiles dans la l�galit� comme dans la clandestinit�. Sans v�ritable programme, ils se contentent de suivre le vent des id�ologies lib�rales dominantes, pr�ts � faire toutes les concessions sur le dos des travailleurs et de leur pays. Les Fr�res musulmans �gyptiens se posent toujours en victimes du pouvoir et omettent de dire qu�entre 2005 et 2010, ils disposaient de 88 d�put�s (sur 454) � l'Assembl�e du peuple o� ils figuraient en tant qu�ind�pendants ou sous l��tiquette d�autres formations politiques. Ces d�put�s ont ainsi vot� contre l�augmentation du salaire minimum, pour la reconduction de Fathi Sorour (l�un des hauts responsables du r�gime) au perchoir de l'Assembl�e du peuple et applaudi le dernier discours du pr�sident Hosni Moubarak au Parlement, ce qui ne leur a pas interdit de le huer lorsque la Place Tahrir a scand� �D�gage !� Leur opportunisme leur a permis de gagner la mise et de d�tourner le �Printemps �gyptien� � leur avantage, comme le firent leurs confr�res tunisiens. A l�image de leurs pairs du MSP alg�rien, les nouveaux Fr�res �gyptiens sont habill�s en costume-cravate et leur barbe n�est pas hirsute. Beaucoup d�entre eux sont issus des hautes �coles, g�n�ralement de droit, et parlent des langues �trang�res, ce qui a rendu plus cr�dible leur discours l�nifiant. Mais aujourd�hui, beaucoup de ceux qui leur ont donn� leurs voix les suspectent de ruse et de duplicit� d�autant que leurs d�clarations de principe n�ont encore rien laiss� filtrer de leur programme politique, �conomique et social, sans parler du domaine culturel. L�opposition a applaudi lorsque Morsi a mis fin aux fonctions du Conseil supr�me des forces arm�es (CSFA) qui dirigeait le pays depuis la chute d�Hosni Moubarak en f�vrier 2011. A peine six semaines apr�s son entr�e en fonction, il a r�ussi � limoger le mar�chal Hussein Tantaoui et le chef d��tat-major Sami Anan. Cette facilit� d�concertante en a laiss� plus d�un pantois. Or, l�arm�e et le CSFA �taient les seuls garants d�une Constitution digne du changement qu�elle avait d�ailleurs soutenu et rendu possible, sinon cr��. Le CSFA ne voulait pas laisser � Morsi les mains libres et avait invalid� le Parlement domin� par les islamistes dans l�espoir que le prochain suffrage serait remport� par les forces modernistes. L�antimilitarisme primaire des d�mocrates a autoris� le d�roulement d�un autre sc�nario, qui s�est jou� apr�s les myst�rieux attentats du Sina� qui ont permis � Morsi de faire son premier putsch contre l�arm�e avant de tenter le coup de force contre la Constitution. Les d�mocrates paient aujourd�hui pour leur m�fiance envers l�arm�e. Dans sa premi�re allocution en tant que pr�sident, Morsi avait promis d'�tre �le pr�sident de tous les Egyptiens� mais il fera sa seconde allocution au si�ge des Fr�res musulmans, montrant sa pr�f�rence pour la confr�rie par rapport aux autres citoyens �gyptiens. Son projet de Constitution est conforme avec les id�es conservatrices qu�il d�fendait durant la clandestinit�, comme la cr�ation au sein de l�Etat d�un conseil de religieux charg� d'examiner la conformit� des lois � la Charia ! Une fois �lu, Morsi s�est trouv� devant un dilemme : suivre la ligne de son parti et se trouver confront� � l�opposition s�culi�re et d�mocratique, ou bien prendre exemple sur Ghannouchi qui en donnant la pr�sidence � Marzouki a su amadouer l�opposition mais suscit� la col�re dans ses propres rangs, comme l�ont montr� les d�passements violents des islamistes tunisiens. Morsi a pr�f�r� parier sur les siens, et le voil� dans l�embarras. Maniant avec assurance la langue de bois, Morsi n�avait pas besoin de faire des discours enthousiasmants pour emporter la pr�sidentielle, l�aura des Fr�res et un vote sanction ayant suffi. Or, remporter des �lections est une chose, gouverner en est une autre. Islamiste ou pas, il ne suffit pas d�avoir un Ph.D en engineering pour diriger un pays, a fortiori l�Egypte, et le mener sur le chemin de la paix sociale et vers la r�ussite �conomique. Morsi n�a pas la flamme d�un tribun ni l��toffe des gourous qui chauffaient les fanatiques dans les stades alg�riens. Comme ses pairs Ghannouchi, Abdel Jalil, Soltani et consorts, il se dit proche de l�AKP turc d�Erdogan mais il n�a ni l�exp�rience des affaires publiques et encore moins �tatiques ni le dipl�me correspondant et certainement pas la culture ad�quate. Le pr�sident turc, Abdullah G�l, est d�tenteur d�un doctorat en sciences �conomiques avec une longue exp�rience professionnelle, tandis que son Premier ministre, Tayyip Erdogan, est dipl�m� en sciences �conomiques et commerciales. De par leurs dipl�mes et les postes qu�ils ont exerc�s, ces deux personnalit�s ont pu assurer une forte croissance � leur pays, sans trop promettre comme l�a fait Morsi qui a m�me assur� de r�gler en cent jours les probl�mes d�embouteillage sans �tude pr�alable ! Jusqu�� ce jour, les Egyptiens ignorent ce que leur r�serve le programme �conomique de Morsi, � part le fait qu�il soit pr�t � faire toutes les concessions au FMI ou � la Banque mondiale : r�formes structurelles, lev�e des subventions aux produits de base� C�est d�ailleurs sur cette conditionnalit� que le FMI vient d�octroyer un pr�t de 4,8 milliards de dollars � l�Egypte, qui va devoir encore serrer la ceinture d�s l�hiver prochain alors qu�elle esp�rait la rel�cher. Il y a une dizaine de jours, Morsi a annonc� ces augmentations qui se sont aussit�t r�percut�es sur le march�, puis il les a annul�es quelques jours plus tard, cr�ant une v�ritable anarchie chez les commer�ants. A la veille des �lections, les islamistes n�avaient pas d�cid� s�ils allaient autoriser ou pas certains festivals, la musique, la danse� Quatre-vingt ann�es durant, ils ont activ� pour prendre le pouvoir en faisant des pr�ches, avec comme r�f�rences les livres de chevet des Sayyid Qotb et Hassan Al-Banna. La mouture de Constitution de Morsi trahit une m�me inconsistance et la m�me improvisation sur les plans �conomique, social, culturel� D�o� les d�g�ts de la discorde actuelle.