Lire ce second roman de Rachid Mokhtari c'est se perdre dans les profondeurs du pays kabyle. Dans les méandres de l'âme complexe des villages haut perchés, lieux de combats immémoriaux. Tout y est. Lire ce second roman de Rachid Mokhtari c'est se perdre dans les profondeurs du pays kabyle. Dans les méandres de l'âme complexe des villages haut perchés, lieux de combats immémoriaux. Tout y est. L‘ambiance bucolique est décrite avec une plume nostalgique qui restitue un regard d‘enfant sur la luminosité des monts et rivières. Le roman fleure bon les rivages méditerranéens de vie et d‘ivresse. Et puis, c‘est soudain la Méditerranée noire, celle des tragédies et des coups fourrés, des maffias et vendettas. L‘Afrique aussi, avec l‘imaginaire débridé des contes. C‘est l‘Algérie tout court, celle des lendemains douteux du prestigieux Novembre. L‘Algérie des justes piétinés et des idéaux trahis mais encore féconde. Allégorique, le roman puise à pleines mains dans l‘esprit des fables que l‘on conte aux nuits d‘hiver. Pétri d‘humour, il restitue cette verve des villes et villages qui se gaussent de tout et de tous. D‘une actualité quasi journalistique, il met en scène les mouvements anti-hogra des jeunes qui embrasent sporadiquement jusqu‘aux régions les plus reculés du pays. Des jeunes et aussi de vieux, très vieux militants, s‘y donnent la main pour conjurer la malédiction qui semble s‘abattre sur un village au nom sonore d‘Imaqar (dérivé du mot grenouilles). Dans un endroit vert et humide de la montagne, les villageois ont bâti leur lieu de vie en en délogeant les premiers habitants : les crapauds, grenouilles et autres batraciens qui y pullulaient. Un jour, Anar n‘Boudrar la place centrale du village est en émoi. Dans un tumulte de galopades et de cris d‘enfants une ambulance venue de la grande ville, livre un cercueil plombé qui contient un mort du nom mystérieux de Gérard Saïd. C‘est «Le Vieux», un prestigieux personnage du village qui en accuse réception. Présumé né en 1902 à Imaqar et décédé en 1990 à Paris, le défunt inconnu devient très vite le centre des préoccupations de tous. Les membres de l‘assemblée n‘autorise ni son inhumation au cimetière ancestral ni sa mise à l‘abri des intempéries dans une petite pièce de la djemaâ. Il est entreposé près du dépotoir du village. Mais Le Vieux, célèbre érudit qui a fui la grande ville pour finir sa vie dans la sérénité des champs le soustrait à l‘opprobre des ordures pour l‘abriter dans une hutte située sur son bout de terre. Accompagné d‘un autre personnage solitaire, «Le chauffeur de la camionnette», et d‘un jeune journaliste, Le Vieux remue ciel et terre pour découvrir qui est l‘énigmatique macchabée dont il a hérité. Après bien des péripéties, l‘identité du mort est établie, il s‘agit bien d‘un fils d‘Imaqar. Commencent alors de lourds complots pilotés par le président de l‘APC d‘une part, et les autorités de wilaya, d‘autre part, pour s‘approprier l‘immense fortune du mort en lui établissant de fausses filiations. Entre-temps, la malédiction suit son cours et le village doit faire face à la revanche des batraciens qui menacent de détruire le village à la manière d‘une éruption volcanique. Le vieux, aidé par ses amis sort le village de cette impasse en traçant une véritable stratégie de combat contre les immondes bestioles à pustules. Ayant gagné la confiance des villageois, il a tout leur soutien dans ses investigations pour rétablir l‘identité du mort. Ce roman émouvant recèle des pages désopilantes qui font rire à gorge déployée. Notamment lorsque les vieux héros du mouvement de libération nationale décident de faire une marche dans la capitale pensant ne pas être réprimés. Quelle