Les producteurs, qu'ils soient indépendants ou étatiques ont du mal à imposer durablement un prix sur le marché. Ce dernier a tendance à dandiner plutôt vers celui de l'acheteur, compromettant, de la sorte, la rentabilité des projets amonts pour les uns et intégrés pour les autres et attentant aux objectifs économiques des compagnies. La cession totale ou partielle des participations, la disparition par l'absorption ou fusion est un phénomène classique dans l'industrie pétrolière où le petit s'éclipse, armes et bagages, dans l'embrasure du plus puissant, dont l'appétit grossit avec la taille. C'est, de nouveau, l'ère de l'investissement dans l'économie d'échelle par fusions majeures pour une meilleure intégration verticale et la création des monopoles. Les années 1990 sont, en effet, celles du merging de beaucoup de groupes pétroliers donnant naissance à de supermajors (ExxonMobil, BP AmocoArco, ChevronTexaco, TotalFinaElf, RepsolYPF, pour ne citer que ces exemples) d'un côté et à de nouveaux majors de l'autre. Les réserves de pétrole et le chiffre d'affaires d'un supermajor peuvent dépasser ceux d'un certain nombre de pays OPEP réunis (les chiffres d'affaires d'Exxon et de Shell, par exemple, avoisinaient déjà 100 milliards de dollars en 1997 et ceux de BP en Mobil, étaient d'environ 60 milliards de dollars). La nouvelle politique d'investissement de ces géants pétroliers dans les zones-clés de la planète consiste, prioritairement, en l'accès au développement et/ou à l'exploitation des grands gisements. Viennent ensuite l'exploration en zones matures à moindre coût et enfin l'exploration visant d'éventuels « éléphants » en zones frontières comme le deep offshore par exemple. Les provinces pétrolières les plus porteuses de la planète sont réparties à travers une vingtaine de pays dans lesquels opèrent déjà ou comptent opérer ces nouveaux groupements. Ces pays renferment 95% des réserves et couvrent 80% de la production mondiale. La consommation mondiale actuelle de pétrole étant de 4 milliards de tonnes par an, on estime à environ 5 milliards de tonnes la consommation moyenne annuelle entre 2005 et 2020, ce qui correspond à un accroissement de 1,66% par an. Cela reste un minimum si l'on croit l'Agence internationale de l'énergie (AIE), qui situe ces besoins à 6 milliards de tonnes. En cas de non-renouvellement conséquent des réserves dans une quinzaine d'années, une douzaine de pays ne seront plus pétroliers et, dans 20 ans, ils ne seront plus qu'une huitaine (essentiellement des membres actuels de l'OPEP) à contrôler, mais durant seulement une petite dizaine d'années, ce qui resterait des réserves mondiales dont l'épuisement total se situerait vers 2035. Même en cas de nouvelles découvertes, les réserves ne dureront pas plus longtemps que celles déjà connues. L'appétit croissant de l'économie mondiale n'en fera qu'une bouchée. Selon nos estimations, le potentiel restant à découvrir serait de l'ordre de 70 milliards de tonnes, ce qui équivaut à 11 années de consommation au taux de 2020 (6 milliards de tonnes par an). L'après-pétrole « facile » se situerait donc au plus tard, vers l'an 2045. L'exploitation à la loupe de ce qui reste des vieux gisements pétroliers (amélioration du taux de récupération, forages horizontaux, fracturation hydraulique, etc.), le recours au pétrole lourd, non conventionnel, des tar sands (sables bitumineux), la réactivation du charbon et la relance des énergies non fossiles, dont le nucléaire notamment, vont accompagner de plus en plus le déclin des réserves conventionnelles dans les années ou décennies à venir. Les sources d'énergie de substitution, moins coûteuses et non polluantes, contribuent déjà au développement économique dans certains pays de l'OCDE qui se préparent, sans relâche, à réduire leur dépendance à l'égard de leur approvisionnement en pétrole et gaz. Si les pays de l'OPEP contrôlent 79% des réserves pétrolières de la planète et qui s'épuiseront dans une trentaine ou quarantaine d'années, 5 pays NOPEP (USA, Russie, Chine, Australie et Afrique du Sud) disposent de 75% des