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Benchikh : «Messaâdia nous avait dit : ‘‘On veut la victoire contre le Maroc, point final''»
Publié dans Le Buteur le 13 - 08 - 2011

«S'il n'y avait pas eu l'attaque du bus, l'Egypte nous aurait éliminés».
S'il y a bien un joueur légendaire au sein du MC Alger, c'est bien Ali Bencheikh, «Alilou» pour les intimes. Son nom est lié à l'âge d'or du club algérois, avec le sacre africain en 1976 et différents titres de champion et Coupes d'Algérie remportés. Sa technique raffinée, son jeu spectaculaire et sa vivacité en ont fait l'un des prototypes du joueur algérien, au jeu tout en technique, en vivacité et en déviations. Ayant fait le choix de se retirer de la scène footballistique durant plusieurs années, il a décidé de rompre le silence à travers nos colonnes, car peiné et même scandalisé par la réalité actuelle du football algérien. Quand une ancienne vraie gloire parle, ce qu'elle dit est loin d'être banal.
Ça fait plusieurs années que vous ne vous exprimez plus dans les médias. Pourquoi avoir décidé de parler maintenant ?
Je n'ai pas vraiment choisi ce moment. Je n'ai rien calculé. En tant qu'ancien joueur, j'ai préféré laisser les acteurs s'exprimer. Seulement, depuis quelque temps, beaucoup de gens m'abordent dans la rue pour me dire : «Ya Ali, pourquoi ça ne va plus au Mouloudia ? Pourquoi l'équipe nationale ne gagne-t-elle plus ?» Je me suis donc dit que c'est peut-être le moment de parler. Pas spécialement du Mouloudia, mais de tout ce qui touche au football national.
On dit que de nombreux moments forts de l'histoire du Mouloudia se sont déroulés durant le Ramadhan, d'où peut-être votre décision de vous exprimer maintenant, en ce début du mois sacré…
Non ! Non ! Ça n'a rien à voir. J'étais de passage dans les parages car j'avais une affaire à régler et, comme on m'a beaucoup interpellé ces jours-ci pour que je m'exprime, j'ai décidé de faire un saut parce que je vous avais promis de m'exprimer chez vous en premier. Ce n'était pas programmé. C'est pour ça que je tombe presque à l'improviste. Disons, pour revenir à votre question, qu'on a plus de temps durant le Ramadhan, c'est tout. Et puis, sincèrement, avec les défaites de l'Algérie face au Maroc (4-0, Ndlr) et celle du MCA face au WAC (4-0, Ndlr), je pense que ça en fait trop. Le Maroc est un adversaire que nous battions jadis en aller et retour. Idem pour les clubs marocains. Que ce soit le WAC ou le MAS de Fès, nous les avions battus tous deux en Coupe du Maghreb. Ça en fait trop. Donc, puisque nous pouvons, nous les anciens, apporter quelque chose, pourquoi se taire ? Il faudrait que ceux qui sont actuellement à «l'écart» sortent de leur isolement et se mettent à parler.
Qui, par exemple ?
Tous. Les Belloumi, Madjer, Guendouz, Kalem, Betrouni, Bachi, Zidane, Keddou… C'est quand même là toute une génération.
Il y a l'amicale des anciens internationaux et l'association des anciennes gloires du football. Pourquoi ne pas intégrer l'une ou l'autre et parler dans un cadre organisé ?
Je n'ai jamais été pour les associations et je n'y adhérerai jamais bien qu'on m'ait attribué une carte d'adhérent. Une association ne doit en aucun cas être dépendante de telle ou telle instance. Les anciens joueurs peuvent beaucoup apporter. Cet apport ne se limite pas forcément au terrain. Un ancien joueur ne peut pas être uniquement entraîneur ou rien ! Il y a des anciens joueurs qui peuvent beaucoup apporter dans l'administration d'un club ou d'une structure sportive. C'est le cas de Abdelkader Horr. Il s'y retrouve. D'autres ont l'œil et l'expérience pour faire de bons recruteurs. Le problème est qu'on ne cherche pas à mettre à contribution les compétences des anciens pour le bien du football national. Chez nous, le football est gangrené par le gré à gré. Pour que tu occupes un poste défini, il faudrait que tu aies des relations avec ceux qui nomment. Cette situation s'est malheureusement généralisée à tous les niveaux. Ceci fait que les anciens, pour la plupart, se sont retrouvés marginalisés. En ce moment, on cherche à impressionner en faisant beaucoup de bruit, mais l'essentiel n'y est pas. Où sont les résultats ?
