La terre a reconquis un statut qu'elle n'aurait jamais dû perdre et les hommes, rappelés par devoir moral ou par la plate nécessité, semblent encore bien partis pour une nouvelle aventure fantastique. La terre a reconquis un statut qu'elle n'aurait jamais dû perdre et les hommes, rappelés par devoir moral ou par la plate nécessité, semblent encore bien partis pour une nouvelle aventure fantastique. La plaine de la Mekerra s'allonge dans une infinie verdure qui atténue la presque certitude des dernières années. La sécheresse chronique promise à cette région n'est finalement pas une fatalité et la verdure providentielle n'est pas le seul signe du destin. L'herbe, si elle n'est pas forcément un indice de prospérité d'une terre historiquement généreuse, n'en est pas moins un atour qui bouscule l'ordre supposé naturel des choses. Oued Tlelat, dans son prolongement tentaculaires rit un bon coup des enfermements administratifs, tourne le dos à Oran la plus proche, rappelle Mascara la plus naturellement familière et enfin, suggère Sidi Bel Abbes dans un sillage à couper au couteau. Le long de cette route qui n'a finalement jamais vendu son âme au diable, la terre a retrouvé une souveraineté qu'elle a dû, la mort dans l'âme, céder à la folie des hommes, le temps d'une bourde de jeunesse. La terre a reconquis un statut qu'elle n'aurait jamais dû perdre et les hommes, rappelés par devoir moral ou par la plate nécessité, semblent encore bien partis pour une nouvelle aventure fantastique. Il faut les voir ses hommes fous d'enthousiasme à l'idée que l'autorité… réduise leur culture de melon et de pastèque pourtant chichement rentable. Mais il faut quand même planter des pommes de terre et semer du blé qui demande moins d'eau et de plus larges nécessités. Ce n'est tout de même pas avec des melons que les plaines de l'Ouest vont reconquérir la glorieuse prospérité perdue. Il faut du blé, de la tubercule pour laver les affronts immérités de la crise et redorer le blason terni dans une inconsidérée reconversion. C'est sans doute dans cette re- quête de soi qu'il faut aller chercher au milieu des champs cette Sidi Bel Abbes finalement pas vraiment perdue pour la ruralité et peut être jamais gagnée par une citadinité difficilement décelable en dehors des vaines velléités légionnaires et la grossière légende du «Petit Paris». Allez maintenant retrouver la ville coloniale au milieu de ses incontrôlables excroissances qui la bouffent de partout. La laideur, mortellement revancharde, s'est autant acharnée sur le raffinement des hommes que sur la générosité de l'environnement naturel. Sidi Bel Abbes est un Docteur Frankenstein qui aurait poussé jusqu'au paroxysme la folie de son monstre. Alors, comment le trouver ce centre-ville disparu dans ce qui est censé être ses propres démembrements ? Il suffit peut-être de ne pas le chercher et se résoudre à d'autres repères éclatés dans les nouveaux centres d'intérêt, la nouvelle ville, le Rocher et d'autres tentacules qui, dans leur «autonomie», ignorent superbement les vieux quartiers et ce qu'ils suggèrent comme idée de la cité. Une ville à la re-quête d'elle-même Dans cette cité intermédiaire qui prolonge la ville sans vraiment la perdre, il y a longtemps qu'on a rangé ses illusions de grandeur. Celles que promettaient une industrialisation au pas de charge et une certaine idée du bonheur aujourd'hui tombées en désuétude. De ce rêve insensé, ne subsiste maintenant que des yeux hagards. D'avoir été à ce point crédules et de scruter le présent pour de nouvelles raisons d'espérer. Djaafer n'a pas de regret, seulement l'amertume d'un homme convaincu que ça aurait pu beaucoup mieux se passer pour lui et les siens. Ingénieur en électronique formé dans l'ancienne RFA au milieu des années 70, il n'a pourtant jamais imaginé d'autre perspective que celle de revenir «travailler pour son pays». Et son pays, c'était Sonelec, une usine où on a