n‘est pas leur déconfiture lorsque la matraque anti-émeutes s‘abat sans états d‘âme sur leurs vieux os ! C‘est en ramassant leurs dentiers brisés et leurs carcasses endolories qu‘ils se jurent de ne plus jamais recommencer cet acte de bravoure. Les obsèques de Gérard Saïd qui clôturent le roman constituent un moment de grande intensité émotionnelle. La plus vieille tombe du cimetière est rouverte pour l‘accueillir. Gérard est enterré au milieu des psaumes millénaires et de ses ancêtres des Aït Lakhart (la tribu de l‘au-delà) enveloppés de leurs burnous immaculés. Plus tard, le Vieux surprend le chauffeur de la camionnette en larmes sur la tombe de défunt. «Je n‘ai pas connu mon père. Il est tombé au maquis quand ma mère m‘allaitait. Je n‘ai de lui ni odeur, ni parole, ni nom. Où est-il ? Ma grand-mère m‘a dit qu‘il était parti me rapporter des oiseaux du djebel Ouaq Ouaq pendant que les glands éclataient dans le brasero afin que nous puissions les manger chauds avant de dormir. …» Le Vieux le prend alors par la main comme pour une tardive mais nécessaire adoption. Rachid Mokhtari qui a signé six essais artistiques et un roman expérimente avec Imaqar une synthèse de différents genres et s‘en sort honorablement. Le fantastique des fables y avoisine la rigueur des articles de presse. Différentes époques y sont également abordées, faisant faire au lecteur un va-et-vient incessant entre le passé colonial et le présent des servitudes. La lutte des ancêtres, celles des aïeux et les mouvement émeutiers de la jeunesse d‘aujourd‘hui. Le tout baigne dans une fraîcheur et une luminosité qui rendent l‘œuvre agréable à lire. Le roman pèche cependant, par une inégalité dans la qualité de l‘écriture de ses différentes parties. Un certain manque de finition déjà décelable pour ‘‘Elégie du froid‘‘, son roman précédent publié en 2004. Quelques faiblesses que le lecteur ne peut que souhaiter voir dépassées lors d‘éventuelles œuvres à venir. «Imaqar» de Rachid Mokhtari Alger, Chihab éditions, 2007, 239 pages ; prix public : 450 dinars. L‘ambiance bucolique est décrite avec une plume nostalgique qui restitue un regard d‘enfant sur la luminosité des monts et rivières. Le roman fleure bon les rivages méditerranéens de vie et d‘ivresse. Et puis, c‘est soudain la Méditerranée noire, celle des tragédies et des coups fourrés, des maffias et vendettas. L‘Afrique aussi, avec l‘imaginaire débridé des contes. C‘est l‘Algérie tout court, celle des lendemains douteux du prestigieux Novembre. L‘Algérie des justes piétinés et des idéaux trahis mais encore féconde. Allégorique, le roman puise à pleines mains dans l‘esprit des fables que l‘on conte aux nuits d‘hiver. Pétri d‘humour, il restitue cette verve des villes et villages qui se gaussent de tout et de tous. D‘une actualité quasi journalistique, il met en scène les mouvements anti-hogra des jeunes qui embrasent sporadiquement jusqu‘aux régions les plus reculés du pays. Des jeunes et aussi de vieux, très vieux militants, s‘y donnent la main pour conjurer la malédiction qui semble s‘abattre sur un village au nom sonore d‘Imaqar (dérivé du mot grenouilles). Dans un endroit vert et humide de la montagne, les villageois ont bâti leur lieu de vie en en délogeant les premiers habitants : les crapauds, grenouilles et autres batraciens qui y pullulaient. Un jour, Anar n‘Boudrar la place centrale du village est en émoi. Dans un tumulte de galopades et de cris d‘enfants une ambulance venue de la grande ville, livre un cercueil plombé qui contient un mort du nom mystérieux de Gérard Saïd. C‘est «Le Vieux», un prestigieux personnage du village qui en accuse réception. Présumé né en 1902 à Imaqar et décédé en 1990 à Paris, le