«Il ne faut pas que ce match sorte de son contexte» Aziz Bouderbala a rayonné lors de la cérémonie du 10e Ballon d'Or pour lequel il est revenu à Alger, à l'invitation du Buteur. L'ancien attaquant de l'Olympique de Lyon a vaporisé l'hôtel de son parfum de star incontestée du ballon rond africain. Il était pourtant très peu probable pour qu'il vienne avec un emploi du temps aussi chargé que le sien. En effet, l'acteur de cinéma qu'il est devenu aujourd'hui avait été invité au Festival de Marrakech, aux côtés de géants de Hollywood, comme John Malkovich, Susan Sarandon ou de l'Hexagone, comme Jamel Debouz et Gad el Maleh pour ne citer que ceux-là. De plus, sa chère maman était très malade et revenait juste d'une sérieuse hospitalisation. Il aurait pu trouver un bon prétexte pour refuser poliment notre invitation. Mais les vraies stars ne refusent pas de prendre part aux bonnes causes. Et c'est pour cela qu'il a tenu à vivre ce moment avec ses frères algériens. «Pour l'Algérie, je ne dis jamais non. Invitez-moi autant de fois que vous le voudrez, je serai toujours parmi mes frères», nous a-t-il dit avant de prendre l'avion. Entretien avec un homme franc, comme il n'en existe que peu de nos jours. Appréciez ! D'abord, on voudrait vous remercier vivement d'être venu au Ballon d'Or, malgré un emploi du temps chargé … Je voudrais d'abord dire que je suis très honoré par cette invitation au Ballon d'Or algérien. Je suis toujours heureux de venir en Algérie, que je considère vraiment comme mon deuxième pays. Je remercie vivement votre journal de m'avoir invité à cette grande cérémonie qui m'a permis aussi de revoir mes amis algériens, comme Madjer, Belloumi, Ighil, Kouici, ainsi que les jeunes des Verts, comme Boudebouz, Yahia et Bougherra. Je suis vraiment heureux d'être parmi vous et mon plus cher souhait est de pouvoir contribuer à montrer que le football est un moyen de rapprochement entre les peuples. Comment avez-vous vécu cette cérémonie ? C'était tout simplement grandiose. D'abord, par la qualité de l'organisation et celle des invités présents lors de cette soirée. Il y a eu du beau monde avec la venue d'un des meilleurs joueurs espagnols de tous les temps, Emilio Butragueno, de Belloumi, Madjer et du grand entraîneur qu'est Meziane Ighil, avec qui j'ai passé la soirée. Je vous dirai tout simplement : bravo pour cette cérémonie ! Un mot sur la consécration de Madjid Bougherra ? C'est un joueur qui mérite amplement cette distinction. Ceux qui ont voté pour lui ne se sont pas trompés, car c'est le joueur qui a été le plus régulier sur toute la saison. Que ce soit avec son club ou avec l'équipe d'Algérie. Les matchs qu'il a livrés pendant la CAN et la Coupe du monde sont très révélateurs de son mérite. Sans parler de ce qu'il a fait en club. C'est vraiment un bon Ballon d'Or. J'espère que Yahia et Boudebouz l'auront un jour à leur tour. Vous étiez au Festival du film de Marrakech, la veille du Ballon d'Or, et votre maman est toujours très malade, mais malgré cela, vous avez tenu à venir à Alger… C'est vrai, j'ai pris part au Festival du film de Marrakech et ma maman est très malade. J'ai rallié Casablanca le soir après la fin du festival et j'ai pris l'avion pour Alger le lendemain matin. J'ai juste appelé ma mère pour demander de ses nouvelles. Je n'ai pas eu le temps d'aller la voir, malheureusement. Mais l'appel de l'Algérie m'est également très cher et je ne pouvais pas refuser votre invitation. J'ai donc pris sur moi afin de venir assister à cette cérémonie. On en est très, très honorés… Si je suis venu à Alger, malgré tout ce que j'avais à faire, c'est plus par responsabilité envers nos deux peuples. C'est au nom de l'amitié et de la fraternité que j'ai laissé ma chère maman pour venir en Algérie et véhiculer ce message important. J'ai un nom qui est connu de nos deux peuples et de ce fait, je me devais de le mettre en avant pour prouver combien votre amitié nous est chère et sincère au Maroc. Par expérience, je sais que le footballeur est mieux écouté qu'un artiste. J'ai vécu cela au Festival de Marrakech où les médias étaient venus plus nombreux vers moi que vers les autres stars du cinéma. Je mesure donc plus la responsabilité qui est la mienne en tant que footballeur célèbre. On n'a pas le droit de fuir ses responsabilités. Quel était exactement votre rôle dans ce Festival ? J'ai été invité parmi toutes stars du cinéma marocain et mondial, d'abord en tant que footballeur, mais