Barack Obama a, en effet, deux histoires ; la première est bien connue, la seconde pas encore. Cette dernière commence à partir de sa prise de fonctions à la Maison-Blanche comme le 44e président des Etats-Unis et le premier Noir à accéder à la magistrature suprême de ce pays. Cet événement, apparemment racial, prend les allures d'une révolution, il suscite un immense espoir de changement à travers le monde entier. Barack Hussein Obama a un passé exceptionnel. Il est né en 1961, à Honolulu, à Hawaï, et est le fils d'un père kenyan et d'une mère américaine, originaire d'une petite ville du Kansas. À six ans, quand sa mère se remarie à un Indonésien, la famille va vivre à Djakarta où le jeune Barack fréquente l'école primaire. Obama ne reverra son père qu'une seule fois, à l'âge de dix ans, puisque ce dernier regagna définitivement son pays natal. Pour ses études secondaires, il retourne à Hawaï et vit durant cette période avec ses grands-parents maternels. Il quitte par la suite Hawaï pour Los Angeles. Il ira ensuite à l'université de Columbia (New York) et, quelques années plus tard, il rentre à la prestigieuse faculté de droit de Harvard University (Boston). En 1985, Obama part à Chicago pour s'investir dans le travail social dans les ghettos de cette ville. C'est durant ces années qu'il s'informe des problèmes du Proche-Orient et participe à des activités culturelles de la communauté arabe. Cela lui a permis de rencontrer des Palestiniens, notamment Rachid Khalidi et Edward. W. Saïd, conseillers de Yasser Arafat. Après avoir passé trois années à Chicago, Obama reprend ses études à l'université de Harvard où il se distingue en étant le premier Noir à être président de la prestigieuse revue Harvard Law Review. Fermement attaché au principe du service public, il brigue son premier poste électif en 1996 et, en 2004, devient sénateur, le seul Noir de la haute assemblée. La même année, il prononce le discours mémorial à la convention nationale du parti démocrate. “Il n'y a pas une Amérique noire et une Amérique blanche et une Amérique latino-américaine et une Amérique asiatique ; il y a les Etats-Unis d'Amérique... Nous formons un seul peuple, nous tous prêtons allégeance au drapeau, nous tous œuvrons à la défense des Etats-Unis d'Amérique.” Ce discours donnera par la suite le ton à la campagne électorale de 2008, la plus coûteuse de l'histoire. Obama en sort finalement vainqueur en éliminant son principal rival pendant les primaires, la sénatrice Hillary Clinton, “une guerrière” qu'il intronise, paradoxalement, à la tête du département d'Etat. “Le changement et non l'expérience”, tel était le mot d'ordre ayant permis à Barack Obama de remporter la victoire historique le 4 novembre 2008. Comme rassembleur, Obama tente d'inscrire sa destinée dans la lignée du président Abraham Lincoln, le républicain, et du président Franklin D. Roosevelt, le démocrate. Inconnu, il y a à peine quelques années, Obama fut plébiscité par toute une nation. Cette victoire s'explique non pas parce qu'il est noir, une communauté ne représentant que seulement 13% de la population, mais parce qu'il symbolise l'héritage de trois continents. S'il n'était pas un métis, selon toute vraisemblance, il n'aurait pas remporté cette élection (Edouard Glissant). Les cicatrices raciales sont encore béantes dans l'Amérique profonde. Obama doit relever le défi racial dans les cent premiers jours à la Maison-Blanche. Les autres grands défis en dépendent. Pour répondre aux multiples défis qui l'attendent à partir du 20 janvier, Obama s'est entouré de nombreux experts choisis selon la compétence. Les 22 des 35 premières désignations sont prises des administrations précédentes. Selon Obama, son équipe est composée des “meilleurs et des plus brillants” diplômés des plus prestigieuses universités du monde. Ce principe laisse accroire que le changement, tant clamé durant la campagne, n'est pas un problème foncièrement politique mais technique. Aujourd'hui, le monde entier sait où nous a conduit lorsque la “compétence” fut érigée en dogme par l'Administration Bush. Tout compte fait, sa liberté de manœuvre s'est avérée être bien limitée lorsque les choses sérieuses commencent. En effet, peu de présidents sont arrivés en fonction dans un contexte si difficile tant au niveau national qu'au niveau international. Le plus grand défi auquel est confronté le président Obama concerne l'avenir de l'économie américaine. Les décombres laissées par l'Administration Bush sont incommensurables. La situation s'est même dégradée durant la campagne électorale. Les années Bush (2001-2008) se sont accompagnées d'un spectaculaire creusement des inégalités. Celles-ci n'ont même jamais été aussi importantes depuis la crise de 1929. L'année 2008 s'achève avec une perte de 2 600 000 emplois dont 1 900 000 rien que sur les quatre derniers mois de l'année. Le déficit, qui avait été ramené à 162 milliards en 2007, atteindra plus de 800 milliards en 2009. Le plan de relance