On n'a jamais vu autant de monde dans la maison du théâtre ! L'orchestres comme les deux balcons, ainsi que les strapontins et le hall étaient noirs de monde, mardi soir, au théâtre, à l'occasion de la générale de Le fleuve détourné, une pièce adaptée du roman éponyme de Rachid Mimouni, et mise en scène par l'actuelle directrice de la Maison de la culture de Béjaia, Hamida Ait El Hadj. La metteur en scène n'a pas monté ne serait ce qu'une petite œuvre depuis Le butin, une œuvre signée il y a plus de trois ans. Encore une fois, cette pièce est réalisée dans la mouvance des grands projets de “Alger, capitale de la culture arabe 2007”. Décor excellent du point de vue de la sémantique et de l'esthétique ! C'est, en fait, une sorte de monument qui se ment sur scène et sur lequel il y a tant de symboles qui font référence à notre culture séculaire. Tenez ! la main de Fatma par exemple, est un signe à double connotation puisque renvoyant à ces configurations que l'on retrouve dans les outils d'artisanat, et aussi à cette Fatma, personnage invisible mais présent sans cesse dans la pièce en tant que femme d'un chahid. Et puis, il y a la pierre en gros corail, placée dans “ ce monument ” et qui fait de ce décor un réel gros bijou kabyle.Et en plus, ce même décor n'est pas placé là, immobile, mais il le soutient plutôt, il constitue un support ou un autre langage à l'ensemble de la pièce. Le fleuve détourné est constitué de cinq actes. Hamida Aït El Hadj a une façon absolument ingénieuse de passer d'un acte à un autre. Chaque acte pourrait avoir un sens à lui tout seul, mais c'est l'addition des cinq actes qui donne le sens général de la pièce qui n'est ni plus ni moins qu'un récit. Mourad Khan (Mohend Larbi Nath Mezghan), le personnage principal de la pièce revient après la guerre de Libération dans un pays qu'il ne reconnaît plus. Il est porté mort (chahid) et son nom est aligné aux cotés de ceux de ses frères de combat dans ce monument construit à leur hommage. Il a beau expliquer au gardien du temple qu'il était bien vivant, mais rien n'y fait ! Et même son cousin germain, devenu maire de sa ville après la guerre, refuse de lui fournir ses papiers prouvant qu'il est bien vivant. C'est ainsi qu'Ali découvre, petit à petit, les jeux du pouvoir, les intérêts mesquins, …bref le bouleversement de toute une société qui ne reconnaît ni ses enfants légitimes, ni ses combattants sincères. La figure du maire est ici tournée en ridicule, un peu comme dans le vieux théâtre local des années 50. Le maire de par son langage et sa tenue aux coloris sans goût, est un plouc. Il est ridicule dans sa façon de marcher, de se tenir et de se coller aux plus élémentaires des privilèges que lui offre son poste. Son personnage drôlesque pourrait faire rire même les gosses. La nouveauté dans cette pièce, c'est la prestation en première de deux musiciens, l'interprète du chaâbi, Réda Doumaz, et celui du rapp, Lotfi Double Canon. On peut peut-être leur pardonner un jeu lamentable, puisque la scène des planches n'est réellement pas leur milieu naturel. Le Fleuve détourné qui parait être une adaptation libre, n'est pas montée de façon légère. Il y a eu d'énormes réflexions autour du moindre acte, et même les lumières, la chorégraphie des acteurs ont fait que cette pièce est digne d'un vrai théâtre professionnel. Il y a des ambiances, de l'esthétique à travers ces lumières couleur arc-en-ciel, ces gestes de va et vient, cette musique de fond qui rajoute du sens au texte relativement peu consistant. L'œuvre est là, mais il faut que beaucoup de choses suivent, à commencer par l'organisation, et le public. 2 heures de retard, un public qui marche dans tous les sens et qui applaudit au moindre mot. Çà à fait dire à un spectateur harassé par le bruit interminable des tapes -mains que “ le public était payé pour le faire ” !