Le directeur de l'Organisation mondiale du commerce a averti vendredi les Etats que l'imposition de nouvelles barrières douanières mettrait "en péril l'économie mondiale", alors que Pékin et Washington poursuivent leur bras de fer commercial. "La déstabilisation des flux commerciaux mettra en péril l'économie mondiale à un moment où la reprise économique, bien que fragile, est de plus en plus évidente dans le monde entier", a affirmé Roberto Azevedo, dans une déclaration écrite, sans toutefois viser un ou des pays. "Je lance un nouvel appel à la retenue et à un dialogue urgent comme étant la meilleure voie à suivre pour résoudre ces problèmes", a-t-il ajouté. La décision unilatérale le 8 mars des Etats-Unis d'imposer des taxes de 25% sur les importations d'acier et de 10% sur celles d'aluminium a relancé le spectre de la guerre commerciale. Le risque d'un conflit douanier s'est amplifié cette semaine, alors que Washington envisage de taxer certaines importations chinoises à hauteur de 60 milliards de dollars, tandis que Pékin a répliqué en menaçant le porc et les fruits américains. Washington a par ailleurs annoncé vendredi le lancement d'une procédure à l'OMC contre la Chine à laquelle ils reprochent de "porter atteinte au droit de la propriété intellectuelle de ses entreprises". Dans sa déclaration écrite, le directeur général de l'OMC a indiqué que durant une réunion vendredi du Conseil du commerce des marchandises de l'OMC, les 164 membres de l'organisation ont abordé "bon nombre des questions commerciales les plus urgentes du moment, y compris un certain nombre de tensions spécifiques qui sont apparues entre les différents membres au cours des dernières semaines". "J'encourage les membres (de l'OMC) à continuer de travailler dans le cadre des nombreux forums et mécanismes de l'OMC afin de répondre à leurs préoccupations et d'explorer des solutions potentielles", a-t-il affirmé. Pour le Brésilien Roberto Azevedo, "les mesures prises en dehors de ces processus collectifs augmentent considérablement le risque d'escalade vers une confrontation qui n'aura pas de gagnants et qui pourrait rapidement conduire à un système commercial moins stable". A l'origine des tensions commerciales entre les deux premières puissances mondiales: Washington déplore un déficit commercial colossal avec Pékin (375,2 milliards de dollars en 2017 selon les douanes chinoises). Au-delà du duel entre Washington et Pékin, les Européens, eux aussi très inquiets du risque d'une guerre commerciale généralisée, ont fait savoir qu'ils ne désarmaient pas. L'Union européenne "se réserve" toujours le droit de répliquer à d'éventuelles taxes américaines sur l'acier et l'aluminium si elle n'en est pas exemptée de manière "permanente", ont averti vendredi dans une déclaration conjointe les dirigeants européens, réunis en sommet à Bruxelles.
Pékin et Washington échangent les premières salves La Chine a tiré ses premières salves contre les Etats-Unis, menaçant de droits de douane plus d'une centaine de produits américains, quelques heures après l'ouverture des hostilités commerciales par Donald Trump face à la deuxième économie mondiale. Le spectre de la guerre commerciale entre les deux géants du Pacifique a fait trébucher les places boursières mondiales, Shanghai cédant plus de 3% à la clôture, et Tokyo plus de 4,5%. Jeudi, Wall Street avait déjà perdu près de 3%. "La Chine n'a en aucun cas peur d'une guerre commerciale", a averti le ministère chinois du Commerce. "Si une guerre commerciale devait être lancée par les Etats-Unis, la Chine se battrait jusqu'au bout pour défendre ses propres et légitimes intérêts par tous les moyens nécessaires", avait menacé dès jeudi soir l'ambassade de Chine à Washington. Le président américain a déclenché jeudi son offensive commerciale maintes fois annoncée contre la Chine, qui s'apparente toutefois davantage à un avertissement qu'à des mesures immédiates pour répondre aux "pratiques déloyales" du géant asiatique. "L'ère de la reddition économique a cessé", s'est félicité son vice-président, Mike Pence. Donald Trump a signé "un memorandum ciblant l'agression économique de la Chine" et évoqué des mesures punitives contre des importations chinoises d'un montant pouvant atteindre "60 milliards de dollars" pour mettre un terme à ce qu'il affirme être le vol de propriété intellectuelle américaine par les Chinois. Plus tôt, ses conseillers économiques avaient parlé de "quelque 50 milliards". L'administration américaine a désormais 15 jours pour publier une liste de produits qui seront frappés de sanctions.