est de 190 milliards pour soutenir la croissance nationale : stimuler les grands travaux, avec la création d'une banque nationale pour le financement des infrastructures, promouvoir les énergies alternatives et investir dans l'éducation. Les grands chantiers relèvent finalement d'une politique de relance classique. Le contraste est, en effet, frappant entre l'aspiration au changement de “yes, we can…” et la prudence de son programme économique. Cette attitude est celle de la génération des baby-booms qui est moins sensible aux clivages idéologiques que la génération de l'anti-guerre au Viêt-nam et du mouvement pacifique. “L'homme providentiel” ne prône pas finalement une augmentation massive du rôle de l'Etat mais des services plus efficaces. Obama n'est pas un “socialiste” (John Mc Cain), en matière de politique intérieure, il est plus centriste qu'on ne le croit, et un conservateur en politique étrangère, mais au style moins arrogant que son prédécesseur. La situation économique héritée est calamiteuse. Il ne faut donc pas s'attendre à ce que la politique extérieure occupe une grande importance dans son agenda, d'autant plus qu'il n'a pas une expérience des grands dossiers internationaux. “La guerre contre la terreur” a terriblement contribué à ternir l'image des Etats-Unis dans le monde, cette image n'a jamais été aussi dégradée que sous le règne de George W. Bush. Toutefois, Obama a eu une occasion historique pour rehausser rapidement l'image de son pays s'il avait condamné le terrorisme à Gaza, comme il l'avait fait pour Bombay (Inde). La communauté internationale l'a pourtant interpellé avec insistance. Mais en vain. Il est très difficile de concevoir que le président élu, attendu par tous, reste silencieux, à l'assassinat d'enfants qui ont l'âge de ses filles. Obama a déçu une large opinion publique avant même son intronisation. On avait pensé pour un bref moment qu'avec lui, l'Amérique serait plus humaine avec elle-même et avec les autres nations. Obama, durant la transition, fut fortement interpellé sur la question économique et s'investira encore plus durant son mandat. Le dossier du Proche-Orient sera ainsi confié à la troïka Hillary Clinton-Rahm Israël Emanuel-Joe Biden, respectivement secrétaire d'Etat, vice-président et secrétaire général de la Maison-Blanche. Leur soutien inconditionnel à Israël n'est plus un secret pour personne. Le traitement de l'après-Gaza aura des effets considérables sur les autres problèmes régionaux, notamment sur la lutte contre le terrorisme en Afghanistan et au Pakistan, sur le nucléaire iranien et sur les relations trans-atlantiques. Bref, tous les problèmes laissés en suspens par son prédécesseur. Pendant la campagne électorale, Obama a affirmé qu'il souhaitait privilégier le dialogue avec l'Iran. Mais il a durci rapidement sa position dès son élection. Par ailleurs, à la veille de l'élection américaine, le New York Times faisait prudemment remarquer l'émergence d'un consensus entre le Parti démocrate et le Parti républicain pour une nouvelle stratégie envers l'Iran. Alors que presque rien n'a été dit à ce sujet pendant la campagne électorale, de hauts conseillers des camps Obama et McCain ont discuté de l'escalade rapide de la pression diplomatique et de sanctions contre l'Iran, soutenues par des préparatifs en vue de frappes militaires. Une telle frappe “aurait pour objectif non seulement l'infrastructure nucléaire de l'Iran, mais également son infrastructure militaire conventionnelle”. Cette stratégie nous rappelle étrangement la stratégie israélienne mise en branle quelques mois plus tard dans la bande de Gaza. En matière sécuritaire, le Pentagone a établi un plan de charge très précis pour le successeur de Bush. Comme prévu, Obama se contentera de retirer une partie des troupes stationnées en Irak pour les redéployer en Afghanistan. Il s'est également déclaré favorable à poursuivre Al-Qaïda au Pakistan. Or, il n'est pas certain que les perspectives d'enlisement soient moins grandes à Kaboul qu'à Bagdad. Loin d'être des guerres d'occupation, comme l'a souligné Noam Chomsky, Obama entend redéployer les forces armées de la puissance impériale du Golfe vers l'Asie centrale. La relance économique soutenue qu'Obama souhaite obtenir repose sur la mise en branle du complexe militaro-industriel. Certes, Obama restera multilatéraliste dans son discours, peut-être plus prompt à consulter ses alliés européens. Toutefois, il ne s'est pas tellement soucié de l'Europe lorsqu'il était sénateur, en charge de la sous-commission chargée des relations avec l'Europe. Il n'avait pas jugé utile de se déplacer dans le Vieux Continent. Il a fallu attendre la campagne électorale pour qu'il s'y rende. C'est en devenant le président de tous les Américains que Barack Hussein Obama s'affirmera paradoxalement non pas en tant que Noir mais en tant qu'Américain à part entière. L'intérêt national prime sur le communautarisme. R. T. (*) Professeur en relations internationales