Les pays producteurs se réapproprient leurs réserves, tandis que l'exploitation des gisements devient toujours plus complexe. En apparence, l'avenir des majors pétroliers est toujours brillant. Avec un prix du baril à 78,77 dollars, son plus haut historique, ils sont assurés de résultats confortables. Au deuxième trimestre, les bénéfices des cinq premiers groupes pétroliers ont encore atteint des sommets: 34,9 milliards de dollars au total, dont une partie sera utilisée pour de nouveaux programmes de rachat d'actions. Pourtant, dans leur présentation, tous se sont montrés très prudents. Ils le savent: leur âge d'or touche à sa fin. L'environnement mondial est devenu beaucoup plus difficile. L'accès aux réserves est toujours plus incertain, plus complexe et plus cher. "La répartition de la rente pétrolière ne leur est plus aussi favorable", constate Pascal Menges de la banque Lombard Odier Darier Hentsch (LODH). Le président vénézuélien, Hugo Chavez, a fait des émules. Partout, les pays producteurs veulent reprendre le contrôle de leurs réserves. Les difficultés rencontrées par les majors en Russie, au Nigeria, illustrent cette montée du nationalisme pétrolier. Les groupes occidentaux voient les possibilités d'exploration se réduire comme peau de chagrin. Désormais, 80% des réserves mondiales sont aux mains des pays producteurs. Même quand ils acceptent de maintenir les concessions, ce n'est plus aux mêmes conditions. Ils exigent que la répartition de la manne pétrolière soit plus en leur faveur. "Le rendement des capitaux employés qui est encore supérieur à 20% devrait revenir à des niveaux compris entre 10% et 12%", pronostique Pascal Menges. Tous commencent à en ressentir les effets. Numéro un mondial, Exxon (XOM) a annoncé la semaine dernière la première baisse de son bénéfice trimestriel après trois années de croissance ininterrompue ainsi qu'une baisse de production. La nouvelle a d'autant plus surpris que le géant américain a été jusqu'à réaliser de gros investissements dans des gisements non conventionnels, l'offshore profond notamment. Mais ces nouveaux champs en Russie, au Canada et en Asie ne produisent pas suffisamment pour compenser les chutes de production aux Etats-Unis (-10%) et en Afrique (-9,2%). Et c'est sans compter l'impact de son départ en juin du Venezuela, un pays qui représente 1% de sa production mondiale. "Toute la difficulté aujourd'hui est de pouvoir assurer rapidement le renouvellement des réserves", remarque un spécialiste. Pour assurer leur avenir, les majors démultiplient les projets pour exploiter des gisements qu'elles avaient délaissés jusqu'alors, parce que pas assez rentables à leurs yeux. Après ses déconvenues au Nigeria et en Russie notamment, qui se sont traduites par une baisse de 4% de sa production au premier semestre, Shell vient d'annoncer ainsi un investissement de 23 milliards de dollars au Canada dans un complexe de retraitement des sables bitumineux. Mais cette course aux nouveaux gisements - qui se traduirait par une croissance de l'ordre de 20% des investissements en 2007 selon le cabinet de courtage Raymond James - entraîne une explosion des coûts d'exploration. "Avec la pénurie des compétences et des équipements de forage, le prix des services pétroliers flambent", remarque le même spécialiste. Si Total (FP.PA) enregistre une hausse de 1% de sa production au premier semestre grâce au démarrage et à la montée en puissance de nouveaux projets, il l'a fait en acceptant des sacrifices: son bénéfice net recule de 9% en raison d'une "inflation des coûts". Le groupe prévoit des "perspectives de croissance rentables dans les prochaines années". Mais il s'est refusé, cependant, à tout pronostic pour l'année 2007.