Warda El Djazairia, icône de la chanson arabe et symbole de la lutte révolutionnaire, a succombé, jeudi dernier, au Caire à une crise cardiaque à l'âge de 72 ans. De son vrai nom Warda Ftouki, la princesse du Tarab est née en 1939 en France d'une mère libanaise et d'un père algérien, Mohammed Ftouki, originaire de Souk Ahras, dans l'est de l'Algérie. Elle commence à chanter dès son jeune âge durant les années 1950 dans un établissement artistique appartenant à son père, avant d'entamer une riche carrière artistique en Orient, en Egypte surtout, où elle rencontre de grands noms de la chanson arabe, comme Mohamed El Moudji, Ryad Essambati, Mohamed Abdelwahab et Baligh Hamdi, un temps son époux, qui lui composeront autant de chefs d'œuvre de la chanson sentimentale. À l'occasion du 10è anniversaire de l'indépendance de son pays, en 1972, la chanteuse a offert au peuple algérien -à Alger- un inoubliable chant patriotique ("Min baide", De loin), véritable hymne à la gloire de l'Algérie libre mais aussi à son propre retour au pays après une longue absence, à l'invitation du président Houari Boumediene. Evénement national à l'époque, son séjour à Alger a été l'occasion de retrouvailles particulièrement émouvantes entre un peuple et une artiste de talent au répertoire exceptionnel et, plus encore, une femme de cœur à l'attitude digne et engagée quelles que soient les circonstances. Elle récidive le 5 juillet en 1982, vingt ans jour pour jour après l'indépendance, en interprétant une autre chanson patriotique tout aussi éternelle (Aid El Karama, la fête de la dignité), puis encore en 1987 avec d'autres succès dédiés aux combats de son pays pour la liberté et le développement. Durant les années 1990, elle se lance dans la chansonnette en s'imposant à la jeune génération de chanteurs grâce aux titres "Haramt Ahibek", "Betwenes Bik", "El Ghira", "El Ghorba" et "Ya khsara", et bien d'autres. L'interprète de "Fi Youm Wi Lila" ou encore "Lawla El Malama" a vendu plus de 20 millions d'albums à travers le monde pour un riche répertoire de plus de 300 chansons. Avant son décès, Warda a tourné un vidéo-clip à la gloire de l'Algérie intitulé "mazal wakfin" (nous sommes encore debout), à l'occasion du 50ème anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, le 5 juillet 1962, diffusé depuis la fin avril sur toutes les chaînes de la télévision et de la radio algériennes. Une grande émotion en Algérie et en Egypte La disparition de l'icône de la chanson arabe et algérienne Warda El Djazairia, a suscité une vive émotion dans les milieux politiques et artistiques algériens et étrangers. Dans un message de condoléances adressé vendredi par la président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika, à la famille de la défunte, le chef de l'Etat a salué la longue carrière artistique de la chanteuse, qui a entièrement consacré son art à sa "patrie qu'elle a tant aimée". Regrettant que la princesse du "Tarab el aarabi" soit disparue avant la célébration du 50e anniversaire de l'indépendance de l'Algérie, le Président aurait aimé, écrit-il, qu'elle puisse "célébrer aux côtés de ses concitoyens et concitoyennes le cinquantenaire de l'indépendance et y apporter sa contribution par ses créations sublimes, comme elle a eu à le faire durant la guerre de libération. Pour sa part, le Premier ministre, M. Ahmed Ouyahia, a salué "le talent vrai et avéré de la diva qui a chanté à la gloire de la patrie avant de faire la grandeur de la chanson algérienne et arabe et la hisser aux plus hauts sommets de la créativité", a-t-il écrit dans un message à la famille de la défunte. "Terrassée par la douleur", la ministre de la Culture Mme Khalida Toumi a elle aussi salué "l'enfant de la famille révolutionnaire", Warda, symbole de la lutte révolutionnaire, toujours présente pour apporter sa touche à l'édification de sa patrie depuis l'indépendance. Le ministre de la Communication M. Nacer Mehal a également adressé à la famille de la défunte un message de condoléances exprimant sa douleur, "le monde de la culture algérien et de la culture arabe perd en Warda El Djazairia une voix d'or et également une artiste au sens propre du terme", a-t-il écrit. En Egypte, pays d'adoption de la cantatrice, la nouvelle de la disparition de Warda El Djazairia a été accueillie