aussi en tant qu'acteur. Car, comme je vous l'ai dit lors de notre dernière interview, j'ai un grand penchant pour le cinéma et la télévision. J'ai fait du théâtre avant de commencer ma carrière de footballeur. Et cela me tenait à cœur de renouer avec le monde artistique. J'ai donc repris en acceptant un rôle d'acteur dans un téléfilm marocain de 16 épisodes qui a été très bien accueilli par le public et les critiques. J'ai eu le premier rôle aux côtés de très grands noms du cinéma marocain, comme Amel Aïouche, Lazhar Regragui, Si Mohamed Kheffi, Saïd Amel et d'autres noms connus. Avez-vous encore d'autres projets cinématographiques ? Oui, il y a beaucoup de projets qui m'attendent, Dieu merci. J'ai tourné déjà un autre film romantique au mois de Ramadhan qui s'intitule La Chaleur de la vie et une série policière d'une trentaine d'épisodes, intitulée La Brigade, très connue au Maroc, qui m'attend pour le mois de mars. Mais cela vous éloigne bien du monde du football que vous pourrez beaucoup aider, surtout en ce moment de restructuration, non ? Je n'ai aucun souci avec cela, puisque je me trouve très éloigné du monde du football depuis trois ans déjà. Tout ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est comment faire pour réussir ma nouvelle carrière d'acteur. C'est un défi que je me suis lancé afin de ne pas vivre frustré, mais aussi pour montrer que dans le monde du football, il y a des joueurs qui s'intéressent aussi à l'art en général. Pour moi, un footballeur peut aussi être poète, musicien, écrivain ou autre. Mais ils ne le révèlent que très rarement… J'en connais beaucoup qui sont très portés sur l'art. Vous-même, vous m'avez présenté Anthar Yahia qui m'a dit modestement qu'il jouait un peu de guitare. J'ai connu beaucoup de footballeurs qui s'intéressent soit à la musique soit au chant. Mais tout dépend de la personnalité du joueur. Chacun gère cela à sa manière. Passons cette fois au football. Si la Fédération marocaine vous demande d'être l'adjoint de Gerets, accepteriez-vous ? Je ne travaillerai pas avec lui, car sincèrement, je pense être meilleur que lui. Chez moi au Maroc, tout le monde connaît ma valeur et ma réputation. On sait très bien que je peux beaucoup apporter à l'Equipe nationale. J'ai porté le maillot marocain et je sais ce que ressentent les joueurs du Maroc d'aujourd'hui. De plus, j'ai joué dans le haut niveau en Europe et j'ai participé deux fois au Mondial et plusieurs fois à la CAN. Je sais très bien comment ça se gère. Je ne vois pas pourquoi on se borne encore à faire appel aux entraîneurs étrangers, alors que les compétences ne manquent pas chez nous. Certains croient fermement que l'entraîneur étranger est supérieur au local. Le complexe d'infériorité les a rongés profondément, au point où ils ne font plus confiance aux locaux. C'est vraiment regrettable d'arriver à cette situation. Et on peut me dire et redire mille fois le contraire, je ne pourrai jamais croire qu'au Maroc, il n'y a personne pour entraîner l'Equipe nationale. En tant que Marocain et ancien mondialiste, comment avez-vous vécu la qualification de l'Algérie au Mondial ? Je me rappelle que juste après ce fameux match du Soudan face à l'Egypte, tous les Marocains sont sortis dehors pour manifester leur joie de voir l'Algérie qualifiée aux dépens de l'Egypte. C'était comme si le Maroc allait jouer le Mondial. Ceux qui ont regardé les chaînes marocaines ont dû voir comment les Marocains étaient heureux pour l'Algérie. Je ne dis pas que les Marocains détestent les Egyptiens, mais notre complicité et notre fraternité avec l'Algérie avaient pris le dessus tout naturellement. En tant que Maghrébins, nous avons plus d'affinités avec les Algériens qu'avec les Egyptiens. Qu'est-ce qui vous a le plus séduit dans cette équipe d'Algérie ? Sans hésiter, je dirai l'esprit de combativité qui animait les joueurs pendant les éliminatoires. On voit rarement une telle détermination chez une équipe. On sentait qu'ils jouaient pour défendre une cause nationale, un maillot qui leur est trop cher pour abdiquer. C'est ce qui leur a permis de renverser des situations qui paraissaient aux autres impossibles. Un joueur qui ne met pas son cœur de cette manière pour défendre les couleurs nationales, tu ne peux rien attendre de lui. Sans cet esprit de nationalisme, on ne peut rien apporter à la sélection nationale. On vous a vu à plusieurs reprises reprocher cela aux internationaux marocains… C'est vrai. Je l'ai