La langue et la poche de Johan Cruijff ne font jamais bon ménage. Adepte des punchlines et partisan du franc-parler, le Hollandais volant n'avait pu s'empêcher, en décembre dernier, de délivrer sa vision du régionalisme espagnol, à la sauce footballistique : « J'avais déjà trois joueurs basques et j'en ai recruté quatre de plus parce qu'ils étaient plus vaillants à l'époque que les joueurs catalans. Enfin, que certains joueurs catalans. » À dire vrai, sa dream team, et le succès continental londonien qui l'a passé à la postérité, était composée au tiers par des joueurs issus du moule basque. Andoni Zubizarreta, Julio Salinas, Txiki Begiristain, José Mari Bakero ou encore Jon Andoni Goikoetxea formaient ainsi la colonne vertébrale de son Barça. Au nombre de huit, ces natifs du Pays basque ne sont plus du tout présents dans l'effectif blaugrana, car « aujourd'hui c'est différent, les Catalans sont tout aussi vaillants », dixit sa seigneurie Cruijff. Un recrutement estampillé Javier Clemente Le « motin del Hesperia » reste, dans les mémoires blaugrana, comme le point d'inflexion du club. En 1988, alors en bisbille avec bon nombre de ses joueurs qui l'accusent de ne pas les payer, le président de l'époque, José Luis Nuñez, décide de mettre un grand coup de pied dans la fourmilière. Tandis que Bernd Schuster et consorts exigent sa démission, le sulfureux big boss leur demande expressément de se casser. Luis Aragonés, alors à la tête de cette équipe, finit bon gré mal gré l'exercice, échappant au limogeage en cours de saison grâce au succès en Copa del Rey. Pour se refaire la cerise, Nuñez prépare l'arrivée de Javier Clemente, alors au summum avec son Athletic Bilbao. Avant même sa signature, l'entraîneur basque se creuse les méninges et affine une short list des potentielles recrues du mercato estival. Pas de chance, la nébuleuse du Camp Nou ne veut pas de l'ancien coach des Pericos sur son banc et provoque une volte-face du señor Nuñez. Poussé par son bras droit Nicolau Casaus, il opte alors pour un retour de Johan Cruijff à Barcelone et s'évite par là même une crise institutionnelle qui l'aurait contraint à la démission. Lors de cet été 1988 rocambolesque, pas moins de treize joueurs prennent leurs valises tandis qu'une bonne dizaine débarque dans la capitale catalane. Des nouvelles têtes que Johan Cruijff découvre dans un hôtel de l'aéroport d'Amsterdam. « Il était désormais entraîneur du Barça et avait demandé une faveur à celui qui allait devenir son grand ami et bras droit au niveau de la communication, Joan Pasty, se remémore Esteban Gómez, journaliste présent lors de la rencontre. Il lui a alors dit : "Joan, s'il te plaît, tu peux me ramener des vidéos des nouvelles recrues, je veux tous les connaître, découvrir les détails que l'on ne m'a pas dit." » De fait, dans cet Hilton proche de Schipol, il découvre un certain Txiki Begiristain, jeune feu follet de la Real Sociedad : « Il est très intelligent, ce Txiki, j'aime beaucoup comment il joue. » De fait, pas moins de cinq Basques découvrent la Catalogne lors de cet été : les Txuri-Urdin José Mari Bakero, Luis Lopez Rekarte et Txiki Begiristain, le Gorritxoak Juan Carlos Unzué et le Colchonero Julio Salinas. Une compagnie estampillée Euskadi qui s'apprête à faire les beaux jours barcelonais. « Le marché basque est trop cher » Avant le succès, la galère rythme le quotidien blaugrana. Avec sa philosophie d'un football total et ses idées novatrices, Johan Cruijff rencontre de dures critiques. Toujours soutenu par son président, il persévère et ajuste son équipe. « Les deux premières années n'ont pas été faciles, diagnostique Bakero. Il y a eu quelques changements de joueurs et, lors de la troisième saison, l'équipe a commencé à bien fonctionner. Nous avions un bon groupe d'Espagnols et trois étrangers nous ont rejoints, Koeman, Laudrup et Stoichkov. » S'ensuivront alors des titres à la pelle, avec une Ligue des champions et deux Ligas remportées à la dernière journée en point d'orgue. Cette concentration de joueurs d'une même région, d'un même pays, pousse même la Junta Directiva barcelonaise à répéter tel recrutement. Ainsi, lorsqu'une dizaine de Néerlandais se retrouve au FCB en 1999, Nuñez soutient la comparaison avec la colonne vertébrale de la dream team de Cruijff : « C'est mieux d'avoir huit Hollandais. L'intégration sera même meilleure parce qu'ils connaissent déjà la philosophie et l'école de l'Ajax. Le marché basque est de toute façon trop cher. » Ou déjà épuisé.