avec une émotion tout aussi intense. Le ministre de la Culture égyptien Mohamed Sabar Arab a exprimé sa profonde tristesse pour la perte de celle qui était pour lui "une partie de l'Egypte et de la génération qui a apporté une grande conscience à la cause arabe et a joué un grand rôle dans la consolidation de la relation entre l'Egypte et l'Algérie". Le Parti des Egyptiens libres, créé en 2011 après la chute du régime de Hosni Moubarak, a adressé ses condoléances aux peuples égyptien et algérien suite à cette disparition tragique affirmant que Warda a été tout au long de son parcours artistique "le parfait exemple" de l'artiste arabe engagé pour les causes de sa patrie et un "modèle de l'art raffiné". Ce parti compte parmi ses fondateurs le célèbre écrivain Jamel El Ghitani, le poète populaire Ahmed Fouad Nadjm et le réalisateur Khaled Youcef. Deuil des artistes algériens Les artistes algériens tous très affectés par la disparition de la grande dame de la chanson, s'accordent à considérer que "Warda est morte mais son œuvre est éternelle", à l'image de Mohamed Boulifa qui avait composé pour la défunte "Biladi Ouhibouki". Fella Ababsa a aussi exprimé sa grande tristesse de voir "un des symboles de la chanson arabe disparaître". Pour sa part, la chanteuse Fulla El Djazaïria, a exprimé sa grande peine pour le décès de la grande dame. Le directeur de l'orchestre symphonique national, Abdelkader Bouazzara, a de son côté exprimé sa profonde tristesse après la disparition de Warda notamment à la veille des festivités célébrant le cinquantième anniversaire de l'indépendance de l'Algérie. "Célébrer le cinquantenaire de l'Algérie sans Warda, cette diva qui a toujours été au rendez-vous des grands événements nationaux, m'est très pénible. Nous avons perdu un authentique monument de la chanson arabe", a-t-il déploré. "Je suis très touché par la perte de cette grande dame qui a réussi à se faire une place de choix parmi les grands noms de la chanson arabe. Elle a démontré son talent artistique jusqu'au dernier souffle", a ajouté M. Bouazzara. Elle n'est pas en reste la jeune génération d'artistes algériens, qui verse dans des styles pourtant complètement différents de celui qui a fait la grandeur de la diva à la voix exceptionnelle : le jeune poète et slammeur Khaled Mouaki se dit, pour sa part, attristé de voir la culture algérienne ainsi "amputée de l'un de ses plus grands talents". "Sa voix a bercé notre enfance et ses chants patriotiques nous ont donné foi en notre grand pays", confie-t-il en regrettant de ne pas avoir eu la chance de la voir sur scène, au même titre que beaucoup de ses camarades. Jeune chanteuse et musicienne de folk, Hayet Zerrouk dit que Warda l'a "aidée à grandir" et salue "l'immense talent et le charisme de l'artiste prématurément disparue. "J'admirais sa modestie, sa joie de vivre, son humour et surtout son amour pour l'Algérie. Depuis toute petite, j'avais l'impression que cette grande dame incarnait à la fois l'art, la bonhomie, la gentillesse et la générosité", insiste-t-elle. Artistes égyptiens : La disparition de Warda "une grande perte pour l'art arabe" Les milieux artistiques égyptiens ont appris avec une grande affliction la disparition de la diva Warda El-Djazaïria considérée par les artistes égyptiens "une grosse pointure irremplaçable" et une "grande perte pour l'art arabe". Pour sa part, le Doyen des musiciens égyptiens Aymen el Bahr Darwich a déclaré que le syndicat des musiciens va honorer la défunte au regard de sa grande histoire artistique et musicale qui a enrichi la vie musicale en Egypte et dans le monde Arabe. Par ses "oeuvres immortelles", Warda séduira à jamais les mélomanes, selon les déclarations des artistes rapportées vendredi par les médias locaux.Hani Chaker qui s'est dit attristé par la disparition de Warda estime qu'il "s'agit d'une grande perte pour l'art, ses capacités vocales étant irremplaçables". Medhat Salah a, également, affirmé que "le monde arabe vient de perdre en Warda El-Djazaïria une valeur artistique inestimable". "La disparition de l'artiste Warda El-Djazaïria est une grande perte pour l'art arabe et égyptien", a estimé le musicien Ahmed Samahi. Pour l'artiste Mohamed Tharouat, Warda a édifié, le long d'un parcours riche et diversifié, une œuvre immortelle