monté les premiers téléviseurs et au sortir de laquelle ont été vitriolées les premières femmes pour délit de travail. Et puis la retraite forcée à quarante-sept ans, les horizons qui se bouchent soudain et aujourd'hui la résignation. Djaafer n'est pas l'exemple le plus dramatique d'une douloureuse mutation. D'autres collègues à lui ont carrément terminé dans la misère après avoir dilapidé les maigres indemnités du «départ volontaire» ou fait les frais du licenciement économique. Dans cette cité aux façades lépreuses comme les interminable haussements d'épaules de l'ami ingénieur se devine une plaie béante, aux dimensions de l'échec. Sur les traces de Yacine H'sissen nous promène dans la ville qui refuse obstinément d'être la sienne même si elle l'a accueilli depuis maintenant trente ans. Comédien, ou plutôt soldat de la culture comme aimait l'appeler Kateb Yacine lui et le reste des membres de la troupe, il avait suivi d'Alger son «maître» poussé dans une voie de garage intérieure plus maîtrisable pour ses censeurs. Les vingt ans éclatants et l'idéal en bandoulière, ils sont partis d'Alger investir ce théâtre régional que Yacine promettait de fertiliser jusqu'à faire regretter leur bêtise à ceux qui croyaient le faire taire en l'éloignant de la capitale. Bien sûr que «l'exil» a enfanté de belles choses, mais le rêve n'a pas été bien loin. Yacine est revenu sur Alger bien avant le dernier voyage et H'sissen est resté à Bel Abbes avec la bande de copains. Le temps s'est écoulé, les enfants ont grandi et l'idéal a refroidi dans un mouvement général qui dépasse les plaines de la Mekerra. H'sissen a quitté le théâtre qui n'arrive plus à nourrir ses enfants et s'est investi dans quelques petites affaires qui améliorent le quotidien. S'il n'a rien perdu de son âme d'artiste, il n'a pas non plus perdu le sens des réalités. Alors il rêve de se donner les moyens d'un théâtre digne de ce nom, nous montre presque avec fierté la nouvelle maison des cultures à l'architecture futuriste et esquisse déjà le projet d'un livre sur son parcours avec Kateb. Et quand on reparle du théâtre, le visage de H'sissen s'illumine en accentuant ses taches de rousseur. Son fils vient d'y faire ses premiers pas en compagnie des enfants des autres comédiens. «Eux, Sidi Bel Abbes est leur ville». Ils n'ont pas besoin de l'exil pour tenter de belles choses. Et pourquoi pas réparer quelque injustice dans la réussite et l'épanoissement. Legraba, ou l'île de la tentation On y arrive presque par inadvertance. Ni dédales impossibles ni regards à donner la frousse n'annoncent les limites d'un espace à part. Un pan de la ville, une route ordinaire et vous voilà propulsé dans un quartier difficile à singulariser. D'abord des bâtisses de fortunes diverses, puis les bas fonds où se mêlent l'ocre de la terre cuite, le gris du parpaing et la palette de bric et de broc. Mais avant d'en arriver là, quelques inscriptions sur les façades tiennent d'une survivance de temps immémoriaux : «Maison sérieuse» vous avertit que tout ici n'est pas honteux. Mais ces rappels à l'ordre ne font qu'enfoncer le clou. Finalement, la réputation des lieux n'est pas si imméritée que ça. Il n'y a pourtant pas grand-chose à vous tendre les bras de l'encanaillement, mais il suffit de chercher. Dans bon nombre de ces baraques, des femmes- de plus en plus jeunes- vendent encore du plaisir. Dans l'arrière-boutique où le premier plan sert à faire couler le vin. Ce n'est pas que ça Legraba. S'il ne reste pas grand monde de ses anciens occupants qui ont déserté les lieux par la promotion sociale ou par bien pensance, d'autres sont arrivés. Pour le petit commerce ou pour l'insignifiance des loyers, ils sont venus grossir l'armée de familles en attente forcée de quitter les lieux. Ici comme dans les autres quartiers de la ville, le bidon d'huile est à mille dinars. Pas vraiment de quoi singulariser Legraba. Pour le reste, c'est-à-dire