souvent répété. Quand on porte le maillot de son pays, on représente tout un peuple, non pas une seule région comme en club. C'est très difficile de décrire les sentiments qui animent le joueur lorsqu'il joue pour son pays. On peut décrire tout, sauf cela. Lorsqu'un joueur entre sur le terrain et qu'il entend l'hymne national entonné par le public, il se transcende aussitôt. Mais à la seule condition qu'il soit conscient qu'il est en train de défendre l'honneur de tout son peuple. Il doit se mettre dans la peau d'un combattant prêt à mourir sur le terrain. Si un joueur ne ressent pas cela en jouant avec la sélection de son pays, il vaut mieux qu'il laisse la place à quelqu'un autre. Quel est votre avis sur l'équipe d'Algérie pendant le Mondial ? Nous aussi au Maroc étions tristes de ne pas voir l'Algérie passer au second tour, malgré le fort potentiel de cette équipe. Mais il ne faut pas blâmer les joueurs, car ils ont acquis beaucoup d'expérience et de confiance en jouant contre de grandes équipes comme l'Angleterre. Dans leur tête, vos joueurs savent qu'ils ne sont plus les mêmes et qu'ils ont grandi. C'est très important pour la suite de leur carrière, vu qu'ils sont encore assez jeunes dans l'ensemble. Pensez-vous que le match du mois de mars sera tendu entre nos deux équipes ? Je suis à l'opposé de ceux qui le croient. Bien qu'il y ait des problèmes entre les deux pays, les deux peuples restent loin de tout cela. Nous devons tout faire pour ne pas laisser cela gangrener ce match. Il faut qu'on reste dans le cadre sportif et uniquement cela. Le meilleur l'emportera pour bien représenter le Maghreb durant la CAN. J'espère que ces deux matchs vont plus nous rapprocher que nous éloigner les uns des autres. Nous sommes des sportifs et nous ne jouerons qu'un match de football, ce sport qui nous a tant rapprochés par le passé. Je militerai tout le temps pour faire passer ce message aux médias et aux supporteurs. L'Algérie et le Maroc ont changé de sélectionneur national. Pensez-vous que cela apportera des améliorations ? Je ne sais pas pour l'Algérie, mais je me contenterai de parler du Maroc en disant que depuis que Gerets est arrivé, on a joué un seul match face à l'Irlande et on a vu quelques améliorations dans le jeu de l'équipe. Mais cela ne veut pas dire que l'équipe du Maroc a redressé la situation et qu'elle a renoué avec le beau jeu qu'on lui connaissait par le passé. Il faut du temps pour dire s'il y a réellement les améliorations qu'on souhaite et voir si le jeu est cohérent. Pour moi, que vous mettiez Gerets ou Arsène Wenger, ou mieux encore, qu'on déterre Larbi Benbarek de sa tombe, nul ne pourra redonner son lustre d'antan à l'équipe du Maroc, sans s'attaquer aux vraies raisons qui gangrènent le football marocain. Et qui sont…? Elles sont trop nombreuses malheureusement pour pouvoir les énumérer en si peu d'espace. Je dirais juste que les gens qui dirigent le football au Maroc n'ont rien apporté depuis 13 ans et que les vrais footballeurs ont été pratiquement tous écartés de leur milieu naturel. Il y a trop d'intrus dans le monde du football et cela a fait fuir les gens du métier, voilà le vrai problème. Pensez-vous que ces problèmes auront des répercussions sur les joueurs ? Certainement ! Surtout à ceux des clubs marocains et, de fait, sur la sélection. Plusieurs joueurs des Lions de l'Atlas sont issus du championnat marocain et ils vivent avec ces intrus durant toute la saison au sein de leurs clubs respectifs. Forcément, ils vont leur nuire d'une manière ou d'une autre. Je ne dis pas que ces gens ne connaissent pas le métier du marketing ou comment ramener l'argent. Au contraire, ils sont tout à fait dans leur élément, s'ils ne s'immisçaient pas dans le volet technique. Selon Salaheddine Bassir, le Maroc est aujourd'hui favori. Et pour vous ? Moi, je dis qu'il faudra rester réaliste avant d'émettre un quelconque pronostic. Personnellement, j'estime que ni le Maroc ni l'Algérie ne méritent d'être favoris pour se qualifier à la CAN, du moment qu'on a ouvert la voie à la Tanzanie et au Centrafrique qui nous ont imposés le respect chez nous. Très sincèrement, et au vu de ce qu'ils ont montré tous les deux, je pense qu'ils sont mieux placés, tout simplement. Ne pensez-vous pas qu'on les a pris un peu de haut ? Tout à fait ! Sinon, la Tanzanie et le Centrafrique ne seraient pas venus avec l'intention de gagner ou de faire match nul au Maroc et en Algérie. Franchement, j'ai