«C'est dommage que mes successeurs à Auxerre n'aient pas cru en Yebda» L'inénarrable Guy Roux, le doyen des entraîneurs en France et grand amoureux du football africain, suit la Coupe d'Afrique des nations avec un intérêt certain. Il a notamment regardé le match Côte d'Ivoire–Algérie qu'il considère comme l'un de matchs référence de cette édition. Consultant à Canal+, il a accepté de nous entretenir de ce grand rendez-vous africain et du parcours des Algériens, la veille de son passage ce soir, à 18h55, dans l'émission Les Spécialistes Maghreb de Canal+ Algérie où il parlera beaucoup des très bonnes prestations des Verts. * Les observateurs estiment que les phases finales des Coupe d'Afrique des nations sont devenues très attrayantes pour le public européen du fait de la présence de plusieurs stars évoluant dans les clubs européens. Partagez-vous cet avis ? Pas tout à fait car j'estime que même du temps où les CAN ne voyaient pas la participation de stars mondiales, elles étaient toujours intéressantes à suivre. C'est une compétition qui a son charme. Maintenant, même s'il y a des stars de niveau mondial qui y participent, il y a des facteurs qui font qu'elles ne peuvent pas s'exprimer pleinement. Il y a d'abord le fait que la compétition se déroule parfois, comme c'est le cas pour la présente édition, dans des pays de l'Afrique australe où règne le climat tropical, caractérisé par une forte chaleur qui peut parfois atteindre 40° et un taux d'humidité qui peut aller jusqu'à 80 %. En plus de gêner les joueurs dans la gestion de leurs efforts, cela influe également négativement sur les pelouses. Lorsque le tournoi se déroule dans des pays où la température est clémente ou même fraîche, comme à Alger où il fait en cette période 12°, c'est beaucoup mieux pour les joueurs et les équipes en général. Cependant, il faut s'y faire. On ne peut changer le climat. * Un joueur comme Didier Drogba a avancé l'argument de l'état du terrain pour expliquer ses prestations mitigées durant la CAN. Cela rejoint donc ce que vous dites… Je ne pense pas que le terrain ait été le seul facteur. Si le terrain était tellement handicapant, l'attaquant algérien qui a inscrit le premier but (Matmour, ndlr) n'aurait pas pu enchaîner contrôle et tir au but. Pour Drogba, peut-être que les défenseurs centraux algériens l'ont tout simplement empêché de faire ce qu'il voulait. Aussi, il n'a pas été pourvu souvent en bons ballons de la part des défenseurs et des milieux de terrain ivoiriens. Beaucoup de choses peuvent donc expliquer la méforme de Drogba. C'est tout le contexte qui est différent. * Alors qu'il est flamboyant à Chelsea depuis le début de la saison, on l'a vu beaucoup plus discret avec la sélection, au point où certains Ivoiriens l'ont accusé de ne pas se donner à fond avec la sélection… On peut lui faire tous les reproches, sauf celui-là. Personne ne peut douter du sentiment patriotique de Drogba. D'ailleurs, en tant que capitaine, c'est lui qui se montre le leader sur le terrain. Non, je ne crois pas à cela. D'ailleurs, il faut juste voir comment il avait mobilisé tous ses coéquipiers, après ce qui était arrivé à la délégation du Togo, pour rester dans la CAN et participer à la compétition. C'est un grand patriote et un amoureux de l'Afrique. * Vous avez suivi le match Côte d'Ivoire-Algérie. Que pensez-vous de la prestation des Algériens ? La victoire et la qualification ont été logiques. Les Algériens ont fait montre d'une grande maîtrise technique et tactique tout au long du match, excepté durant le premier quart d'heure où ils semblaient être absents. Il faut le reconnaître : la sélection algérienne a tiré un profit de la présence en son sein de joueurs dont les parents avaient émigré en France, mais qui sont restés profondément attachés à leurs racines algériennes. Je suis particulièrement content pour un garçon comme Hassan Yebda qui est en train de démontrer sa valeur internationale à travers ses prestations. * Justement, il est issu du centre de formation d'Auxerre. Aviez-vous vu en lui un futur grand joueur ? J'entrevoyais chez lui des qualités pour réussir. Malheureusement, lorsqu'il avait signé son premier contrat pro, je n'étais pas l'entraîneur d'Auxerre et mes successeurs n'avaient pas cru assez en lui. C'est pour ça qu'il avait quitté le club. * Si