Drapeaux de l'Espagne d'une part, indépendantistes de l'autre. Une campagne électorale très particulière s'est achevée vendredi soir en Catalogne, où tous s'accordaient sur un point: les élections régionales de dimanche sont historiques. "Il est une Catalogne qui aime son peuple, sa terre et qui pour cela ne veut pas qu'elle soit amputée de l'Espagne et de l'Europe", a déclaré le chef du gouvernement espagnol Mariano Rajoy devant un millier de militants agitant des drapeaux du royaume d'Espagne, dans un palais des Congrès de Barcelone. C'était le cinquième déplacement en 15 jours en Catalogne de Mariano Rajoy, mobilisé comme jamais pour un scrutin régional et exceptionnellement soutenu, vendredi soir, par l'ex-président français Nicolas Sarkozy, venu défendre "l'unité de l'Espagne". Car même si en théorie, ces élections régionales ne visent qu'à renouveler le parlement de 135 sièges de cette région industrieuse de 7,5 millions d'habitants entre Pyrénées et Méditerranée (nord-est de l'Espagne), elles sont sans précédent. Les indépendantistes, représentés par la grande coalition "Junts pel si", de droite et de gauche, et la liste d'extrême gauche de la CUP (Candidature d'unité populaire), ont décidé d'en faire un plébiscite: s'ils ont une majorité de sièges, comme l'indiquent les sondages, ils mettront en branle un processus qui mènera la Catalogne vers l'indépendance, en 2017. Ce suffrage mène vers "l'espoir, la dignité, la liberté", a clamé vendredi soir leur figure de proue Artur Mas, le président sortant, devant les dizaines de milliers de personnes réunies par la coalition Junts pel si, "Ensemble pour le oui". "Dimanche, le 27 septembre, est un jour historique", a-t-il martelé au pied de la montagne de Montjuic, où quatre colonnes illuminées en rouge symbolisaient les quatre traits rouges (sur jaune) du drapeau catalan. "C'est la décision la plus importante de nos vies politiques", s'enthousiasmait Laura Surell, une étudiante de 22 ans venue l'écouter.
Ensemble nous gagnons Mariano Rajoy avait auparavant tourné un dernier spot de campagne de son Parti populaire (droite, au pouvoir), avec une phrase en catalan, "perque units guanyem" ("ensemble nous gagnons"), après 30 secondes au cours desquelles plusieurs ministres ont déclaré leur attachement à la région. "J'aime la Catalogne et les Catalans", a dit la vice-présidente du gouvernement Soraya Saenz de Santamaria. Après un siècle de tensions plus ou moins vives avec Madrid autour de la langue catalane - interdite sous la dictature de Francisco Franco (1939-1975) - et la fiscalité, le fossé s'est brutalement creusé en moins d'une décennie entre les nationalistes catalans et le gouvernement central, sur fond de grave crise économique. Furieux de l'invalidation par le Tribunal constitutionnel en 2010 d'une partie du statut d'autonomie de la région, les nationalistes réclamaient en vain depuis 2012 un référendum d'autodétermination.
Inquiétude des marchés Mais leurs projets inquiètent les banques, les grands groupes, et les marchés, au moment où l'Espagne commence à sortir de la crise, avec une croissance de 3,3% prévue pour 2015. Sans la Catalogne, le pays serait amputé non seulement de 16% de sa population mais aussi de 25% de ses exportations et de 19% de son PIB. Et les ministres espagnols ont joué les Cassandre, annonçant qu'une séparation ferait de la Catalogne un Etat paria et ruiné, exclu de l'Union européenne, où le chômage atteindrait 37% et les retraites plongeraient de 44%. "L'Europe avec une Espagne divisée serait une Europe affaiblie (...) les élections dimanche ne sont pas simplement le problème de l'Espagne et de la Catalogne, c'est le problème de toute l'Europe qui a besoin de votre unité", a clamé l'ancien chef de l'Etat français Nicolas Sarkozy devant les partisans de M. Rajoy. Avant lui Angela Merkel et David Cameron, Barack Obama aux Etats-Unis, ont également plaidé pour une Espagne unie. Et même en Catalogne, certains étaient soucieux, vendredi soir, comme Maria Garcia, informaticienne de 43 ans, rencontrée avec ses parents au meeting de M. Rajoy. "Nous sommes en train de passer un mauvais moment", avouait la mère, Pilar, 68 ans, visiblement angoissée. "Ici, si tu n'as pas deux noms de famille catalans, tu es suspect", déplorait la fille: "Une minorité arrive à un point de non retour et la majorité se tait." Pour le reste des Espagnols, la Catalogne demeure cependant pour l'instant une vague préoccupation, loin derrière le chômage ou l'économie. "On oscille entre l'indifférence - "encore les Catalans avec leur rengaine" - et l'inquiétude", résumait vendredi Oscar, 34 ans, un élu de Caravaca de la Cruz, un gros bourg de Murcie (sud), qui préfère ne pas dire son nom.