réserves mondiales de charbon, qui s'épuiseront dans... deux siècles aux rythmes des consommations actuelles. Le charbon, dont les réserves avoisinent les 500 milliards de TEP, assure 55% de la génération électrique des USA. Ces derniers détiennent le quart des réserves et consomment 26% de la demande mondiale, estimée pour l'heure à 5 milliards de tonnes (soit 2,4 milliards de TEP). Les réserves de pétrole lourd, localisées essentiellement au Canada et au Venezuela, sont estimées pour les optimistes à plus de 1100 milliards de barils récupérables, soit quatre fois les réserves conventionnelles actuelles de l'Arabie Saoudite. A titre indicatif, le gisement pétrolier « synthétique » d'Athabasca, à Fort McMurray, dont la production dépassait les 250 000 barils par jour au milieu des années 1990, assurait déjà près de 25% de la production canadienne. 65% de la manne mondiale Cependant, le coût de production du pétrole lourd demeure élevé (jusqu'à 12 dollars par baril contre 3 ou 4 dollars pour le pétrole conventionnel). Il faut environ 2 tonnes de sable bitumineux et du temps pour extraire un baril de pétrole. De nouvelles techniques d'extraction, testées tout récemment dans les laboratoires canadiens, semblent permettre une meilleure récupération à moindre coût et dans des délais plus réduits. Quant à l'énergie nucléaire, et malgré la catastrophe historique de Tchernobyl, en avril 1986, elle couvre aujourd'hui 15% de la production d'électricité mondiale. En France, par exemple, le gouvernement vient de voter un projet de loi pour la relance du nucléaire bien que le pays possède déjà une soixantaine de centrales assurant plus de 80% des besoins en électricité. L'Union européenne a fixé tout récemment l'objectif de porter à 12% la part des énergies non fossiles dans le bilan énergétique d'ici à 2010 pendant que 20% des besoins électriques norvégiens, pour ne citer que ce pays, proviennent des éoliennes. Pour l'instant, le monde dispose encore de quantités conséquentes de brut conventionnel mais leur répartition géographique est hétéroclite avec les besoins des différentes économies de la planète. La région moyen-orientale contrôle, à elle seule, 65% de la manne mondiale identifiée à ce jour. Viennent ensuite les zones de l'Asie-Pacifique avec 11% (dont 42% en Russie), de l'Amérique du Sud (9%) et de l'Afrique (7%). Les pays d'origine des multinationales n'en disposent, quant à eux, que de 8%, dont 6% en Amérique du Nord et seulement 2% en Europe. Cette répartition des réserves est loin de constituer des marchés naturels ou régionaux, puisque les différents acteurs, qu'ils soient Etats (pétroliers ou non) ou sociétés indépendantes, n'ont pas forcément la même politique énergétique, ni les mêmes ambitions économiques selon qu'on soit sous régime socialiste, monarchique, démocratique ou libéral. De là, nous subdivisons les acteurs en trois blocs : Les pays de l'OPEP ; les pays de l'OCDE ou bloc occidental (dont seulement 6 sont pétroliers) ; le reste du monde (dont la Communauté des Etats indépendants - CEI, ex-URSS). En réalité, les principaux acteurs sont les pays de l'OPEP dont les réserves (800 milliards de barils) représentent 4 fois celles des NOPEP mais qui ne consomment que l'équivalent de 16% des besoins étasuniens et 4% des besoins mondiaux, et les pays de l'OCDE qui, ne disposant que de 8% des réserves, consomment 60% de la demande mondiale. A ce rythme, les pays de l'OCDE, qui importent actuellement plus de 56% de leurs besoins, sont appelés à en importer la quasi-totalité (85 à 95%) en 2025-2030, puisque des sources comme la mer du Nord s'éteindront vraisemblablement bien avant cette échéance. La cinquantaine de gisements, qui assuraient 90% de la production britannique dans les années 1990, n'en contribuent aujourd'hui qu'à la hauteur de 40% et, dans moins de 10 ans, la production totale de ces gisements est appelée à chuter davantage. On estime entre 10 et 12% le taux annuel du déclin de la production en mer du Nord britannique. Les autorités anglaises viennent de lancer un nouveau round pour des licences