Déroutante. C'est en ces termes que l'on peut qualifier la dernière sortie médiatique du Directeur général de Wataniya Télécom Algérie, opérateur plus connu sous la marque commerciale Nedjma. En effet, M. Joseph Ged n'a pas trouvé mieux que de se permettre de se mêler des orientations que les pouvoirs publics devraient donner au secteur des télécoms en Algérie. Hier, les interventions du DG de Nedjma à la conférence de presse organisée au Sheraton d'Alger, ou encore au cours d'une interview publiée par notre confrère Liberté, faisait transparaître une volonté réelle de faire pression pour obtenir des concessions sur certains dossiers. Dans ce sens, M. Ged n'hésitera pas à insinuer que l'Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT) a manqué de célérité jusqu'à présent. Pour prouver ses dires, le patron de Nedjma s'en prendra sans autre scrupule à ses concurrents particulièrement à l'opérateur historique Mobilis, qu'il accuse ouvertement de tricher sur les chiffres. Au cours de la conférence de presse qu'il a animée hier, M. Ged estimera que Nedjma est le second opérateur en termes d'abonnés mettant en doute aussi bien les chiffres de Mobilis que ceux de l'ARPT. Argument qu'il a d'ailleurs avancé au cours de son entretien avec notre confrère. "Quand je dis deuxième position ce n'est pas dans les chiffres officiels, mais plutôt dans les chiffres officieux et dans la réalité ". N'est-ce pas une manière explicite de remettre en cause la crédibilité d'une institution de la République mandatée en bonne et due forme et qui travaille sous la tutelle des plus hautes autorités du pays. Les limites de l'ARPT, selon Ged M. Ged ira encore plus loin en adressant à l'ARPT d'autres griefs. Il affirmera nourrir l'ambition de faire pression pour conduire l'Autorité de régulation à mettre en place un tarif plancher en dessous duquel aucun opérateur n'aura le droit de baisser ses prix."Aujourd'hui, ce cadre et cet équilibre tarifaire ne sont pas encadrés par le régulateur. Une fois fait, chacun va se limiter à un tarif minimum qu'on appelle tarif plancher. On ne peut pas baisser ce tarif au-delà de ce seuil qui doit être déterminé par l'ARPT", a confié le DG de Nedjma à Liberté. A interpréter les dires de M. Ged, on comprend aisément que celui-ci fait passer les équilibres financiers de son entreprise au bien-être des consommateurs. Il faut savoir, dans ce contexte, qu'au bout de quatre années de présence sur le marché algérien, l'opérateur peine à atteindre ses équilibres. S'agit-il d'équilibre tarifaire ou d'équilibre de gestion ? On se le demande, d'autant que l'entreprise a été caractérisée par une instabilité au niveau du management, Nedjma changeant de DG comme on change de chemise. Il est utile de rappeler dans ce contexte que Joseph Ged, qui est le troisième à occuper cette fonction, n'a été nommé qu'en septembre 2007. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, au moment où Ged demande un seuil plancher pour les tarifs de la téléphonie mobile, celui-ci demande aux autorités de céder la licence de téléphonie de 3e génération (3G) gratuitement. "On demande que les licences soient données gratuitement aux trois opérateurs pour la simple raison qu'à ce moment-là les tarifs de ces nouveaux services vont être au plus bas et donc ça va être le grand succès de la 3G en Algérie ", indiquera-t-il. Selon lui, cela va pousser les tarifs vers le bas et favoriser le développement du secteur. On aurait donc une seule question à poser à ce monsieur : si le développement du secteur passe forcément par une baisse des tarifs pourquoi alors s'opposer à la tendance baissière des prix induite par le développement exponentiel dans la téléphonie 2G ? Et au-delà de tout cela, on ne peut pas céder gratuitement une licence d'exploitation et sans contrepartie. Cela ne s'est jamais vu. D'ailleurs ces questions relèvent de la souveraineté du pays et de l'intérêt de la nation. Concurrence déloyale dites-vous ? Ce que l'on peut dire est que le DG de Nedjma veut faire passer son entreprise pour la victime d'une machination imaginaire fomentée par je ne sais quelles parties obscures, accusant ses concurrents de tricherie et de concurrence déloyale. "Avec cette forte croissance, parfois la concurrence ne reflétait pas l'image d'une concurrence loyale. Elle devrait être libre et loyale. C'est la responsabilité du régulateur de veiller que la concurrence sur le marché soit libre et loyale", a-t-il confié hier à notre confrère.Il est peut-être facile de lancer des accusations à tort et à travers. Mais comme dirait l'adage, mieux vaut ne pas jeter des pierres, lorsque votre maison est en verre. M. Ged a peut-être oublié certaines pratiques pas très orthodoxes de l'opérateur. Un seul exemple suffit. Nedjma a recruté en tant que président du conseil d'administration, M. Ahmed Gaceb, quelques semaines à peine après qu'il ait quitté son poste de DG de l'ARPT. N'est ce pas à la limite du délit d'initié ? N'est-ce pas une décision qui va l'encontre de toute éthique ? N'est ce pas une pratique anticoncurrentielle ? Et même si le DG de Nedjma se défend de faire du lobbying, il a prouvé le contraire en déclarant "les changements stratégiques qu'on a adoptés pour qu'on soit plus proches du marché et des leaders d'opinion, des autorités gouvernementales, institutionnelles". N'est-ce pas de cette façon que l'on définit le lobbying dans les écoles de management ? Entre investissement et revente : le cœur de Nedjma balance Des positions de Nedjma ? Parlons-en. M. Joseph Ged jure par ses grands dieux que la vision est à l'investissement à long terme. " Les moyens financiers et la stratégie de management sont là. Pour revenir à votre question, l'Algérie représente un investissement à très long terme pour Qtel. Ce n'est pas comme d'autres investissements, dans notre secteur ou dans d'autres, qui peuvent avoir une vision à court terme, de profit à court terme ", a-t-il déclaré. N'oublions pas que Wataniya Télécom a déjà fait l'objet d'une vente purement spéculative lorsque le fonds d'investissements koweitien Kipco a décidé de céder ses parts dans l'opérateur télécoms à Qatar Télécoms. D'ailleurs, le groupe koweitien ne s'est jamais défendu du fait que ses opérations consistent en des opérations financières, pour l'acquisition d'actions dans des entreprises qu'ils revendent ensuite. Aussi, la déclaration de M. Ged est très mal venue lorsque des sources françaises affirment que c'est Qtel qui s'est rapproché de France Télécom en 2007 pour lui céder Nedjma.