vous étiez resté, lui auriez-vous fait confiance ? Oui, certainement. J'aurais cru en ses capacités. Auxerre a eu la chance d'avoir un très bon joueur algérien dans ses rangs, Moussa Saïb, et je pense que Yebda aurait été dans sa lignée au sein du club, quoi qu'ils ne jouent pas exactement dans le même registre. * Lorsque Saïb était joueur à Auxerre, Yebda était dans le centre de formation et il nous a déclaré qu'en ce temps-là, Saïb était son idole. Pensez-vous que cela ait influé sur son choix de jouer pour l'Algérie ? Bien sûr ! Saïb et Yebda sont issus non seulement du même pays, mais ils sont également de la même région puisqu'ils sont tous deux Kabyles. Cela a eu une influence. En tout cas, je suis fier que Yebda puisse donner la mesure de son talent avec la sélection d'Algérie. * Pensez-vous qu'il peut être un nouveau Saïb ? Ils ne jouent pas dans le même registre. Disons que chacun d'eux a des qualités propres. Saïb a été un très bon milieu de terrain et Yebda est en train de le devenir. * Il y a également un autre international algérien, Rafik Djebbour, formé à l'AJ Auxerre, mais qui est absent de la CAN à cause d'un manque de compétition. Pensez-vous que son apport rendra les Algériens plus forts ? On ne change pas une attaque qui met trois buts à la Côte d'Ivoire ! Djebbour a de grandes qualités d'attaquant, mais je pense que l'Algérie est déjà assez armée, dans sa composante actuelle, pour faire de bonnes choses. Tout élément de niveau ne pourra que rajouter de la qualité à ce groupe. * Vahid Halilhodzic a déclaré qu'il avait vu plusieurs équipes d'Algérie dans le passé, mais que c'est la première fois qu'il en voit une dont les joueurs, en sus de leurs qualités techniques, sont très disciplinés sur le terrain. Partagez-vous cet avis ? Oui, parfaitement. Grâce à l'apport des éléments qui évoluent dans les grands clubs d'Europe, il y a plus de rigueur et une meilleure organisation. C'est ce qui fait que la sélection actuelle d'Algérie soit forte. Je pense que c'est une très bonne nouvelle car j'ai toujours dit que si l'Algérie a connu un recul ces dernières années, c'était simplement à cause de la conjoncture qu'avait connue le pays et qui avait pénalisé la formation des footballeurs. Sinon, l'Algérie a toujours été un pays de football. Je pense aussi, concernant cette édition, que la défaite subie contre le Malawi a été salutaire pour l'équipe dans la mesure où elle a fait redescendre les joueurs algériens sur terre. De plus, elle les a piqués dans leur orgueil et les a poussés à montrer leur vraie valeur. * Vous avez évoqué les conditions climatiques plus haut et le sélectionneur algérien a déclaré que c'était inhumain de jouer dans l'après-midi sous une très forte chaleur. Vous partagez donc son avis ? Oui, parfaitement. En tant qu'entraîneur, je peux comprendre l'inconvénient de jouer sous une forte chaleur. Ses arguments pour expliquer la défaite sont tout à fait recevables, tout comme ceux qu'il a développés pour expliquer le choix d'effectuer la préparation dans le froid. Les événements sont en train de lui donner raison puisqu'à part le premier match, où c'était normal que les joueurs, étant passés tout à coup du froid au chaud, en soient affectés, ils ont montré de la fraîcheur lors des autres matches, alors que les sélections s'étant préparées dans des pays chauds sont fatiguées au fil des match du fait des limites de la préparation dans le chaud. * Un mot sur le recul du Maroc et de la Tunisie, deux nations qui étaient les plus performantes du Maghreb il y a encore quelques années ? A chacun son tour ! C'est à présent la Tunisie et le Maroc qui vivent une crise de génération. Cela peut arriver à toutes les nations. L'essentiel est de trouver les ressources pour rebondir. * Pensez-vous que l'Algérie est désormais le favori pour remporter le titre africain ? Quand on bat la Côte d'Ivoire, on ne peut qu'être favori. Cependant, il faudra d'abord qu'elle élimine l'Egypte qui est quand même le champion d'Afrique en titre. Je pense que là, le match ne sera pas banal. Ce sera très intéressant de suivre cette rencontre entre deux équipes très bien organisées. Cela dit, toutes les équipes qui arrivent en demi-finales deviennent des favoris. On n'arrive pas à ce stade de la compétition par hasard. Entretien réalisé par Farid Aït Saâda