Paralysée par la crise financière, Chypre a annoncé avant-hier avoir renoncé à taxer les dépôts bancaires au profit d'un fonds de solidarité, aux contours encore flous, censé éviter la faillite de ses banques, désormais sous le coup d'un ultimatum européen. La Banque centrale européenne (BCE) a lancé avant-hier le compte à rebours en annonçant qu'elle couperait lundi le robinet des liquidités aux banques chypriotes, faute d'accord acceptable entre Chypre et la troïka de ses bailleurs de fonds. Celle-ci comprend, outre la BCE, l'Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI). Le versement de ces liquidités d'urgence "ne pourront être envisagées que si un programme UE/FMI est en place qui assure la solvabilité des banques concernées", a souligné l'institution de Francfort. Les autorités chypriotes ont annoncé de leur côté avoir trouvé un accord pour un "plan B" écartant toute taxe sur les dépôts bancaires et la création d'un "fonds d'investissement de solidarité". Ils n'ont toutefois révélé aucun détail sur la façon dont il se financerait et les montants qu'il pourrait recueillir. "Un projet de législation est actuellement en préparation qui sera présenté devant le conseil des ministres aujourd'hui à 18H00 (16H00 GMT)", a indiqué le porte-parole du gouvernement Christos Stylianides. Forte tension "Le sujet de la taxe n'était pas sur la table", a affirmé le président du Parlement Yiannakis Omirou, à l'issue d'une réunion du président Nicos Anastasiades avec les chefs des partis politiques. L'ultimatum de la BCE est venu s'ajouter à une tension déjà forte dans l'île mais aussi à Bruxelles et à Moscou. Avant-hier, les files d'attentes se sont allongées à Nicosie devant les distributeurs automatiques de la Laiki bank, les clients craignant une fermeture définitive de la deuxième banque de Chypre. Certains ont indiqué avoir été pris de panique après des informations faisant état d'une fusion de la Laiki bank avec la Bank of Cyprus, la plus importante du pays. L'Union européenne cherche d'ailleurs à convaincre les dirigeants chypriotes d'instaurer un blocage des capitaux placés dans les banques de l'île pour éviter leur faillite, a confié une source européenne proche des discussions. "Les autorités chypriotes ont trois choses à faire d'ici mardi: présenter un plan B crédible et viable pour remplacer le plan de sauvetage rejeté par le Parlement, instaurer un blocage sur une longue période des capitaux placés dans les banques, et préparer la fusion entre les deux principales banques en difficultés", a expliqué cette source sous couvert de l'anonymat. Le risque sinon est une sortie de Chypre de la zone euro, a-t-il averti. La crise à Chypre pose un "risque systémique" pour la zone euro, a surenchéri le chef de l'Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem. "Nous devons travailler à un programme qui mettra fin à ce risque", a-t-il souligné devant le Parlement européen. 10 milliards d'euros en échange d'une participation Chypre, membre de l'UE depuis 2004 et de la zone euro depuis 2008, doit trouver les moyens de financer sa part du plan de sauvetage européen qui s'élève à 7 milliards d'euros sur un total de 17 milliards d'euros. Le plan initial prévoyait que 5,8 milliards proviennent de la taxe sur les dépôts bancaires. Ses partenaires européens lui apporteront en échange 10 milliards d'euros pour renflouer ses banques et payer ses dettes. Nicosie s'est aussi tournée vers Moscou, partenaire économique de premier plan et avec lequel les liens culturels sont très forts, pour demander de l'aide. Le ministre chypriote des Finances Michalis Sarris est en Russie depuis mardi pour essayer d'obtenir une extension du crédit de 2,5 milliards d'euros accordé à Nicosie en 2011 et qui arrive à terme en 2016. La crise chypriote a provoqué une forte tension entre la Russie et l'Union européenne, les Russes ayant protesté contre les projets de taxer les dépôts des sociétés et ressortissants russes à Chypre qui dépasseraient, selon certaines estimations, 20 milliards d'euros. Le Premier ministre russe Dmitri Medvedev, a ainsi menacé avant-hier de revoir la part de l'euro dans les réserves du pays si le règlement de la crise financière à Chypre lèse les intérêts russes, une