CIRCULATION BLOQUEE À OUED SMAR, MEFTAH ET BARAKI Le sud d'Alger totalement paralysé L'Expression, 09 Novembre 2010 Entre les récalcitrants décidés à tout bloquer et les habitants des régions limitrophes pressés de rejoindre leur lieu de travail, il est difficile de trouver le juste milieu. Aucun chemin ne mène à la «cité Renault» sise entre Oued Smar et Meftah. Plusieurs dizaines d'habitants, des jeunes en majorité, ont tout bloqué. Pneus, troncs d'arbres de plusieurs mètres, pierres et autres objets hétéroclites ont servi pour fermer la route. Cette révolte se veut un message, un cri du coeur d'une population vivant dans une cité devenue un marécage, un étang boueux suite aux pluies diluviennes qui se sont abattues dans la nuit de dimanche et la matinée d'hier. L'accès est extrêmement difficile. Des quantités importantes d'eau ont pénétré plusieurs immeubles. Matelas, téléviseurs, vêtements, médicaments et articles scolaires sont inondés. Nous invitant à constater les dégâts de visu, Salah-Eddine Achouri, enseignant du primaire, dénonce de prime abord: «Nos édiles sont hypnotisés. Leur éveil n'est pas pour aujourd'hui, eux qui habitent des villas luxueuses et n'entendent ni pluie, ni les rafales de vent ni les coups de tonnerre qui nous font craindre le pire.» De la fenêtre d'une bâtisse qui risque de s'effondrer à tout moment comme un château de cartes, les deux jumeaux Wahid et Ali s'amusent en ironisant: «Il nous faut un yacht tout un chacun pour rejoindre notre lycée». De la pluie encore. Il pleut des cordes. Des stations de bus submergées d'eau et de voyageurs. Les aiguilles de la montre indiquent 10 heures précises. A Meftah, l'agence de transport est pleine comme un oeuf. Que de la boue. Sarah, habitant à quelques encablures et secrétaire dans une entreprise privée de l'automobile à la zone industrielle de Oued Smar, est contrainte de changer deux fois sa tenue vestimentaire. Urgence oblige, elle est déterminée à rejoindre, vaille que vaille, son travail. En vain. Parapluie à la main, elle tient la même place. Pas de bus qui démarrent. Concise, la fille originaire de Blida souligne: «Et le beau temps ne fera son apparition que jeudi ou vendredi…» Phrase inachevée. Une voix s'élève. Celle de Aâmi Moh, chauffeur de bus qui décide finalement de se rendre El Harrach. Et de faire face à tous les périls. «On doit, cependant, faire le tour. On passe par les Eucalyptus mais les bouchons qui se sont formés ce matin rendent la circulation impossible.» Par cet aveu, Sarah et d'autres voyageurs ont bien reçu le message du quinquagénaire. La solution n'est pas la bonne. Ils ont tous préféré attendre. Mais l'attente a trop duré. Les premières heures de travail sont complètement ratées. Etudiants, fonctionnaires, lycéens…et commerçants ont regagné leur domicile. D'autres ont pris d'assaut les trois cafétérias jouxtant l'agence de transport. Des plaintes et des explications. Aucune alternative n'est trouvée. «Le boulot, ça sera, peut- être, pour demain (aujourd'hui, Ndlr)», souligne, attentif, Salim, étudiant en première année à l'Ecole nationale d'informatique (ex-INI). Il est presque 11 heures. On se rend une seconde fois à la cité Renault, limite des déplacements pour les habitants de Meftah et alentours. Du grabuge, cette fois-ci. La tension monte. Des individus s'échangent des «amabilités». Tous les qualificatifs y passent. Ce sont les rebelles qui, statiques, ne veulent céder le passage à quiconque et même à des membres d'une famille ayant un enfant gravement blessé. Rejoindre l'hôpital de Belfort était impossible. Les altercations verbales prennent fin et une partie de la route fermée se transforme en pugilat. Panique générale. Des femmes de tout âge, des jeunes, des vieillards et des bambins n'ont pu rien faire. C'était un bain de sang, des pleurs et des «menaces» de revanche. Il aura fallu plusieurs minutes pour libérer le passage. Le malade est évacué à l'hôpital de Meftah, nous apprend l'un de ses proches. Une fois les deux camps séparés, une accalmie relative regagne les lieux. Approchés, ces récalcitrants, tout furieux, nous souhaitent la bienvenue en déclinant notre identité. «On a un coeur comme tout un chacun. On sent la frustration des gens mais la nôtre, semble-t-il, n'intéresse personne. Que ces voyageurs sachent dans quelles conditions nous avons passé la nuit de dimanche. Quelques gouttes de pluie automnales ont suffi pour transformer nos immeubles et quartiers en piscines», dit Ahmed s'exprimant au nom de l'ensemble des protestataires. Et de s'interroger: «Nos domiciles peuvent-t-ils tenir en hiver qui aproche à grands pas?» Il ne le croit guère. Partie prenante dans la rixe ensanglantée, il explique: «On est poussés à bout de nerfs par des gens qui ont voulu être une exception». Mohamed, jeune, et sculpté, dénonce: «Il est presque midi. Aucun responsable n'est venu s'enquérir de notre situation, nous qui vivotons». Dame nature ne cesse de nous réserver des surprises.