les quelques filles qui se font encore payer pour un moment de bonheur furtif, un jeune à qui on ne la fait pas est formel : «Les prostituées, il y'en a plus dans les villas cossues de la ville». La plaine de la Mekerra s'allonge dans une infinie verdure qui atténue la presque certitude des dernières années. La sécheresse chronique promise à cette région n'est finalement pas une fatalité et la verdure providentielle n'est pas le seul signe du destin. L'herbe, si elle n'est pas forcément un indice de prospérité d'une terre historiquement généreuse, n'en est pas moins un atour qui bouscule l'ordre supposé naturel des choses. Oued Tlelat, dans son prolongement tentaculaires rit un bon coup des enfermements administratifs, tourne le dos à Oran la plus proche, rappelle Mascara la plus naturellement familière et enfin, suggère Sidi Bel Abbes dans un sillage à couper au couteau. Le long de cette route qui n'a finalement jamais vendu son âme au diable, la terre a retrouvé une souveraineté qu'elle a dû, la mort dans l'âme, céder à la folie des hommes, le temps d'une bourde de jeunesse. La terre a reconquis un statut qu'elle n'aurait jamais dû perdre et les hommes, rappelés par devoir moral ou par la plate nécessité, semblent encore bien partis pour une nouvelle aventure fantastique. Il faut les voir ses hommes fous d'enthousiasme à l'idée que l'autorité… réduise leur culture de melon et de pastèque pourtant chichement rentable. Mais il faut quand même planter des pommes de terre et semer du blé qui demande moins d'eau et de plus larges nécessités. Ce n'est tout de même pas avec des melons que les plaines de l'Ouest vont reconquérir la glorieuse prospérité perdue. Il faut du blé, de la tubercule pour laver les affronts immérités de la crise et redorer le blason terni dans une inconsidérée reconversion. C'est sans doute dans cette re- quête de soi qu'il faut aller chercher au milieu des champs cette Sidi Bel Abbes finalement pas vraiment perdue pour la ruralité et peut être jamais gagnée par une citadinité difficilement décelable en dehors des vaines velléités légionnaires et la grossière légende du «Petit Paris». Allez maintenant retrouver la ville coloniale au milieu de ses incontrôlables excroissances qui la bouffent de partout. La laideur, mortellement revancharde, s'est autant acharnée sur le raffinement des hommes que sur la générosité de l'environnement naturel. Sidi Bel Abbes est un Docteur Frankenstein qui aurait poussé jusqu'au paroxysme la folie de son monstre. Alors, comment le trouver ce centre-ville disparu dans ce qui est censé être ses propres démembrements ? Il suffit peut-être de ne pas le chercher et se résoudre à d'autres repères éclatés dans les nouveaux centres d'intérêt, la nouvelle ville, le Rocher et d'autres tentacules qui, dans leur «autonomie», ignorent superbement les vieux quartiers et ce qu'ils suggèrent comme idée de la cité. Une ville à la re-quête d'elle-même Dans cette cité intermédiaire qui prolonge la ville sans vraiment la perdre, il y a longtemps qu'on a rangé ses illusions de grandeur. Celles que promettaient une industrialisation au pas de charge et une certaine idée du bonheur aujourd'hui tombées en désuétude. De ce rêve insensé, ne subsiste maintenant que des yeux hagards. D'avoir été à ce point crédules et de scruter le présent pour de nouvelles raisons d'espérer. Djaafer n'a pas de regret, seulement l'amertume d'un homme convaincu que ça aurait pu beaucoup mieux se passer pour lui et les siens. Ingénieur en électronique formé dans l'ancienne RFA au milieu des années 70, il n'a pourtant jamais imaginé d'autre perspective que celle de revenir «travailler pour son pays». Et son pays, c'était Sonelec, une usine où on a monté les premiers téléviseurs et au sortir de laquelle ont été vitriolées les premières femmes pour délit de travail. Et puis la retraite forcée à quarante-sept ans, les horizons qui se bouchent soudain