Ils se font construire de grandes maisons, circulent en voiture de luxe et ne regardent pas à la dépense: les pirates de plus en plus nombreux et actifs au large des côtes somaliennes et dans le golfe d'Aden, injectent une partie de l'argent des rançons dans l'économie locale, au profit de populations plus soucieuses d'échapper à la pauvreté que regardantes sur la provenance des fonds. La Somalie, sans gouvernement central depuis près de 20 ans, est livré aux bandits, factions armées, et s'enfonce dans la crise humanitaire. L'espérance de vie n'y dépasse pas 46 ans, et un quart des enfants meurent avant d'avoir atteint l'âge de cinq ans. Tandis que les islamistes contrôlent la partie sud du pays, les pirates écument les côtes. Ils sont comme chez eux dans des localités du Nord comme Harardhere, Eyl ou Bossaso, où l'économie locale profite de rançons qui ont atteint 30 millions de dollars (21,4 millions d'euros) pour la seule année 2008. Les pirates ont attaqué cette année quelque 90 navires et se sont emparés d'une quarantaine transportant toute sortes de marchandises, y compris, en novembre, d'un superpétrolier saoudien avec une cargaison de brut estimée à 100 millions de dollars (71,5 millions d'euros). "Les pirates dépendent de nous, et nous en bénéficions", résume Sahra Cheikh Dahir, commerçante d'Harardhere. Le superpétrolier a mouillé non loin de là, et les commerçants se sont frotté les mains. Ils ont amassé cigarettes, vivres et bouteilles de soda, installant de petits kiosques où les pirates viennent s'approvisionner presque quotidiennement. "Ils emportent toujours des choses sans les payer, et nous le mettons sur livre de comptes. Plus tard, quand ils ont eu l'argent de la rançon, ils nous paient beaucoup", ajoute-t-elle. Les pirates apportent argent et emplois et sont de ce fait populaires, même si leurs otages sont retenus pendant parfois des mois sous la menace. "Peu importe la façon dont l'argent arrive, légalement ou illégalement, je peux dire que la vie a commencé dans notre ville", dit Chamso Moalim, habitante d'Harardhere. "Nos enfants ne s'inquiètent plus maintenant pour la nourriture", ajoute cette mère de famille de 36 ans. Les habitants veillent à ce que les pirates ne manquent de rien et notamment de qat, ces feuilles que l'on mâche longuement pour leur effet stimulant et euphorisant. En contrepartie, des localités minées par des années de misère et de chaos voient maintenant cafés et restaurants ouvrir, cependant que les pirates se font construire des maisons. Des habitants s'achètent des générateurs qui leur permettent d'avoir l'électricité toute la journée -luxe autrefois inimaginable en Somalie. Quand l'argent de la rançon est versé, "l'homme le plus âgé à bord est toujours chargé de la responsabilité de le collecter, parce que nous considérons ça comme très risqué, et il touche une part supplémentaire plus tard pour ce service", explique Aden Yusuf, un pirate. Tous les versements sont effectués en liquide, et des machines à compter et vérifier les billets sont utilisés, comme dans les bureaux de change. "Obtenir cet équipement est facile, nous avons des relations d'affaire avec des gens à Dubaï, à Nairobi, Djibouti et d'autres endroits. On leur envoie de l'argent et ils nous envoient ce qu'on veut", ajoute-t-il. Selon des spécialistes qui ont participé à ce type de transactions, les pirates à bord des navires reçoivent généralement une part convenue d'avance. Les négociations sont menées par des intermédiaires disposant de téléphones par satellite, et sachant parler anglais. Si le navire est retenu pour une longue période, les intermédiaires font appel à un groupe d'investisseurs. Ils lèvent des fonds pour assurer les dépenses (approvisionnement des pirates et otages, frais divers) et se remboursent une fois la rançon versée.