Il y a eu quand même une qualification à la Coupe du monde…
Mais de quelle manière ? Hormis ce but venu sur un éclair, je n'ai rien vu d'autre. Une équipe qui ne domine pas ses adversaires, une équipe qui ne marque pas beaucoup de buts, qui ne plait pas… On a battu l'Egypte en match de barrage et on s'est qualifié, OK, mais on perd avec le même adversaire par 4-0 en demi-finale de la CAN. Trouvez-vous cela normal ? C'est illogique. Au pire, on devait faire match nul, perdre par un petit but, ça n'aurait offusqué personne. Mais perdre 4-0, cela veut dire qu'il y a une grosse différence de niveau entre les deux équipes.
Mais on a quand même battu l'Egypte dans un match crucial, cela n'est pas rien…
Même pas. Je pense que sans l'attaque du bus au Caire et toute l'affaire qui avait découlé de l'agression de nos joueurs, on ne serait même pas allés au match de barrage. L'Egypte a commis là une erreur monumentale.
Les Egyptiens nous ont donc rendu service ?
Oui. Ils nous auraient sans doute éliminés s'ils n'avaient pas attaqué le bus de l'équipe nationale.
En vous entendant parler ainsi, certains se demanderont qu'a fait votre génération de plus par rapport à la génération actuelle…
C'est simple : nous nous sommes qualifiés deux fois en Coupe du monde. Et puis, si l'on compare les parcours, croyez-vous qu'ils sont semblables ? En 1982, si les choses s'étaient passées normalement, nous nous serions qualifiés au moins en quart ou en demi-finale. Parlons maintenant de Coupe d'Afrique. Nous avions joué la finale face au Nigeria à Lagos dans un contexte très hostile. Ils nous ont battus à l'irrégulière ! Tout le monde connaît le contexte dans lequel se jouaient les matches en Afrique noire. Lors des Jeux méditerranéens de Split, nous menions 2 à 1 face à la grande Yougoslavie, l'une des meilleures équipes d'Europe à l'époque, et qui plus est, le pays organisateur. Là-bas aussi, ils nous ont battus draâ ! C'est pour cela qu'à la fin du match, il y a eu une bagarre générale. L'arbitre n'a pas été honnête. Le but qu'il avait validé était entaché d'une faute flagrante sur Cerbah. Sans ça, ils ne nous auraient jamais battus ! Je ne parle pas des deux demi-finales de la CAN en 1982 et en 1984. Si avec tout ça, nous n'avons rien fait ! Avec une meilleure organisation et avec les moyens qu'il y a aujourd'hui à la FAF, nous aurions fait largement mieux.
Quand vous dites une meilleure organisation, à quoi faites-vous allusion ?
A la gestion générale : sur le plan technique, gestion de l'effectif, la composante… Financièrement, les caisses étaient vides ! En 1982, je me souviens qu'en allant à Gijon, l'avion s'était posé en catastrophe à Madrid. Il fallait parcourir 300 mètres à pieds pour atteindre les lignes intérieures. Là-bas, nous avions poireauté pendant quatre heures. Pour casser la croûte, nous avions droit à 5 pesetas chacun. C'est tout juste suffisant pour s'offrir un petit hamburger. C'est tout ! Mais en matière de préparation, nous avions fait le meilleur cycle possible. Il n'y a qu'à jeter un coup d'œil sur les noms des adversaires que nous avons affrontés, pour s'en rendre compte. Je peux vous les citer : Manchester United, Juventus, Real Madrid, l'Irlande, le Pérou… Que de grosses cylindrées ! Nous leur avions toutes tenu tête. Face au Pérou, nous avions livré un grand match. A la fin, leur sélectionneur était venu me voir. Il voulait savoir combien nous étions payés. Il pensait naïvement que nous touchions des fortunes. Lorsque je lui ai appris que le mieux payé d'entre nous touchait 15 000 DA, il ne m'a pas cru. Belkheira, l'arrière central, pourtant père de deux enfants, touchait 5500 DA. Ceci pour vous dire que l'argent n'était pas tout pour nous. Pour Belkheira, nous avions dû intervenir auprès de Rachid Mekhloufi pour qu'il soit augmenté. Après le match face au Pérou, Michel Hidalgo était venu nous rendre visite dans le vestiaire. Il nous avait lancé : «Félicitations, mes enfants ! C'est ça le football que j'aime. Je me régale en vous voyant jouer !» Lorsque ça vient d'un grand entraîneur comme Hidalgo, ça se passe de tout commentaire.
L'approche des matches était donc différente ?
Absolument ! Prenez les matches face au Maroc. A notre époque, sur le plan politique, nous étions en guerre ! La veille du match, le chef du très influent parti de l'époque, Mohamed Cherif Messaâdia, avait provoqué une réunion avec tout le staff et les joueurs. Il ne s'était pas étalé longtemps. Il avait prononcé une seule phrase : «On veut la victoire, point final.» Nous partons là-bas, nous les battons 5-1. Au retour, nous leur infligeons un 3-0. Lorsque je regarde la sélection jouer aujourd'hui, je me pose des questions. On joue à dix derrière, et on laisse Ghezzal se démener seul en pointe et, après, on lui reproche de ne pas marquer. Arrêtons le massacre ! Ce n'est pas comme ça qu'on joue au football.
