C'est un véritable exercice d'équilibriste auquel se livre actuellement le secteur pharmaceutique marocain, qui tente à la fois d'améliorer l'accès aux médicaments tout en tenant compte des inquiétudes des fabricants et des pharmaciens face au recouvrement des coûts. La production locale joue un rôle essentiel dans la satisfaction de la demande intérieure mais le marché s'est longtemps montré préoccupé par les prix des produits de marque, entrainant de la part du gouvernement une augmentation de la distribution des médicaments génériques et une politique de baisse des prix pour l'utilisateur final.Le secteur pharmaceutique marocain occupe, par sa taille, la deuxième place à l'échelle du continent africain, après l'Afrique du Sud. Il est constitué de 40 unités industrielles, 50 distributeurs et plus de 11 500 pharmacies. La production locale couvre 70% de la demande intérieure et le pays exporte 10% de sa production, en particulier aux nations africaines voisines. La consommation nationale reste cependant relativement faible : la dépense annuelle par citoyen s'élève à environ 400-450 dirhams (36-40 euros) par rapport à 61 euros en Algérie et 98 euros à l'échelle mondiale. « La consommation est de 24 euros par an et par personne au Maroc et de 41 euros en Tunisie soit une différence de 70%. », a expliqué à OBG Patrice Fuster, Directeur Général de Sanofi Aventis. Le faible niveau de la consommation par habitant s'explique en partie par la tarification des médicaments, dont le prix de vente au détail est une préoccupation constante pour les clients. Un rapport parlementaire publié en 2009 a montré que les prix des médicaments de marque étaient entre 30% et 189% plus élevés qu'en Tunisie et 20% à 70% plus hauts qu'en France. Si des réductions de prix ont été imposées depuis, le coût reste une source d'inquiétude, surtout à l'heure où le pays cherche à améliorer l'accès aux médicaments. Des négociations sont actuellement en cours entre des associations du secteur, des groupes pharmaceutiques et le gouvernement afin de trouver un compromis sur la meilleure manière d'obtenir ces baisses de prix. Dans ce sens, le gouvernement a récemment signé un accord avec les trois principales organisations du secteur pharmaceutique du pays : l'Association Marocaine du Médicament Générique (AMMG), l'Association Marocaine de l'Industrie Pharmaceutique (AMIP) et Maroc Innovation Santé (MIS), organisation qui regroupe des filiales de multinationales pharmaceutiques, afin de contribuer à la réduction des prix de certains médicaments. Toutefois, si les baisses de prix pourraient entraîner une hausse de la consommation, les opérateurs privés des segments fabrication et distribution ont fait part de leurs craintes quant à leur capacité à amortir leurs frais si aucune mesure efficace de compensation n'était mise en place. Prenons l'exemple des pharmaciens, qui n'ont pas hésité à clamer haut et fort leurs inquiétudes quant aux effets négatifs que pourrait avoir une baisse des prix. Alors qu'il y avait 2500 pharmacies au Maroc en 1996, on en compte aujourd'hui plus de 11 500. Mais le chiffre d'affaires annuel moyen par pharmacie ne dépasse actuellement pas 700 000 dirhams (63 000 euros), alors qu'il était de 2 milliards de dirhams (180 000 euros) en 1996. D'autres défis pourraient également se présenter. Comme l'a expliqué à OBG le Directeur Général de Novo Nordisk, Eric Reurts : « L'industrie pharmaceutique a fait des propositions de réformes concernant la structure des prix mais celles-ci ne seront efficaces que si d'autres changements sont réalisés, notamment au niveau de l'organisation des canaux de distribution. » Entre-temps, les pharmacies ont manifesté leur volonté de participer au Régime d'Assistance Médicale aux Economiquement Démunis (RAMED) à travers des partenariats public-privé. Le programme RAMED, qui a été lancé en 2008 dans la région de Tadla-Azizal, devrait étendre la couverture médicale à 8,5 millions de personnes dans les années à venir. Le programme contribuera à accroitre les ventes à l'heure où le gouvernement cherche à améliorer l'accès des participants du RAMED à de nouveaux médicaments. Mais malgré les difficultés rencontrées par le Maroc dans sa recherche du juste équilibre entre le maintien d'un environnement économique performant et la garantie de médicaments abordables – un casse-tête pour tous les pays du monde- le pays est néanmoins devenu depuis un an l'une des destinations les plus attrayantes pour les investissements dans le secteur pharmaceutique. Un grand nombre de groupes pharmaceutiques s'y sont implantés récemment. En octobre 2011, le groupe jordanien Hikma Pharmaceuticals a fait l'acquisition de 63,9% des parts de la société marocaine Promopharm pour un montant de 111,2 millions de dollars et prévoit de lancer plus de 20 produits Hikma sur le marché. Puis début 2012, une OPA sur le reste des actions de Promopharm a permis à Hikma de prendre le contrôle de 94,12% des parts de l'entreprise. Autre nouveau venu, la compagnie indienne Ranbaxy, un des plus grands fabricants de génériques. En effet, la production de médicaments génériques est un secteur en rapide croissance, détenteur de 30% des parts du marché. L'entreprise a investi 20 millions de dirhams (1,76 millions d'euros) pour ouvrir sa première unité à Casablanca, sa troisième unité sur le continent africain après l'Afrique du Sud et le Nigéria. Si les perspectives à court et moyen terme du secteur sont en partie tributaires des négociations complexes sur la tarification et l'accessibilité, les fondamentaux de l'économie marocaine, qui dispose d'une population non négligeable, d'une main d'œuvre qualifiée et d'infrastructures fiables, contribueront à assurer, à l'avenir, la poursuite de la croissance de la production nationale, qu'il s'agisse des médicaments de marque ou des génériques.