Faute d'eau et d'herbe, mes bœufs et moutons sont morts un à un, se rappelle Toro, un berger peul originaire de Gadabédji, dans le centre du Niger, en resserrant le nœud du turban blanc qui le protège contre la forte canicule. Alors, en 2010, ce quadragénaire à la silhouette longiligne est parti pour la capitale, Niamey, où il s'est reconverti dans la vente de... téléphones portables. Mais sans mes bêtes, je n'ai plus d'identité! Montée des températures, sécheresses, inondations et crises alimentaires: le réchauffement climatique, en aggravant une variabilité des précipitations déjà naturellement élevée dans le bassin (du fleuve Niger) et en exacerbant les phénomènes extrêmes frappe durement les populations, relevait fin octobre la Banque mondiale. Le phénomène se ressent d'autant plus que ce pays sahélien et enclavé de quelque 18 millions d'habitants est classé 187e et dernier de l'indice de développement humain de l'ONU. En 2012, des inondations ont ainsi tué 102 personnes, fait 530 000 sinistrés et provoqué pour plus de 90 milliards de francs CFA (135 millions d'euros) de dégâts, explique Mahaman Goni Boulama, responsable de l'organe de Prévention des catastrophes et crises alimentaires au Niger. Depuis trois décennies, experts et autorités du pays s'inquiètent des brusques montées de température, alors même que le désert a déjà colonisé les trois quarts du pays. Des pics de chaleur de plus de 50 degrés Celsius ont été enregistrés dans le nord désertique, et le mercure oscille entre 30°C et 45°C à l'ombre dans le reste du pays, selon la météorologie nationale. Le Niger se trouve en conséquence confronté à un problème crucial d'alimentation en eau, les forts taux d'évaporation asséchant puits et cours d'eau. D'après l'ONU, deux personnes sur trois boivent régulièrement de l'eau polluée.
Grenier ensablé L'eau' Il faut creuser à plusieurs centaines de mètres, fulmine Issa Amoumoune, natif de Tanout (centre), jadis grenier du pays et aujourd'hui menacé par les dunes de sable. L'ensablement met également en péril le fleuve Niger et donc la survie de plus de 100 millions de personnes qui vivent dans son bassin, de la Guinée au Nigeria, s'alarme l'Autorité du bassin du Niger (ABN, neuf Etats). Navigation et reproduction des poissons sont désormais quasi impossibles sur des portions du troisième fleuve d'Afrique envahies de bancs de sable et de plantes aquatiques. Traqués par la misère, les paysans fuient quant à eux les campagnes. Ceux qui y restent s'exposent à des conflits meurtriers autour de lopins de terre ou de points d'eau. La population contribue aussi à la désertification en coupant les arbres, essentiellement pour la cuisine, faute d'électrification. D'après une étude menée depuis 1976 par Albert Wright, expert en énergie et ancien ministre, le pays ne dispose que de 160 ans de réserves forestières à cause de ce déboisement sauvage. Quelque 200 000 tonnes de bois sont actuellement consommées chaque année par les ménages nigériens, soit l'équivalent de 100 000 hectares de forêt détruits, alerte le ministère de l'Environnement. Le désert s'étend alors inéluctablement en engloutissant les rares terres fertiles, constate un expert onusien. Seul 1% du territoire reçoit en moyenne 600 millimètres de précipitations durant l'unique saison des pluies de trois à quatre mois. Le reste du pays se contente d'à peine 150 à 300 millimètres.
Tout a disparu Les quantités de pluies baissent, le couvert végétal régresse et des espèces animales s'éteignent, explique Manou Bagué, dirigeant du Syndicat national des agents de l'agriculture du Niger (SNAN). Le Niger produisait des figues et des anacardes (cajou), mais tout a disparu, pointe le professeur Wright. Plus dramatique, le pays ne peut plus nourrir sa population. La production agricole ne croit que de 2% par an alors que la population explose à un rythme de 3,9% par an, relève M. Bagué. Elle pourrait atteindre les 50 millions d'habitants en 2050, selon les autorités, le Niger ayant le plus fort taux de fécondité au monde (7,6 enfants par femme). La malnutrition aiguë frappe 13,3% des enfants de 0 à 5 ans, nettement au-dessus du seuil critique de 10% fixé par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), déplorent les ONG.