Techniquement, comment cette équipe doit-elle jouer ?
Je ne peux pas vous donner un schéma précis dans la mesure où je ne connais pas les joueurs. Il faudrait pour cela connaître le profil de chacun pour établir une stratégie de jeu qui permette de tirer le maximum de chaque joueur. Je ne les ai presque pas vu jouer. Lorsque la sélection joue, je ne regarde pas, je sors. Une fois, une vieille dame m'en avait même fait la remarque. «Toute l'Algérie suit le match, et toi tu es dehors !», m'avait-elle lancé (rires).
Pourquoi vous ne regardez pas les matches de la sélection ?
Tout simplement, parce que je n'apprécie pas la qualité de jeu de cette équipe.
C'est à cause de l'entraîneur ?
Non, Benchikha n'est pour rien dans tout ça. On lui a cédé le gouvernail du bateau au beau milieu de l'océan. Il ne pouvait, par conséquent, pas faire grand-chose. Il a commis quelques erreurs, c'est vrai. Après quinze minutes de jeu, durant lesquelles les Marocains balançaient des ballons n'importe comment, ils se sont mis à jouer à terre, et là ils nous ont complètement massacrés ! Les failles étaient béantes. A droite, c'était un boulevard. L'axe était complètement dépassé alors qu'on jouait à cinq au milieu. La logique aurait voulu qu'on mette quelqu'un en soutien à l'arrière droit et qu'on installe ce qu'on appelle une zone de piratage de manière à ce qu'il y ait constamment du soutien à la charnière centrale. Comme aucun des cinq milieux récupérateurs ne pouvait faire office de créateur, on aurait pu charger l'un d'eux de casser le jeu. Rien ! Le seul qui pouvait faire un peu la différence, c'était le gars de Sochaux (Ryad Boudebouz, Ndlr), mais on l'a laissé sur le banc. Quand tu joues avec un système pareil, tu es obligé d'attaquer, une manière de leur dire qu'on est là. Or, on a mis en place un système offensif, mais on n'a fait que défendre, d'où l'ampleur du score. Le football, ce n'est pas ça. Ce n'est pas échanger des passes à deux, puis balancer devant et attendre que l'attaquant fasse à lui seul la différence devant trois ou quatre adversaires. C'est du n'importe quoi ! Regardez le Real Madrid : il varie son jeu en fonction de l'adversaire. Parfois, tu le vois développer, construire patiemment, chercher des brèches et attaquer. Parfois, deux, trois touches de balles et l'attaquant est servi !
Donc, la solution réside dans le changement du schéma tactique ?
Pas du tout. La solution est dans notre championnat. Il faut chercher à relever le niveau. Actuellement, il est faible, mais il faut chercher à connaître les raisons de cette faiblesse. Il y a ceux qui disent que le footballeur local est faible à la base, d'où cette manie d'aller chercher des joueurs à l'étranger, alors que c'est toute la politique du football national qui doit être revue. Il faut tout miser sur la formation parce que des joueurs de talent, il y en a en Algérie. Il n'y a qu'à faire un tour dans les quartiers pour s'en rendre compte. Le meilleur exemple, c'est l'académie du Paradou dirigée par Zetchi. Il a réuni une équipe de gamins qui jouent aujourd'hui aussi bien que le Barça. De vrais artistes ! Et des joueurs comme ça, il y en a à la pelle en Algérie. Le problème réside dans la gestion de ces talents.
Comment étiez-vous formés à votre époque ?
Nous avons été formés, mais pas dans le sens académique du terme. A l'époque, on nous montrait ce qu'on devait faire avec un ballon. Un formateur ne se contentait pas de dire : «Non, ce n'est pas comme ça !» Il te le dit, mais il te montre en sus quoi faire avec un ballon. Et quand tu le vois faire, c'est un régal ! Des remarques du genre, on s'en souviendra toute notre vie. C'est là où réside la différence. C'est valable pour toutes les catégories. Tu apprends toujours plus à chaque fois que tu franchis un palier. A l'époque, les entraîneurs étaient d'anciens joueurs, des mecs qui ont roulé leur bosse. C'était valable pour tous les clubs. Une équipe aujourd'hui se prépare durant toute la semaine : tu fais la préparation physique et technico-tactique, tu mets en place ta stratégie en fonction de l'adversaire, tu choisis les meilleurs joueurs et tu fais ton coaching à la mi-temps… Fini les discours «Jouez pour le pays ! Gagnez pour le peuple !» Ça ne marche plus. Tchatcher pendant la semaine, créer les polémiques, c'est fini ! Cruijff, que j'admire beaucoup, a dit de Mourinho : «Il s'alimente de la polémique parce qu'il n'a aucune solution contre le Barça.» Ça coule de source. Dans le football, il faut jouer et chercher les solutions en jouant. On peut toujours continuer à professionnaliser les clubs tout en misant sur la formation. Sur la durée, on verra pousser de grands joueurs.
