Un juge de la plus haute juridiction brésilienne a suspendu mardi soir la Commission spéciale parlementaire chargée d'examiner la demande de destitution de la présidente de gauche Dilma Rousseff, en raison de possibles irrégularités lors de son élection quelques heures plus tôt. Le juge du Tribunal suprême fédéral (STF) Luiz Edson Fachin, a fait droit provisoirement à un recours présenté par le PCdoB (parti communiste), allié du camp présidentiel, ont indiqué l'avocat de ce parti et un député du Parti des Travailleurs (PT, gauche) au pouvoir. La Commission spéciale est suspendue jusqu'au mardi 16 décembre, le temps que l'ensemble des juges du STF, gardien de la Constitution, ne se prononcent sur la validité de l'élection de la Commission spéciale. Le juge Fachin a demandé au président du Congrès des députés, Eduardo Cunha, ennemi juré de Dilma Rousseff, de fournir des informations dans un délai de 24 heures sur la procédure suivie pour l'élection de la Commission spéciale. Quelques heures plus tôt, les députés de l'opposition de droite alliés à des dissidents de la majorité gouvernementale avait infligé une première défaite à Dilma Rousseff en remportant une majorité de sièges au sein de cette commission. Les anti-Rousseff ont obtenu une majorité de 39 députés sur un total de 65, par 272 voix contre 199. Mais la décision d'Eduardo Cunha d'imposer un vote à bulletin secrets a provoqué une révolte des députés de la majorité et de vives altercations verbales. Deux urnes électroniques ont même été cassées pendant cette séance plus qu'houleuse. Eduardo Cunha, qui avait déclenché la semaine dernière la procédure de destitution réclamée par l'opposition de droite, est membre du grand parti centriste PMDB, poids lourd de la coalition au pouvoir. Mais ce député évangélique ultra-conservateur incarne l'aile dissidente de ce parti qui milite activement pour la destitution de Dilma Rousseff. Personnage extrêmement controversé, M. Cunha est soupçonné par la justice de corruption et blanchiment d'argent dans le cadre du vaste scandale de corruption autour du groupe pétrolier étatique Petrobras. Il fait l'objet d'une procédure disciplinaire devant la chambre basse du parlement, qui pourrait lui coûter son poste et sa précieuse immunité parlementaire.
Tentative de coup d'Etat Dilma Rousseff dénonce une tentative de coup d'Etat institutionnel émanant d'une opposition revancharde n'ayant pas digéré sa défaite électorale en 2014. Elle fait valoir que les tours de passe-passe budgétaire dont on l'accuse ont été pratiqués par d'anciens gouvernements brésiliens sans que personne n'y trouve à redire, et qu'elle n'est soupçonnée d'aucune malversation à titre personnel. Sur le papier, Mme Rousseff n'aura besoin que du vote d'un tiers des 513 députés (172 voix) pour faire avorter la demande de destitution et éviter une mise en accusation ultérieure devant le Sénat. Mais elle a besoin pour cela de rassembler un maximum de votes de députés du Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), l'arbitre national des majorités parlementaires depuis deux décennies, qui est fortement divisé en courants pro et anti-destitution. Dilma Rousseff espérait pouvoir compter sur le soutien du président du PMDB, son vice-président Michel Temer, qui était étrangement silencieux depuis le lancement de la procédure de destitution. La publication par la presse tard lundi soir d'une lettre personnelle pleine d'amertume de Michel Temer à Dilma Rousseff a ruiné ces espérances. M. Temer s'y plaint crûment d'avoir été traité en vice-président décoratif, et de la défiance de la présidente et du Parti des travailleurs (PT gauche) au pouvoir envers lui et sa propre formation. Or en cas d'éviction de Rousseff, c'est M. Temer qui deviendrait président par intérim jusqu'aux élections de 2018. Certes, cet homme d'appareil discret et courtois de 75 ans n'a pas officiellement demandé le divorce, mais cela y ressemble furieusement, avec le risque fatal pour la présidente que tout le PMDB ne finisse par abandonner le navire derrière son chef. Je déplore que Michel Temer rende un aussi mauvais service au Brésil, a déclaré le chef du parti présidentiel à l'Assemblée, Silvio Costa. Cette crise alarme les marchés qui espèrent que la crise politique sera réglée au plus vite d'une manière ou d'une autre, pour que le pays puisse sortir de l'impasse.
Climat de Guerre Andre Perfeito, économiste chef à Gradual Investimentos, estime que dans ce climat de guerre, le processus de destitution va traîner plus longtemps qu'on ne le pensait. A travers la lettre divulguée hier par le vice-président Michel Temer, nous voyons clairement qu'il n'y a plus beaucoup de place pour la coopération avec Mme Rousseff, a-t-il dit. C'est une lettre très amère d'un homme politique traditionnel, habituellement discret et conciliateur, contre le comportement d'une présidente qui ne suit pas les règles de la politique, estime l'analyste politique Rubens Figueiredo de l'Université de Sao Paulo (USP). Pour écrire ce contenu et sur ce ton, avec toute la responsabilité qui revient au PMDB, c'est que la situation était devenue insupportable. Je vois cette lettre comme une prise de distance, sinon une rupture, ajoute-t-il.