déclaration fait cependant avant l'annonce des Chypriotes disant que la taxe était désormais exclue. Le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, également présent dans la capitale russe avant-hier, a rejeté les critiques russes soulignant que Bruxelles avait été "en consultations avec la Russie depuis un certain temps" sur le sujet. Le "plan B" doit permettre à l'île, touchée de plein fouet par la crise grecque et la récession économique, de se sortir de la paralysie tout en garantissant la viabilité à long terme de son économie. Celle-ci repose essentiellement sur le tourisme et les placements étrangers, compte tenu du régime fiscal favorable aux entreprises. La Commission européenne a souligné de son côté que Nicosie devait présenter une solution garantissant que la dette publique chypriote reste soutenable. Or, si Chypre sollicitait un prêt plus important que les 10 milliards d'euros accordés par la zone euro et le FMI, sa dette publique dépasserait mécaniquement le seuil de 100% du PIB en 2020 retenu dans le plan de sauvetage initial. Et si le fonds de solidarité devait se financer avec de nouveaux crédits, alors "il ne servirait à rien", a-t-on averti de source européenne, car il viendrait ajouter de la dette à la dette. SP abaisse la note d'un cran et redoute un défaut de paiement Standard and Poor's (SP) a annoncé avoir abaissé d'un cran, à CCC, la note de la dette de Chypre et mis en garde contre une faillite du pays à l'heure où Nicosie négocie un nouveau plan d'aide avec ses créanciers de l'Union européenne et du FMI. Tout plan d'aide risque d'être impopulaire et difficile à appliquer dans un contexte de long et profond repli de l'économie. En conséquence, nous pensons que les risques d'un défaut sur la dette sont en train d'augmenter, écrit l'agence de notation dans un communiqué. Paralysé par la crise financière, l'Etat chypriote cherchait avant-hier, sous la pression d'un ultimatum européen, à éviter la ruine et la faillite de ses banques grâce à un plan B protégeant les petits épargnants mais qui reste encore suspendu à l'aval des Européens. Un premier plan, qui accordait 10 milliards d'euros de prêts en échange d'une taxation de l'ensemble des comptes bancaires de l'île, a été rejeté par le Parlement chypriote. En l'absence d'un plan alternatif crédible de recapitalisation et de financement du budget, le risque d'un événement de crédit chaotique augmente, relève encore l'agence, soulignant que la perspective du pays reste négative et que la note pourrait donc encore baisser dans les prochains mois. Nous abaisserons probablement la note si le gouvernement chypriote n'arrive pas bientôt à obtenir une assistance financière, prévient l'agence. Standard and Poor's s'inquiète également d'un possible mouvement de fuite des capitaux une fois que les banques chypriotes, actuellement fermées, rouvriront leurs portes. Le risque demeure qu'une nouvelle fuite des dépôts bancaires aggrave la situation économique, rende nécessaire des mesures de contrôle des capitaux et augmente le besoin d'un soutien supplémentaire aux banques, prévient Standard and Poor's. Le Parlement chypriote a reporté le vote sur des projets de loi instituant un fonds de solidarité et imposant une limitation des mouvements de capitaux pour éviter les retraits massifs à la réouverture des banques prévue mardi. Le fonds de solidarité nationaliserait les fonds de pensions d'entreprises publiques et semi-publiques, avec des obligations émises en échange de revenus futurs liés aux gisements de gaz naturel récemment découverts au large de l'île. La zone euro prête à discuter d'une nouvelle proposition de Nicosie La zone euro s'est dite prête à discuter avec les autorités chypriotes d'une proposition alternative à la taxe des dépôts prévue dans le plan de sauvetage et qui a provoqué un tollé dans le pays. L'Eurogroupe se tient prêt à discuter avec les autorités chypriotes d'une nouvelle proposition qu'elles doivent lui soumettre le plus rapidement possible, indique le président de ce forum, Jeroen Dijsselbloem, dans un communiqué publié à l'issue d'une conférence téléphonique des ministres des Finances de la zone euro. La zone euro est toujours disposée à venir en aide à Chypre, au bord