Peu de présidents des Etats-Unis ont eu l'occasion qui s'offre à Barack Obama de changer la politique américaine en profondeur, voire d'y laisser sa marque comme Roosevelt et son New Deal, Johnson et sa Great Society ou Reagan et sa Révolution conservatrice. Cette fois encore, l'économie jugera. Certes, l'appréciation du bilan du successeur de George W. Bush dépendra aussi de la politique étrangère, cependant Barack Obama sera avant tout celui qui a réussi ou non à sortir le pays de la crise économique. Cent jours après son arrivée à la Maison Blanche, il est trop tôt pour tirer des conclusions mais les grandes orientations de la philosophie de sa politique économique sont déjà posées. Obama le démocrate a en quelque sorte inversé le credo de Ronald Reagan le républicain (1981-89), pour qui le gouvernement fédéral était le problème et non la solution. Confronté à la pire crise qu'aient connue les Etats-Unis depuis la Grande Dépression des années 1930, Obama renforce considérablement le rôle du gouvernement: dans le contrôle des banques, avec des mesures contre les saisies de logements, et même en décidant qui dirige General Motors ou avec qui Chrysler sera marié. Une politique menée à coups de milliards de dollars qui creusent encore le déjà colossal déficit budgétaire américain, et qui pourraient peser sur l'avenir du pays si la situation ne s'améliore pas dans les prochaines années. "Obama, c'est l'anti-Reagan", estime William Galston, ancien de l'administration Clinton (1993-2001) et membre du club de réflexion Brookings Institution. Tout comme Reagan s'était appliqué à détricoter le programme social de la Great Society de Lyndon Johnson, explique ce spécialiste, Obama "essaie de défaire Reagan et le reaganisme". La tâche serait déjà énorme si le président se contentait de relancer l'économie et de s'attaquer aux causes de la récession, comme le marché du crédit et l'effondrement de l'immobilier, sans vouloir mettre la crise à profit pour amener le Congrès à réformer la société en profondeur. Au programme: étendre largement la couverture de santé, augmenter l'investissement fédéral dans l'éducation et l'énergie, et réduire les émissions de gaz à effet de serre en créant un marché des quotas d'émission. Et de renvoyer dans les cordes les parlementaires qui lui reprochent d'ouvrir trop de chantiers à la fois: "J'aimerais bien que ces problèmes se présentent à nous les uns après les autres, plutôt que cinq ou six à la fois", rétorquait récemment Barack Obama, soulignant qu'il doit affronter "plus que la plupart des Congrès et des présidents dans leur vie entière". Jusqu'ici, 41% des Américains font confiance au chef de la Maison Blanche pour relever l'économie, contre 33% en décembre, selon un sondage GfK pour l'Associated Press. Mais 41% aussi des personnes interrogées désapprouvent l'aggravation du déficit budgétaire. Certains économistes renommés reprochent au contraire à Barack Obama de limiter par idéologie l'interventionnisme de l'Etat, en particulier en préférant un mélange de public et de privé plutôt que de nationaliser carrément les grandes banques en difficulté. "La restructuration du système bancaire est nettement la plus grande déception", estime le prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz, de l'Université de Columbia. L'économiste Paul Krugman critiquait récemment dans le "New York Times" le rachat des créances douteuses des banques, exprimant son "désespoir" à l'idée qu'en cas de redressement les investisseurs privés en tireraient de l'argent, et que sinon, le contribuable paierait la facture. Barack Obama répond qu'à Washington, "nous croyons que les nationalisations préventives risquent de coûter encore plus aux contribuables en fin de comptes parce qu'elles risquent de saper la confiance plutôt que de la renforcer". Bien des mesures économiques de l'administration doivent encore faire leurs preuves: le plan de relance de 787 milliards de dollars (606,3 milliards d'euros); les mesures destinées à limiter les saisies immobilières et à inciter les prêteurs à rééchelonner les crédits hypothécaires; le contrôle fédéral renforcé des produits financiers dérivés, au coeur de l'effondrement de l'économie. La réforme du système de santé soulève un vif débat au Congrès. Encore plus incertain est le dossier de la réduction des gaz à effet de serre. Barack Obama, quant à lui, défend sa politique à multiples facettes au nom de l'avenir: "Si nous n'investissons pas maintenant dans l'énergie renouvelable, si nous n'investissons pas maintenant dans la formation professionnelle, si nous n'investissons pas maintenant dans un système de santé plus abordable, cette économie ne pourra tout simplement pas croître au rythme nécessaire dans deux, cinq ou dix ans d'ici", prévient le président.