défunt inconnu devient très vite le centre des préoccupations de tous. Les membres de l‘assemblée n‘autorise ni son inhumation au cimetière ancestral ni sa mise à l‘abri des intempéries dans une petite pièce de la djemaâ. Il est entreposé près du dépotoir du village. Mais Le Vieux, célèbre érudit qui a fui la grande ville pour finir sa vie dans la sérénité des champs le soustrait à l‘opprobre des ordures pour l‘abriter dans une hutte située sur son bout de terre. Accompagné d‘un autre personnage solitaire, «Le chauffeur de la camionnette», et d‘un jeune journaliste, Le Vieux remue ciel et terre pour découvrir qui est l‘énigmatique macchabée dont il a hérité. Après bien des péripéties, l‘identité du mort est établie, il s‘agit bien d‘un fils d‘Imaqar. Commencent alors de lourds complots pilotés par le président de l‘APC d‘une part, et les autorités de wilaya, d‘autre part, pour s‘approprier l‘immense fortune du mort en lui établissant de fausses filiations. Entre-temps, la malédiction suit son cours et le village doit faire face à la revanche des batraciens qui menacent de détruire le village à la manière d‘une éruption volcanique. Le vieux, aidé par ses amis sort le village de cette impasse en traçant une véritable stratégie de combat contre les immondes bestioles à pustules. Ayant gagné la confiance des villageois, il a tout leur soutien dans ses investigations pour rétablir l‘identité du mort. Ce roman émouvant recèle des pages désopilantes qui font rire à gorge déployée. Notamment lorsque les vieux héros du mouvement de libération nationale décident de faire une marche dans la capitale pensant ne pas être réprimés. Quelle n‘est pas leur déconfiture lorsque la matraque anti-émeutes s‘abat sans états d‘âme sur leurs vieux os ! C‘est en ramassant leurs dentiers brisés et leurs carcasses endolories qu‘ils se jurent de ne plus jamais recommencer cet acte de bravoure. Les obsèques de Gérard Saïd qui clôturent le roman constituent un moment de grande intensité émotionnelle. La plus vieille tombe du cimetière est rouverte pour l‘accueillir. Gérard est enterré au milieu des psaumes millénaires et de ses ancêtres des Aït Lakhart (la tribu de l‘au-delà) enveloppés de leurs burnous immaculés. Plus tard, le Vieux surprend le chauffeur de la camionnette en larmes sur la tombe de défunt. «Je n‘ai pas connu mon père. Il est tombé au maquis quand ma mère m‘allaitait. Je n‘ai de lui ni odeur, ni parole, ni nom. Où est-il ? Ma grand-mère m‘a dit qu‘il était parti me rapporter des oiseaux du djebel Ouaq Ouaq pendant que les glands éclataient dans le brasero afin que nous puissions les manger chauds avant de dormir. …» Le Vieux le prend alors par la main comme pour une tardive mais nécessaire adoption. Rachid Mokhtari qui a signé six essais artistiques et un roman expérimente avec Imaqar une synthèse de différents genres et s‘en sort honorablement. Le fantastique des fables y avoisine la rigueur des articles de presse. Différentes époques y sont également abordées, faisant faire au lecteur un va-et-vient incessant entre le passé colonial et le présent des servitudes. La lutte des ancêtres, celles des aïeux et les mouvement émeutiers de la jeunesse d‘aujourd‘hui. Le tout baigne dans une fraîcheur et une luminosité qui rendent l‘œuvre agréable à lire. Le roman pèche cependant, par une inégalité dans la qualité de l‘écriture de ses différentes parties. Un certain manque de finition déjà décelable pour ‘‘Elégie du froid‘‘, son roman précédent publié en 2004. Quelques faiblesses que le lecteur ne peut que souhaiter voir dépassées lors d‘éventuelles œuvres à venir. «Imaqar» de Rachid Mokhtari Alger, Chihab éditions, 2007, 239 pages ; prix public : 450 dinars.