Cette situation absurde devrait prendre fin au Nigeria, premier producteur africain de brut, avec la relance de l'activité de trois des quatre raffineries du pays, qui tournaient au ralenti depuis deux ans. Faute de capacité de raffinage, le géant d'Afrique de l'Ouest exporte son pétrole brut pour importer ensuite l'essence raffinée, plus chère. Pour maintenir un prix correct à la pompe, le gouvernement subventionne largement l'essence: une fortune pour le budget de l'Etat et un symbole de plus de la gabegie et de la corruption du secteur pétrolier nigérian. En mai, une pénurie d'essence sans précédent avait mis le pays à genoux quand les importateurs et distributeurs d'essence, qui réclamaient 900 millions d'euros de subventions impayées, avaient décidé de fermer leurs dépôts. Investi fin mai en promettant une croisade contre la corruption, le nouveau président nigérian Muhammadu Buhari a fait le ménage dans la compagnie pétrolière publique, la NNPC, congédiant en juin l'ensemble du conseil d'administration et nommant en août un nouveau patron, un juriste formé à Harvard et ancien dirigeant d'ExxonMobil Africa. Et il vient d'annoncer, le 30 septembre, qu'il s'attribuait le ministère du Pétrole, pour superviser lui-même la réforme de ce secteur crucial. Le chef de l'Etat a réclamé une révision de tous les contrats de vente d'or noir, dénonçant le vol quotidien de 250.000 barils - sur une production de 1,8 million de barils - sous la présidence de son prédécesseur Goodluck Jonathan, dont les bénéfices auraient atterri sur des comptes bancaires individuels. En février 2014, Goodluck Jonathan avait suspendu de ses fonctions le gouverneur de la Banque centrale nigériane, Lamido Sanusi, qui dénonçait le détournement de 20 milliards de dollars au sein de la société pétrolière nationale. La récente relance des raffineries porte ses fruits : alors qu'elles fonctionnaient à moins de 15% de leurs capacités en 2014 selon la NNPC, les deux unités de Port Harcourt produisaient fin juillet à 60% de leur capacité de 210.000 barils par jour (bpj), et celle de Warri (sud) prévoyait d'atteindre 80% de sa capacité de 125.000 bpj. La raffinerie de Kaduna (nord), dont la capacité est de 110.000 bpj, devait être remise en service rapidement. Avec une capacité de production combinée de 445.000 barils par jour (bpj), les quatre raffineries du Nigeria ont en principe les moyens de couvrir les besoins du pays en produits pétroliers raffinés - 305.000 bpj de produits pétroliers en 2014, selon l'Agence américaine d'information sur l'énergie (EIA). Mais les raffineries ont souffert de mauvaise gestion et d'investissements insuffisants pendant des années. Des grands contrats avaient été annoncés ces dernières années pour la construction de nouvelles raffineries, d'abord avec une compagnie publique chinoise en 2010 (23 milliards de dollars pour la construction de trois raffineries et un complexe pétrochimique) puis la société américaine Vulcan Petroleum (4,5 milliards de dollars) en 2012. Mais ces projets n'ont pas encore été concrétisés. Directeur d'une des raffineries remise en marche, la Port Harcourt Refining Company, Bafred Enjugu se réjouit que le Nigeria ramène enfin le raffinage de brut à la maison. Un moyen d'améliorer la sécurité énergétique, mais aussi de relancer l'économie du Nigeria fortement touchée par la chute des cours pétroliers mondiaux, alors que le pays dépend à 70% de ses exportations de brut pour son budget et à 90% pour ses recettes en devises. Après un demi-siècle de forte croissance démographique, le Nigeria est devenu le pays le plus peuplé d'Afrique avec plus de 170 millions d'habitants et la première puissance économique du continent. Mais les infrastructures ont du mal à suivre. Outre le secteur pétrolier, la gabegie touche aussi le secteur de l'électricité. Le président Buhari a qualifié de honte nationale le niveau insuffisant de la production d'électricité, qui handicape le développement des entreprises et empoisonne la vie des habitants, qui subissent des coupures de courant récurrentes pouvant durer plusieurs jours.