encore du mal à parler de cela, car je me perds tout de suite en écoutant certains évoquer déjà le goal-average et je ne sais quoi comme calculs absurdes. On parle bien de la Tanzanie et du Centrafrique, non ? Sincèrement, j'ai du mal à débattre des pronostics contre des équipes aussi modestes sur l'échiquier continental. Quand on joue contre le Ghana, l'Egypte, la Tunisie, le Nigeria ou le Cameroun, je veux bien qu'on discute du nombre de buts marqués et encaissés. Ces nations-là sont grandes et il est autorisé de calculer face à elles. Mais pas face à la Tanzanie et au Centrafrique. Je regrette de dire cela, mais c'est ma vision du football, malgré le respect que je leur dois. Où se situe le vrai problème ? Il est en nous, pas ailleurs ! Ce n'est pas la Tanzanie et le Centrafrique qui ont progressé, car leur classement FIFA le prouve bien. C'est nous qui avons régressé. Nos adversaires en ont profité et ils ont bien raison de le faire. Ne pensez-vous pas que nous nous contentons de peu aujourd'hui, tant au Maroc qu'en Algérie ? Vous avez tout à fait raison de le dire. Je suis entièrement d'accord avec vous. Nous nous enflammons assez vite dès la moindre victoire, croyant qu'on est déjà arrivés et après, on retombe dans nos travers. Vous n'avez qu'à voir les progrès réels des grandes équipes africaines qui arrivent à mettre plusieurs de leurs joueurs dans de grands clubs européens. Contrairement à nous qui avons très très peu de nos footballeurs évoluant dans le très haut niveau. Voilà toute la différence. On exporte de moins en moins de bons joueurs en Europe. Mais il y a Marouane Chamakh à Arsenal, Hassan Yebda à Naples… Chamakh est né en France et c'est dans ce pays qu'il a été formé. Pareil pour Yebda ou les autres, qu'ils soient algériens, marocains ou tunisiens. Moi, je veux plus parler des joueurs issus des championnats locaux qui n'arrivent pas à percer dans le très haut niveau. Ces joueurs ne trouvent pas le suivi nécessaire pour arriver à intégrer les grands clubs européens. Ce n'est pas possible d'arriver à jouer au Bayern de Munich, au Real Madrid ou à Manchester United, quand on n'a pas reçu la formation qu'il faut dans son jeune âge. La faiblesse se découvre très vite chez nos jeunes et c'est cela qui est le plus regrettable à mes yeux. Un dernier mot pour le public algérien ? Mon message s'adresse tant aux supporteurs algériens que marocains. J'aimerais leur dire de profiter de cette belle occasion qui nous est offerte avec ces deux matchs qui attendent nos deux sélections, pour renforcer nos liens fraternels et nous rapprocher un peu plus les uns des autres. Il ne faut pas donner raison à ceux qui pensent que ces deux matchs vont sortir du cadre sportif. Nous avons une histoire commune, une religion commune et des traditions identiques. Le football doit nous rapprocher, et non pas nous éloigner. C'est très important pour les générations futures. Regardez juste ce qui s'est passé avec les Egyptiens. Aujourd'hui, tout est derrière et il ne subsiste que la haine dans les cœurs des revanchards de tous bords. On ne doit penser qu'au football et applaudir le meilleur sur le terrain. ---------------------- Avec Naïma et Guerrouabi dans sa valise Aziz Bouderbala est un vrai artiste. Il le prouve à chaque mot qu'il prononce et même dans sa façon d'être. Il l'était déjà en tant que footballeur sur les terrains en tirant par exemple les corners de… l'extérieur de son pied droit magique, dont on garde encore le souvenir de ce bandage au genou qui ne le quittait que rarement. Avant de quitter l'Algérie, le mélomane qu'il est a emmené avec lui deux CD de chanteurs algériens. Le premier de Naïma Dziria et le second de feu Hadj El Hachemi Guerrouabi qu'il a beaucoup appréciés. Yahia et Bouderbala : entre guitaristes ! Quand Anthar Yahia et Aziz Bouderbala se sont croisés dans le hall de l'hôtel Hilton, ils ont vite trouvé leur autre passion commune : la guitare ! En effet, les deux hommes adorent gratter les fils. Très modeste, Yahia, qui s'améliore pourtant de jour en jour, a-t-on appris de ses proches, a dit à Aziz n'être qu'un «gratteur occasionnel». Bouderbala à Yahia : «Tu as la gueule qu'il faut pour le cinéma !» Bouderbala, qui excelle dans le jeu du luth, lui a rétorqué que sa reconversion est toute assurée dans le monde artistique : «Tu as la gueule qu'il faut pour le cinéma ! A ta place, je ne lâcherai pas l'idée». Yahia a souri en le saluant chaleureusement pour le compliment.