de la faillite, à condition que les paramètres définis au préalable soient respectés, affirme M. Dijsselbloem. Les bailleurs de fonds potentiels de Nicosie (UE et FMI) refusent notamment de lui prêter plus de 10 milliards d'euros et tiennent à ce que sa dette n'aille pas au-delà de 100% du PIB en 2020. Ils souhaitent en outre que le pays mette en place une taxe sur les dépôts bancaires qui s'appliquerait uniquement aux dépôts au-dessus de 100 000 euros. L'Eurogroupe réaffirme l'importance de garantir totalement les dépôts bancaires en-deçà de 100 000 euros dans l'Union européenne, poursuit le communiqué. La protection des dépôts bancaires en-dessous du seuil de 100 000 euros a été ardemment défendue par les grands argentiers de la zone euro après le tollé provoqué par un premier projet prévoyant une taxe sur tous les dépôts, qu'ils avaient pourtant soutenu pendant le week-end. Le plan initial prévoyait que 5,8 milliards proviennent de cette taxe inédite et très controversée, mais il a été rejeté mardi par le Parlement chypriote. Les Européens et le FMI doivent donner leur aval à une nouvelle proposition chypriote censée confirmer la contribution de 7 milliards d'euros que Nicosie doit verser en contrepartie de leur aide de dix milliards. La Popular Bank, très menacée, limite les retraits d'espèces La Popular Bank, deuxième banque de Chypre et l'une des plus menacées de faillite dans les prochains jours en raison de son exposition à la dette grecque, a annoncé une limitation à 260 euros par jour à ses guichets automatiques. L'ensemble des banques du pays sont fermées depuis le 16 mars, dans l'attente d'un plan de sauvetage de l'île au bord de la banqueroute, et les files d'attente se sont particulièrement allongées aux distributeurs de la Popular Bank (Laiki en grec), sur fond de rumeurs de fermeture ou de fusion. Alors que les responsables politiques du pays étaient encore réunis au palais présidentiel pour examiner un plan B après le rejet par les députés chypriotes des conditions draconiennes du plan de sauvetage européen conclu samedi, quelque 200 personnes manifestaient devant le Parlement. Ne touchez pas à Laiki, Maintenant la Laiki Bank, et quoi ensuite ? Scandaient les manifestants, parmi lesquels beaucoup de femmes, alors qu'un important dispositif policier bloquait tout accès au bâtiment. Beaucoup de manifestants ont crié leur colère contre l'Allemagne et sa chancelière Angela Merkel, estimant leur devoir les conditions imposées en échange du plan de sauvetage pour l'île et ses banques au bord de la faillite. Nous ne serons pas les esclaves de l'Allemagne, proclamait une pancarte. La première banque du pays, Bank of Cyprus, a exhorté les responsables politiques de l'île à parvenir d'urgence à un accord avec l'Eurogroupe sur un plan d'aide pour éviter la ruine de l'île. L'économie de Chypre est au bord de la ruine et dans un état fragile, affirme la banque dans un communiqué. La prochaine étape pourrait marquer son salut ou sa destruction, a-t-elle ajouté. Chypre doit trouver les moyens de financer sa part du plan de sauvetage européen qui s'élève à 7 milliards d'euros sur un total de 17 milliards d'euros. Le plan initial prévoyait que 5,8 milliards proviennent de la taxe sur les dépôts bancaires mais celle-ci a été rejetée par le Parlement chypriote. Chypre examine une restructuration de son système bancaire La Banque centrale chypriote a proposé une restructuration du secteur bancaire de l'île, plombé par son exposition à la dette grecque et menacé de banqueroute dans les prochains jours, a annoncé son gouverneur Panicos Demetriades. La Banque centrale a recommandé la présentation en urgence au Parlement et l'application immédiate d'un cadre législatif sur la réorganisation et la relance du système bancaire chypriote, a déclaré M. Demetriades avant d'entrer au palais présidentiel, où étaient réunis en soirée les responsables politiques du pays. Cette procédure de consolidation va parer au risque de faillite de banque et protéger dans leur intégralité tous les dépôts assurés jusqu'à un montant de 100 000 euros (129 000 dollars), a-t-il ajouté. Elle met aussi en place les conditions d'une reprise du secteur bancaire et garantit les emplois, a-t-il ajouté.