et aujourd'hui la résignation. Djaafer n'est pas l'exemple le plus dramatique d'une douloureuse mutation. D'autres collègues à lui ont carrément terminé dans la misère après avoir dilapidé les maigres indemnités du «départ volontaire» ou fait les frais du licenciement économique. Dans cette cité aux façades lépreuses comme les interminable haussements d'épaules de l'ami ingénieur se devine une plaie béante, aux dimensions de l'échec. Sur les traces de Yacine H'sissen nous promène dans la ville qui refuse obstinément d'être la sienne même si elle l'a accueilli depuis maintenant trente ans. Comédien, ou plutôt soldat de la culture comme aimait l'appeler Kateb Yacine lui et le reste des membres de la troupe, il avait suivi d'Alger son «maître» poussé dans une voie de garage intérieure plus maîtrisable pour ses censeurs. Les vingt ans éclatants et l'idéal en bandoulière, ils sont partis d'Alger investir ce théâtre régional que Yacine promettait de fertiliser jusqu'à faire regretter leur bêtise à ceux qui croyaient le faire taire en l'éloignant de la capitale. Bien sûr que «l'exil» a enfanté de belles choses, mais le rêve n'a pas été bien loin. Yacine est revenu sur Alger bien avant le dernier voyage et H'sissen est resté à Bel Abbes avec la bande de copains. Le temps s'est écoulé, les enfants ont grandi et l'idéal a refroidi dans un mouvement général qui dépasse les plaines de la Mekerra. H'sissen a quitté le théâtre qui n'arrive plus à nourrir ses enfants et s'est investi dans quelques petites affaires qui améliorent le quotidien. S'il n'a rien perdu de son âme d'artiste, il n'a pas non plus perdu le sens des réalités. Alors il rêve de se donner les moyens d'un théâtre digne de ce nom, nous montre presque avec fierté la nouvelle maison des cultures à l'architecture futuriste et esquisse déjà le projet d'un livre sur son parcours avec Kateb. Et quand on reparle du théâtre, le visage de H'sissen s'illumine en accentuant ses taches de rousseur. Son fils vient d'y faire ses premiers pas en compagnie des enfants des autres comédiens. «Eux, Sidi Bel Abbes est leur ville». Ils n'ont pas besoin de l'exil pour tenter de belles choses. Et pourquoi pas réparer quelque injustice dans la réussite et l'épanoissement. Legraba, ou l'île de la tentation On y arrive presque par inadvertance. Ni dédales impossibles ni regards à donner la frousse n'annoncent les limites d'un espace à part. Un pan de la ville, une route ordinaire et vous voilà propulsé dans un quartier difficile à singulariser. D'abord des bâtisses de fortunes diverses, puis les bas fonds où se mêlent l'ocre de la terre cuite, le gris du parpaing et la palette de bric et de broc. Mais avant d'en arriver là, quelques inscriptions sur les façades tiennent d'une survivance de temps immémoriaux : «Maison sérieuse» vous avertit que tout ici n'est pas honteux. Mais ces rappels à l'ordre ne font qu'enfoncer le clou. Finalement, la réputation des lieux n'est pas si imméritée que ça. Il n'y a pourtant pas grand-chose à vous tendre les bras de l'encanaillement, mais il suffit de chercher. Dans bon nombre de ces baraques, des femmes- de plus en plus jeunes- vendent encore du plaisir. Dans l'arrière-boutique où le premier plan sert à faire couler le vin. Ce n'est pas que ça Legraba. S'il ne reste pas grand monde de ses anciens occupants qui ont déserté les lieux par la promotion sociale ou par bien pensance, d'autres sont arrivés. Pour le petit commerce ou pour l'insignifiance des loyers, ils sont venus grossir l'armée de familles en attente forcée de quitter les lieux. Ici comme dans les autres quartiers de la ville, le bidon d'huile est à mille dinars. Pas vraiment de quoi singulariser Legraba. Pour le reste, c'est-à-dire les quelques filles qui se font encore payer pour un moment de bonheur furtif, un jeune à qui on ne la fait pas est formel : «Les prostituées, il y'en a plus dans les villas cossues de la ville».