Porc et vin dans le viseur L'administration américaine n'a pas été d'une clarté absolue sur la nature exacte des montants évoqués: s'agit-il de la valeur des importations qui seront taxées ou bien du montant des taxes récoltées sur ces importations? Sans attendre, la Chine a en tout cas dévoilé une liste de 128 produits, ou lignes tarifaires, sur lesquelles elle appliquera des droits de douane de 15% ou 25% en cas d'échec de négociations avec Washington. Ces mesures de rétorsion semblent toutefois modérées: les produits visés correspondaient à 3 milliards de dollars d'importations en Chine l'an dernier, soit à peine 2% du total des exportations américaines vers ce pays (154 milliards, selon les douanes chinoises). Parmi les produits qui seraient taxés à 15%: fruits frais, vin, éthanol, ou ginseng, mais aussi tubes d'acier sans soudure. La viande de porc et l'aluminium recyclé seraient eux frappés à hauteur de 25%. La liste ne comprend cependant pas le soja. Si ce produit devait être visé, les conséquences pourraient être graves pour les agriculteurs américains, particulièrement dans les Etats ayant soutenu Donald Trump lors de l'élection présidentielle de 2016. Ces représailles "sont relativement douces", observe l'économiste Betty Wang, de la banque ANZ, estimant que Pékin cherche par tous les moyens la voie du dialogue.
Apaisement avec l'UE Ces mesures sont annoncées en réponse aux droits de douane déjà dévoilés par Washington sur les importations américaines d'aluminium et d'acier, qui entrent en vigueur vendredi. Dans ce dossier, l'administration Trump a joué la carte de l'apaisement avec plusieurs de ses principaux alliés, dont l'Union européenne, en annonçant la suspension de ces taxes jusqu'au 1er mai. La Chine, quoique premier producteur mondial, ne fournit que 2% de l'acier importé aux Etats-Unis, et moins de 10% de l'aluminium. Mais l'administration Trump souligne que la principale cible de ces mesures est la Chine, qui est depuis longtemps en surproduction. Les Etats-Unis et la Chine sont aujourd'hui des partenaires commerciaux étroitement liés. Mais Washington déplore un déficit commercial colossal avec Pékin (375,2 milliards de dollars en 2017 selon les douanes chinoises). Donald Trump a répété avoir demandé aux plus hauts représentants chinois "de réduire, immédiatement, ce déficit de 100 milliards de dollars". "Le mot-clé est réciproque", a-t-il insisté tout en précisant que la Chine était un pays "ami".
'Prélude' à la négociation Les nouvelles sanctions sont avant tout un "prélude à une série de négociations", a assuré son ministre du Commerce, Wilbur Ross. Le représentant américain pour le Commerce, Robert Lighthizer, a souligné que ces mesures visaient en particulier à préserver le secteur des hautes technologies, jugé "la partie la plus essentielle" de l'économie américaine. Washington s'inquiète en particulier du système de coentreprises imposé par Pékin aux entreprises américaines: en contrepartie d'un accès au marché chinois, ces firmes sont obligées de partager avec des partenaires locaux une partie de leur savoir-faire technologique. Les deux pays se sont dits prêts à déclencher des procédures devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) afin de régler leurs différends. L'offensive américaine inquiétait en tout cas la Chambre de commerce américaine à Shanghai. "Nous saluons la détermination du gouvernement américain à affronter les pratiques commerciales inéquitables de la Chine mais nous l'appelons à ne pas répondre en priorité par des droits de douane", a-t-elle plaidé.
