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Au Sahel : La fin du djihadisme passera par la lutte contre la pauvreté
Publié dans Le Maghreb le 09 - 07 - 2019

Déjà confrontés à des problèmes économiques et environnementaux, plusieurs pays du Sahel sont en proie à des violences impliquant divers groupes armés, dont des djihadistes. Ces conflits ayant pour terreau les inégalités, la réponse militaire seule ne suffit pas à les résoudre, a affirmé à Sputnik un responsable d'Oxfam dans la région.

"Il est clair que les inégalités dans le Sahel, et notamment dans les pays qui sont le plus affectés par la crise sécuritaire - le Mali, le Burkina Faso et le Niger -, d'une façon ou d'une autre, sont les causes profondes de ce que nous vivons aujourd'hui dans ces pays. Cela a entraîné une insécurité grandissante dans la région, on ne peut pas le contester", cependant, les opérations militaires déclenchées dans ces pays en réaction à cette crise "ne sont pas les seules réponses" à y apporter, a déclaré à Sputnik Adama Coulibaly, directeur régional de l'ONG humanitaire Oxfam en Afrique de l'Ouest, basé à Dakar.
Ce responsable humanitaire s'est entretenu avec Sputnik à Dakar peu après le lancement, le 3 juillet 2019, d'un rapport d'Oxfam intitulé "Sahel: lutter contre les inégalités pour répondre aux défis du développement et de la sécurité". Dans ce document de 56 pages, l'ONG a concentré sa recherche sur six pays de la région: le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal et le Tchad.
"La situation sécuritaire et humanitaire se dégrade, malgré les engagements militaires massifs de la communauté internationale et des États comme le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad qui sont réunis depuis 2014 au sein du G5 Sahel [force conjointe de ces pays destinée à lutter contre le terrorisme et les trafics, ndlr]", peut-on lire dans le rapport. Selon la même source se fondant sur des chiffres de l'ONU, environ "5,1 millions de personnes ont besoin d'assistance humanitaire au Niger, au Mali et au Burkina Faso" en 2019.
Adama Coulibaly a rappelé qu'en plus du G5 Sahel, d'autres acteurs sont présents sur le terrain de la lutte contre le terrorisme au Sahel, en plus des armées nationales. Il a cité la Mission de l'ONU au Mali (MINUSMA), force déployée depuis 2013 à la suite d'une intervention militaire internationale déclenchée à l'initiative de la France, l'opération Serval, pour officiellement stopper la progression vers Bamako de groupes djihadistes alliés à des rebelles touareg qui ont contrôlé pendant près de dix mois le nord du Mali. Il a aussi mentionné l'opération Barkhane, lancée en août 2014 par la France, qui a pris le relais de Serval et concerne toute la région du Sahel. En plus des attaques sanglantes revendiquées par des groupes djihadistes ou attribuées à eux, le Mali est en proie ces dernières années à des violences entre communautés dans sa partie centrale, la région de Mopti, où sont également actif des milices organisées, des groupes d'autodéfense de circonstance, des bandes de voleurs de bétail et divers trafiquants. Depuis le début de l'année 2019, plusieurs centaines de civils y ont péri dans des massacres dont les auteurs ne sont pas clairement identifiés.
Dans les pays les plus affectés par les activités des groupes djihadistes, particulièrement le Mali, le Burkina Faso et le Niger, a ajouté Adama Coulibaly à Sputnik, "tout le monde craint pour sa vie. Donc, nous comprenons tout à fait que ces États, à travers les armées nationales, le G5 Sahel, la MINUSMA ou la force Barkhane, mettent un accent particulier sur la sécurité. Mais nous disons que ça doit se faire en même temps que les réponses à apporter aux défis réels de développement".
Ce responsable humanitaire, qui s'est dit "triplement concerné parce qu'(il est) à la fois malien, sahélien et africain", déplore que ces pays, déjà éprouvés par des difficultés économiques et sociales, se voient contraints d'augmenter les budgets de leurs armées au lieu d'investir dans des secteurs sociaux.
Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, "les dépenses militaires sont en train d'exploser. Elles ont quadruplé pour le Mali pour les cinq dernières années, elles ont doublé pour le Burkina Faso et le Niger les cinq dernières années. Quand c'est comme ça, le budget n'étant pas élastique, il faut faire des ajustements et ces ajustements se font au détriment des secteurs sociaux comme l'éducation, la santé. Nous disons, en tant qu' Oxfam, avec nos différents partenaires: oui, la sécurité est nécessaire mais, en relevant le défi sécuritaire, il faut aussi relever les défis de développement. Et les causes profondes de ces défis de développement, ce sont les inégalités que nous voyons dans ces différents pays", a encore indiqué Adama Coulibaly à Sputnik.