d'exploitation et des développements, mais le problème, pour les investisseurs, notamment les majors, réside dans le fait que le potentiel résiduel (entre 25 et 30 milliards de barils équivalent pétrole) est associé à de nombreux petits prospects épars, de taille marginale. Aussi, les réserves des nouveaux champs à développer ne dépassent pas les 30 millions de barils par gisement, contre 500 à 600 millions de barils dans les années 1970. Pour ce qui est de la Norvège, les gisements, relativement plus jeunes que ceux britanniques, continueront à produire quelques années de plus, mais leur potentiel a également beaucoup baissé depuis le milieu des années 1990. Rien que pour l'année 2004, la production journalière a chuté de 350 000 barils. Les multiples rounds d'attribution de licences de recherche et production lancés tout récemment en mer du Nord norvégienne n'ont pas attiré de grands preneurs. Les hautes pressions et températures des réservoirs, situés parfois à plus de 4000 m de profondeur, ont découragé certains investisseurs. La mer du Nord, refuge de l'OCDE lors de l'embargo imposé par l'OPAEP en 1973, est arrivée, aujourd'hui, à un stade de maturité très avancé pour y espérer une reconstitution conséquente des réserves à même de compenser les consommations et apaiser tous les besoins du bloc occidental, lequel ne peut, non plus, se ressourcer pour longtemps auprès du reste du monde qui semble juste s'autosuffire à présent, au vu d'un ratio production-consommation proche de l'unité, couplé à la vieillesse et au déclin de beaucoup de gisements. Par ailleurs, plus un pays se développe et moins il ravitaille suffisamment un autre à l'exemple du Canada qui, assurant actuellement 16% des besoins étasuniens en gaz, envisage de revoir à la baisse ses exportations vers son allié dans les années à venir du fait du déclin de sa production et de la croissance de ses propres besoins. D'ici à 2020-2025, la demande mondiale (estimée à 115-120 mbj) sera théoriquement gouvernée par l'OPEP dont la production attendue avoisinera les 60 mbj, soit plus du double du niveau actuel. Encore faut-il que cette organisation ait les capacités de production nécessaires puisqu'elles ne sont aujourd'hui que de l'ordre de 30 à 32 mbj, soit 40% de la demande mondiale seulement. Jusqu'ici, cette organisation a été utile (pour l'OCDE) juste pour équilibrer le marché et non pour le dominer. Poules aux œufs d'or Si l'après-pétrole facile semble planer en priorité sur les zones géographiques occidentales, le redéploiement des multinationales en supermajors leur autorise une plus large diversification des sources par l'accès à de nouvelles opportunités en échange d'un apport technologique et financier permettant l'accélération du développement du secteur, voire du pays lui-même. Déjà, le bloc NOPEP fait toujours la une des activités pétrolières aussi bien dans le domaine de la production (66% de la demande mondiale) que dans celui des opérations (durant ces derniers mois, 80% de l'activité forage mondiale a été réalisée dans les pays NOPEP). Ainsi, il ne faut pas écarter la découverte possible d'autres gisements géants par les multinationales,notamment dans l'offshore aux golfes de Guinée et du Mexique, en Afrique de l'Ouest, en mer caspienne et autres zones frontalières. C'est vers ces régions que leur avenir se pointe aujourd'hui pour inonder le marché de demain et contrecarrer continuellement la stratégie de l'OPEP, dont la durée de vie des réserves est estimée à 80 années, au rythme de la production actuelle de l'organisation (l'approche est purement mathématique). Depuis l'année 1996, l'offshore a commencé à évincer l'onshore en termes de taille des découvertes avec une moyenne de 50 millions de barils par puits (pour 1100 forages réalisés) contre seulement 15 millions de barils par puits en onshore (pour 5600 forages réalisés). Près de 5% des réserves mondiales prouvées se situent en mer et couvriront, d'ici à 2010, 10% de la demande globale pendant que le potentiel upside est estimé à environ 120 milliards de barils, selon les données