Poursuivre les pourparlers Le principal responsable économique chinois, Liu He, s'est entretenu au téléphone avec le secrétaire américain au Trésor, Steven Mnuchin, et "a accepté de continuer à communiquer" sur les questions commerciales, a annoncé samedi l'agence chinoise Xinhua. L'entretien téléphonique révélé par Xinhua (Chine nouvelle), l'agence de presse officielle, intervient alors que les tensions sont élevées entre Pékin et Washington, après que le président américain Donald Trump a autorisé l'imposition de taxes sur des importations chinoises d'une valeur pouvant atteindre 60 milliards de dollars. Ces taxes à venir ciblent des secteurs dans lesquels Washington accuse la Chine d'avoir procédé à des vols de technologies américaines. Liu He est un responsable du Parti communiste chinois formé à l'université de Harvard, aux Etats-Unis, et qui a été promu lundi au rang de vice-Premier ministre. Il devrait désormais superviser les secteurs financiers et économiques de la Chine. Lors de l'entretien téléphonique de samedi, il a accusé une enquête mené par les Etats-Unis de violer les règles du commerce international et a déclaré à M. Mnuchin que Pékin était prêt à se défendre, a rapporté Xinhua. En août, Washington a lancé officiellement une enquête sur les pratiques de la Chine dans le domaine de la propriété intellectuelle et sur le transfert forcé de technologies américaines. L'enquête a été déclenchée en vertu de l'article 301 de la loi américaine sur le commerce, qui porte sur les questions de propriété intellectuelle. "La Chine est prête à défendre ses intérêts nationaux et espère que les deux parties resteront rationnelles et travailleront ensemble pour sauvegarder la stabilité générale des relations économiques et commerciales entre la Chine et les Etats-Unis", a déclaré M. Liu selon l'agence. La Chine a averti vendredi Washington qu'elle n'avait "pas peur d'une guerre commerciale" et a menacé d'imposer des taxes sur des importations américaines d'une valeur de 3 milliards de dollars en représailles aux mesures annoncées par M. Trump. Elle a dévoilé une liste de produits, des fruits frais à la viande de porc, qui pourraient être frappés de taxes allant jusqu'à 25%. Mais elle s'est toutefois dite prête à négocier un accord.
L'UE toujours prête à répliquer L'UE "se réserve" toujours le droit de répliquer à d'éventuelles taxes américaines sur l'acier et l'aluminium si elle n'en est pas exemptée de manière "permanente", ont averti les dirigeants européens, réunis en sommet à Bruxelles. Le président américain Donald Trump a autorisé dans la nuit de jeudi à vendredi la suspension jusqu'au 1er mai des taxes de 25% sur l'acier et de 10% sur l'aluminium de plusieurs de leurs partenaires importants, dont l'Union européenne. Les 28 chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE "prennent note" de cette exemption temporaire dans leurs conclusions de vendredi matin, mais ils réclament que celle-ci soit "permanente". L'UE "se réserve le droit, en accord avec l'Organisation mondiale du commerce (OMC), de répondre aux mesures américaines de manière appropriée et proportionnée", ajoutent-ils. La commissaire européenne au Commerce Cecilia Malmström a expliqué que "les options" de l'UE pour préserver ses droits restaient "ouvertes" Parmi elles, Bruxelles a préparé une liste de produits américains emblématiques, comme le beurre de cacahuète ou les motos, qui pourraient à leur tour être visés par des taxes si celles envisagées par les Etats-Unis entraient un jour en application. "Les discussions entre des alliés et des partenaires ne devraient pas faire l'objet de dates limite artificielles", a-t-elle tweeté. "Ça donne quand même l'impression qu'il y a, chez le chef des Etats-Unis, une volonté de négocier avec l'Union européenne en mettant un revolver sur notre tempe", a dénoncé le Premier ministre belge Charles Michel. "Ce n'est pas une manière très loyale de négocier quand on est des partenaires aussi solides sur le plan historique", a déploré M. Michel. "Le diable est dans les détails: cette décision est temporaire, il va falloir continuer les échanges avec Washington et simultanément il faut se préparer à toutes les hypothèses", a pour sa part souligné le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, sur la radio France Inter. "Donald Trump a montré qu'il était capable de tous les revirements. Il faut être prêt à tous les scénarios au meilleur comme au pire", a-t-il prévenu. Le porte-parole du gouvernement français Benjamin Griveaux a considéré qu'il était "heureux que le président Trump ait changé d'avis". "Tous ceux qui prennent des décisions de manière unilatérale s'exposent à des représailles, des contre-mesures", a-t-il commenté, soulignant que l'Europe avait "clairement exprimé son intention de riposter et de rentrer dans une guerre commerciale".