Dans son rapport, Oxfam renvoie à des statistiques de l'Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm (SIPRI, Stockholm International Peace Research Institute) rapportées en mai 2019 par Abdoul Salam Bello, chercheur au Centre Africain de l'Atlantic Council à Washington.
"Selon le SIPRI, entre 2013 et 2018, les dépenses militaires du Mali ont presque quadruplé, passant de 132 à 495 millions de dollars [de près de 117 millions d'euros à plus de 438 millions d'euros / de près de 76,7 à plus de 287,5 milliards de francs CFA au taux de change du 3 juillet 2019], celles du Niger ont été multipliées par 2,5, passant de 91,6 à 230 millions de dollars [plus de 81 à près de 204 millions d'euros / 53,2 milliards à près de 134 milliards de francs CFA, ndlr], tandis que celles du Burkina Faso ont doublé, passant de 142 à 312 millions de dollars [de près de 126 à près de 276,3 millions d'euros / de près de 82,5 à plus de 181,2 milliards de francs CFA, ndlr]. En Mauritanie, elles représentaient l'équivalent de 4,1 % du PIB [produit intérieur brut] en 2016", écrit Abdoul Salam Bello dans une tribune publiée par l'hebdomadaire panafricain Jeune Afrique, soulignant que ces choix budgétaires avaient "des effets sur les investissements dits sociaux". Exemple, a-t-il indiqué, "en 2018, le Niger a consacré 17 % de son budget à la sécurité et "seulement" 11 % à la santé".
Papa Ismaïla Dieng, activiste sénégalais, est membre des Africtivistes, "une organisation panafricaine qui travaille sur les questions de droits humains, de liberté d'expression, de démocratie, de bonne gouvernance" notamment. Il était présent au lancement de ce rapport d'Oxfam qui, selon lui, "met en lumière des choses qu'on ne liait pas forcément" au sein du grand public: les inégalités, le développement et la question sécuritaire.
"On a toujours pensé que la question sécuritaire était venue d'agresseurs externes. Aujourd'hui, on se rend compte qu'on a semé les germes pour que ces agresseurs externes trouvent un terreau fertile parce qu'il y a ces questions d'inégalités. Dans nos pays, les gouvernements n'investissent pas du tout ou plus dans une région plutôt que d'autres, ce qui crée des frustrations sur le plan local. Et ces frustrations font qu'à un moment, les gens n'ont pas d'autres moyens de s'exprimer que par les solutions extrêmes", a indiqué à Sputnik Papa Ismaïla Dieng, citant les manifestations violentes, les rébellions ou le fait d'aller grossir les rangs de groupes terroristes.
Mais cet activiste, qui est journaliste de formation, a particulièrement été interpellé par le constat, établi par l'ONG, de "la réduction de l'espace civique" dans beaucoup de pays du Sahel, certains prenant prétexte de la lutte contre le terrorisme.
"Moins les gens pourront s'exprimer oralement, verbalement, moins ils pourront exprimer leurs frustrations et leur indignation, plus ils seront tentés d'avoir recours à ces solutions extrêmes. S'ils ne peuvent pas s'exprimer par la démocratie, donc la liberté d'expression ou le vote démocratique normal, ils le feront autrement", a estimé Papa Ismaïla Dieng.
Pour lui, les dirigeants sahéliens tentés par les restrictions des libertés d'expression, de manifestation ou d'accès à Internet gagneraient à laisser leurs citoyens s'exprimer, afin de désamorcer de futures tensions sociales avec violences mais aussi favoriser une meilleure gouvernance.
"Dans beaucoup de pays, les crises sécuritaires, de rébellion et autres, sont parties de questions politiques. Laisser s'exprimer les citoyens permet de savoir quelles sont leurs aspirations et, ainsi, d'arriver à anticiper certaines choses (...). Il vaut mieux les laisser s'exprimer et les écouter surtout, et ainsi, pouvoir trouver des solutions ensemble, gouvernements et populations", a insisté l'activiste.
Dans son rapport, Oxfam formule une série de recommandations, en invitant les États et organisations de la région ainsi que leurs partenaires et la communauté internationale à "repenser leurs approches" et privilégier "la lutte contre les inégalités". Elle leur suggère notamment de mettre en place des "politiques fiscales progressives" et justes"; d'investir dans l'éducation, la santé, la protection sociale, d'adopter "des politiques agricoles et d'élevage justes et équitables". Elle les exhorte aussi à se doter de "politiques rapides d'adaptation aux changements climatiques", de protéger l'espace civique et permettre à tous les citoyens de participer "activement à la vie publique et politique", entre autres recommandations.


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