grâce à sa collaboration avec des grands de la trempe de Riad Simbati, Mohamed Abdelaouahab et Baligh Hamdi, son ex-époux, avec lequel elle a signé de véritables chefs d'œuvre. "Warda a été une belle chose pour nous et son évolution sous la coupe des grands lui a permis de tenir tête aux sommités de l'époque comme Abdelhalim Hafez, et Farid El Atrach", a dit pour sa part la critique Majda Kheir Allah. La présidente de l'Opéra du Caire, Ines Abdeddaem estime que la disparition de Warda est une grande perte. "La Diva nous a quittés mais son œuvre restera éternelle", a-t-elle affirmé. Le chanteur égyptien Hany Shaker s'est dit, aussi, très attristé par le décès de Warda El-Djazaïria qualifiant cette disparition de "grande perte pour l'art". Hommage de la presse à la ''rose algérienne'' À l'instar de la presse algérienne, qui a rendu hommage, hier à Warda El-Djazaïria, évoquant la vie et l'œuvre de celle qui fut incontestablement "la princesse du Tarab Al-Arabi", à travers tous les grands titres de la presse nationale, le décès de la diva a été également évoqué par les journaux égyptiens dans leur édition, d'hier, qui ont qualifié sa disparition de grande perte pour l'art dans le monde arabe. Dans un article intitulé "Adieu Warda", le journal Al-Ahram a retracé le parcours de la chanteuse, restée attachée à sa patrie malgré l'éloignement, depuis son entrée en Egypte en 1960, rappelant que la défunte préparait un clip spécial pour le cinquantenaire de l'indépendance. De son côté le journal Al-Akhbar a mis en exergue l'attachement de Warda à la vie, artistique notamment, malgré le poids des années et la maladie. Le journal "Al-Yaoum Sabei" (septième jour) a quant à lui retracé le parcours de l'artiste qui a laissé derrière elle "une bibliothèque musicale", fruit de sa collaboration avec les grands noms de la chanson arabe, comme Mohamed El Moudji, Ryad Essambati, Mohamed Abdelwahab et Baligh Hamdi. Warda était adulée dans tout le monde arabe pour son grand cœur, sa spontanéité et sa modestie, même au summum de la gloire, poursuit le journal. De son côté, Al-Goumhouria a recueilli des témoignages d'artistes et amis de la défunte qui sont revenus notamment sur ses qualités humaines. Une file importante au Palais de la Culture pour l'ultime adieu à la diva Une file importante s'est formée hier matin dès les premières heures au Palais de la culture à Alger où la dépouille mortelle de Warda El Djazairia était exposée, pour permettre aux Algériens de rendre un ultime hommage à la cantatrice décédée jeudi dernier soir au Caire, a-t-on constaté. La dépouille mortelle de Warda El Djazairia est arrivée avant-hier en milieu de soirée à l'aéroport international d'Alger en provenance de la capitale égyptienne, à bord d'un avion spécial affrété par la présidence de la République. Entourant les enfants de Warda, sa fille Wida et son fils Riadh, plusieurs personnalités politiques de haut rang se sont recueillies sur la dépouille de la défunte, notamment le ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, la ministre de la Culture Khalida Toumi et le ministre de la Communication Nacer Mehal ainsi que Abdelmalek Sellal et Halim Ben Attallah, respectivement ministre des Ressources en eau et Secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, chargé de la communauté nationale à l'étranger. Deux conseillers du Roi Mohamed VI du Maroc, représentant le souverain marocain parmi une délégation étrangère comprenant l'ambassadeur de l'Etat de Palestine à Alger et des diplomates de pays arabes accrédités à Alger, se sont également associés à la cérémonie pour rendre un dernier hommage à l'icône de la chanson arabe. De nombreux artistes et hommes de lettres algériens, dont l'écrivain Amine Zaoui, Azzedine Mihoubi et Mustapha Chérif, ancien ambassadeur d'Algérie au Caire, étaient également présents à la cérémonie. Warda El Djazaïria inhumée, hier, au cimetière d'El-Alia Le chanteuse Warda El Djazaïria a été inhumée hier en début d'après-midi au cimetière d'El-Alia à Alger en présence d'une foule nombreuse, composée d'officiels, d'artistes, d'hommes de culture et de beaucoup d'admirateurs. Aux côtés des membres de la famille de la défunte, étaient présents notamment le Premier ministre, M. Ahmed Ouyahia, accompagné de plusieurs de ses ministres.