actuelles. Aussi, et malgré l'opposition en 2002, pour des raisons écologiques, les Etats-Unis viennent de reprendre le projet Bush sur l'option de nouveaux forages d'exploration pétrolière dans le refuge national de l'Alaska pour réduire leur dépendance énergétique qui risque d'atteindre 70% d'ici à 2020, contre 55% aujourd'hui. Le recours au pays des esquimaux dénote la précarité des résultats de forage dans les principaux districts pétroliers américains où pas moins de 650 000 puits forés (61% pour le pétrole et 39% pour le gaz) sont classés « marginaux » sur le plan rendement. Mais il est clair que les USA disposent encore d'énormes réserves (2 fois celles de l'Algérie) et toute nouvelle découverte qui serait réalisée en Alaska ira droit grossir le fleuve des réserves stratégiques plutôt que contribuer à la production, sauf en cas d'urgence nationale comme cela a été le cas, tout récemment, en octobre 2004, quand la chute de la production de 475 000 barils par jour, causée par l'endommagement d'un oléoduc (suite à l'ouragan Ivan) dans le golfe du Mexique, a contraint les Américains à ponctionner deux millions de barils sur leurs réserves stratégiques au lieu de combler ce trou, estimé à 6 mois, avec du pétrole coûtant plus de 50 dollars le baril. Seulement, aux Etats-Unis, certains programmes énergétiques peuvent servir d'« outils politiques », notamment dans les abords immédiats des campagnes électorales. Toujours est-il qu'environ 20% de la production actuelle du brut américain provient de l'Alaska. En revanche, si le pétrole de l'OPEP sera fatalement incontournable dans les prochaines décennies, c'est aux grands consommateurs eux-mêmes d'encourager l'extension des capacités de production de l'organisation. Pour les Occidentaux, le temps n'est plus à prier leurs consommateurs de consommer moins - comme ce fut le cas lors des chocs pétroliers de 1973 et 1979-1980, qui ont entraîné une paralysie de leurs activités économiques - mais il est désormais demandé aux producteurs de produire plus. Les politiques d'économie d'énergie et les programmes de diversification vers d'autres sources d'énergie lancés par l'Occident durant ces chocs pétroliers n'ont pas été fructueux. Bien au contraire, la croissance mondiale a chuté de 3,4% en 1979 à 1% en 1980, les échanges commerciaux de 6 à 3%, l'inflation grimpe subitement de 8,5% à 11,5% et la population occidentale en chômage a atteint plus de 23 millions de personnes. Il est évident qu'il y a incidence néfaste tout aussi directe sur les économies des pays producteurs eux-mêmes. Subissant toujours le progrès technologique, leur développement demeure encore tributaire de la bonne santé de l'économie occidentale, moteur de la croissance mondiale. Si la leçon est bien apprise par les uns et les autres, les pays de l'OPEP ne seraient pas pour autant les grands vainqueurs. Ils ont été souvent confrontés à de rudes situations socio-économiques, infligées par des chutes dramatiques du prix du brut. Beaucoup de ces pays, accablés de dettes et ne vivant que du pétrole, se gardent plus que jamais d'imposer une guerre des prix ou étrangler, encore une fois, leurs poules aux œufs d'or. Ces mêmes pays dépendent encore de l'Occident de par les volumineuses importations et les accords d'investissement dans de grands programmes de mise à niveau en termes de développement humain, socioculturel, environnemental et d'industrialisation. D'ailleurs, l'embargo pétrolier décidé par l'OPAEP en 1973, et qui a réduit de seulement 5% les besoins mondiaux pendant deux petits mois, n'était pas, à lui seul, à l'origine du marasme économique vécu par l'Occident. Beaucoup d'autres facteurs, notamment aux USA, ont contribué à ce marasme dont la crise monétaire du printemps 1973 quand la parité du dollar et la balance commerciale des USA ont subi une remarquable détérioration, amorcée déjà en 1971, et pour des raisons extrapétrolières. Le prix du baril aurait été aussi élevé, même si cet embargo n'a pas eu lieu. Le choc pétrolier a juste eu un effet amplificateur sur les déséquilibres déjà existants. (A suivre)