Ça ne vous étonne pas de voir l'académie du Paradou battre Villarreal et faire jeu égal avec le Barça ?
Pas du tout. Pourquoi cela m'étonnerait-il ? Notre problème en Algérie est qu'on se fait toujours un complexe par rapport à l'étranger. C'est valable aussi pour les entraîneurs. Chez nous, un entraîneur local est viré au bout de deux mois pour insuffisance de résultats alors qu'on garde un étranger pour toute la saison. Les prestations de l'académie du Paradou me font plutôt plaisir. Elles ne me surprennent pas du tout. Il n'y a pas vraiment de différence de niveau. Sur le plan technique, nous n'avons rien à envier aux autres. Financièrement, nous sommes aussi bien lotis, mais nous n'investissons pas à bon escient. C'est aux clubs de former. On n'est pas obligé d'attendre qu'un privé investisse dans la formation. Ce qu'a fait Zetchi est tout à son honneur, mais logiquement, c'est à chaque club de le faire. Le MJS a octroyé 2 hectares de terrain à chacun d'eux, non ? Pratiquement, la plupart n'ont pas cherché à les réceptionner. C'est du moins ce qui se dit par-ci et par-là. Trouvez-vous normal de refuser ces assiettes de terrains ? C'est quand même intéressant de construire un hôtel, une salle de musculation, un terrain d'entraînement… C'est tout bénéfice pour un club. Ce seront autant d'économies pour les clubs à long terme. Pourquoi partir à l'hôtel pour les mises au vert et gaspiller des centaines de millions par année alors que je peux construire mon propre hôtel ? C'est le cas de la FAF. Depuis quand le président actuel est-il en poste ? Onze ans ? L'argent qui coule dans les caisses de la fédération ces dernières années, jamais aucune autre fédération ne l'a eu depuis l'indépendance. C'est peut-être le moment d'investir dans la formation.
Et le centre de Sidi-Moussa ?
Quand je dis un centre de formation, j'entends par là un centre qui réponde aux normes internationales. Je connais très bien le centre de Sidi-Moussa. J'ai grandi là-bas. Ce n'est pas un centre. L'argent ? Il y en a à gogo. Le terrain ? Les pouvoirs publics doivent le remettre à la FAF. Pourquoi ne met-on pas le paquet ? Qu'il coûte les yeux de la tête, s'il le faut, on le fait ! Ce n'est qu'à ce moment-là qu'on dira que le football national va de l'avant. Cela nous évitera de dépenser de l'argent à Murcie et ailleurs car nous aurons notre propre centre. En tous les cas, l'Algérie ne tire aucun profit de ce qui se fait actuellement. Le football national est à l'agonie. Les jeunes talents se perdent faute de prise en charge adéquate.
Peut-être que c'est parce qu'on n'a plus de joueurs locaux de valeur qu'on fait venir des émigrés, qu'ils soient bons ou mauvais. Peut être que si on avait des joueurs locaux de niveau international, on se contenterait de renforcer l'équipe avec les meilleurs émigrés comme cela se faisait dans les années 1980…
Actuellement, il n'y a pas une grande différence entre les joueurs locaux et ceux qu'on ramène de l'étranger. On ne doit pas ramener quelqu'un juste parce que c'est un Algérien formé là-bas. On a besoin de joueurs disponibles à tout moment. Si j'ai envie de les regrouper aujourd'hui à 15h, ils seront tous là. Je n'ai pas à me soucier du «comment» les réunir et «à quel moment».
Pensez-vous que c'est faisable avec le transfert de nos meilleurs joueurs locaux vers l'Europe ?
C'est là qu'intervient le rôle des clubs. Lorsqu'on voit qu'un joueur a le talent pour percer, il faudrait lui faire signer un contrat de longue durée de manière à faire bénéficier le club de ses services. Lorsqu'on retient pendant trois ou quatre ans les meilleurs joueurs, le niveau du championnat ne peut être que meilleur. Après, on pourra toujours les transférer en Europe pour leur permettre de progresser, mais à condition que cela se fasse dans un grand club. A quoi bon les envoyer jouer dans une banlieue en Europe, juste pour se dire qu'on a formé des joueurs aujourd'hui professionnels ? Autant les garder chez nous !


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